Sport et droits de l’homme, du nouveau?

par | 9, Mar, 2021

Signe de notre époque, la question du respect des droits de l’homme dans le domaine du sport est souvent évoquée, sans que la notion soit toujours clarifiée. Il est vrai que les acteurs du sport sont multiples, et que le champ des violations potentielles est vaste, au regard notamment du foisonnement des instruments de protection, qu’il s’agisse de conventions internationales, de résolutions ou de chartes en tous genres. On se bornera ici à évoquer les atteintes d’origine étatique et celles provenant des institutions sportives, en référence à quelques développements récents.

1- Respect par les Etats des droits de l’Homme dans le sport

Dès lors que le sport de compétition représente un facteur de rayonnement international, les Etats peuvent s’y impliquer fortement, et faire prévaloir une conception dévoyée de leur souveraineté. Ce fut le cas naguère pour la République démocratique d’Allemagne (RDA), qui avait érigé le dopage des athlètes en pratique généralisée pour asseoir sa suprématie sportive aux yeux du monde, au mépris de toute considération pour leur santé. Ce fut le cas plus récemment pour la Russie, dont les fraudes à grande échelle ont fini par être révélées, et sanctionnées par l’Agence mondiale antidopage par une interdiction de JO de quatre ans, réduite à deux ans par le TAS (1°). Les droits et intérêts des athlètes russes « propres » se trouvent à l’évidence gravement lésés dans un tel contexte.

1.1. D’une manière générale, on peut constater que les régimes autocratiques ou peu démocratiques sont tentés d’instrumentaliser le sport comme moyen d’affirmation sur la scène internationale, au détriment de certaines valeurs individuelles ou collectives. Une illustration caricaturale en est fournie par le Qatar, attributaire de la Coupe du monde de football en 2022, qui a entrepris depuis une décennie la construction d’équipements pharaoniques, en engageant de nombreux travailleurs immigrés dans des conditions de travail extrêmes, qui ont causé des milliers de décès (2°)

On peut mentionner aussi la Chine, qui a engagé une politique ambitieuse de développement du football, conçue comme le moyen de s’afficher aux yeux du monde comme une puissance sportive globale (3°)

Plus près de nous et moins dramatiquement, on peut évoquer la Biélorussie, pays dans lequel le déroulement d’élections démocratiques a été bafoué, et qui a fini par se voir retirer l’organisation du championnat du monde masculin en 2021 par la Fédération internationale de hockey sur glace, sous de multiples pressions. Parmi celles-ci, on note avec intérêt la lettre commune adressée en janvier 2021 par l’ensemble des ministres des sports de l’Union à la commissaire européenne compétente, réaffirmant « qu’il est crucial que les droits de l’homme soient garantis dans tous les pays qui organisent des évènements sportifs internationaux majeurs, en Europe ou ailleurs » (5°). Le respect de l’autonomie des organisations sportives ne saurait en effet servir de prétexte à l’indifférence des Etats quant aux conditions d’attribution et d’organisation des grands évènements sportifs.

1.2. Les instruments visant à préserver les droits de l’homme ne manquent pourtant pas. Sans prétendre à l’exhaustivité, on mentionnera en premier lieu la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales adoptée par le Conseil de l’Europe en 1950, qui présente un intérêt dans le domaine du sport. De fait, les jugements de la Cour européenne des droits de l’Homme, quasiment inexistants dans ce domaine jusqu’au début des années 2000, se sont depuis multipliés. Ainsi certaines dispositions de la Convention ont pu être invoquées par des supporters malmenés par les forces de police ; des sportifs soumis à une obligation de localisation  en vue de la réalisation de contrôles antidopage inopinés ont pu la contester au nom de leur droit au respect de la vie privée. Par ailleurs, la Cour a jugé en 2018 que les procédures d’arbitrage devant le TAS, souvent imposées par les règlements des fédérations internationales, offraient les garanties d’un procès équitable et a rejeté les allégations concernant un manque d’indépendance et d’impartialité des juges impliqués. En revanche, elle a conclu à la nécessité de tenir audience en présence du public (6°). Il est intéressant de relever que le tribunal de l’Union européenne a fait état récemment de cette décision pour légitimer « le caractère obligatoire de l’arbitrage et le fait qu’il confère au TAS une compétence exclusive pour connaître de certains litiges », notamment en matière de dopage, car il « facilite une certaine uniformité procédurale et renforce la sécurité juridique » (7°).

A l’actif du conseil de l’Europe, on mentionnera aussi de multiples conventions, dont celles dans le domaine du sport relatives à la prévention du dopage, de la violence dans le sport ou des manipulations de compétitions sportives (8°). Plus récemment, la 16e conférence du conseil de l’Europe des ministres responsable du sport a adopté une nouvelle résolution qui invite les Etats membres à « renforcer encore la protection et la promotion des droits de l’homme dans le domaine du sport », et en détaille les modalités (9°). Il faut mentionner également le processus de révision de la Charte européenne du sport, qui devrait aboutir d’ici fin 2021. Ce texte aussi significatif que méconnu prône notamment le droit pour tous au sport, mais il relève du registre de la soft law, qui emporte bien peu de contraintes.

1.3. De façon complémentaire, l’Union européenne a adopté en septembre 2000 la Charte des droits fondamentaux. Intégrée au droit primaire de l’Union par le traité de Lisbonne, elle comprend un certain nombre de dispositions qui peuvent s’appliquer aux sportifs, en particulier l’interdiction de toute discrimination « fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales (…) ». Elle rappelle aussi que « L’égalité doit entre les hommes et les femmes être assurée dans tous les domaines (…)» (art. 23). S’agissant de la protection des jeunes, elle indique que « Les jeunes admis au travail doivent bénéficier de conditions de travail adaptées à leur âge et être protégés contre l’exploitation économique ou contre tout travail susceptible de nuire à leur sécurité, à leur santé, à leur développement physique, mental, moral ou social ou de compromettre leur éducation » (art. 32) (10°). Cette disposition peut concerner les jeunes sportifs de haut niveau, susceptibles d’être soumis à des entraînements excessifs, dangereux, ou pouvant compromettre leur insertion professionnelle (11°).

Par ailleurs, tout en admettant que la prévention du dopage constitue un objectif d’intérêt général, les Européens ont estimé que les dispositions du Code mondial antidopage relatives à la localisation des athlètes pouvaient déroger aux principes de proportionnalité édictés à l’article 52 de la Charte, ainsi qu’aux dispositions de la directive 95/46 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel. Il s’agissait de s’assurer que les principes reconnus tels que le respect des droits fondamentaux, le respect de la vie privée, la protection des données personnelles, le droit à un procès équitable et la présomption d’innocence soient intégrés dans les règles et les pratiques de l’Agence mondiale antidopage (12°).

Enfin le plan de travail de l’Union en faveur du sport adopté pour la période du 1er janvier 2021 au 30 juin 2024 comporte un axe prioritaire relatif à « la protection de l’intégrité et des valeurs du sport », incluant notamment « la prévention du harcèlement, des abus et de la violence, y compris sexuelle et toute forme de discrimination », ainsi que l’égalité entre les hommes et les femme dans le sport (13°).

Ces quelques exemples tendent à montrer que les Etats regroupés au sein de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe ont édicté de longue date un corpus de règles et de principes protecteurs des droits de l’homme, qui peut trouver une application directe dans le domaine du sport. On n’abordera pas ici les principes du même ordre qui ont pu être érigés au niveau mondial par l’ONU ou l’UNESCO, pour se pencher plutôt sur leur prise en considération par les organisations sportives internationales.

2. Respect des droits de l’homme par les organisations sportives

Le respect des droits de l’homme incombe tout autant aux organisations sportives dirigeantes qu’aux pouvoirs publics, et on touche ici aux questions relatives à la déontologie et à la bonne gouvernance. Autant dire d’emblée que si des progrès sensibles ont été réalisés dans les années récentes, on observe souvent un écart significatif entre les déclarations et la réalité de certaines pratiques.

2.1. Selon l’article 3 de ses statuts, « la FIFA s’engage à respecter tous les droits de l’homme internationalement reconnus et mettra tout en œuvre pour promouvoir la protection de ces droits« .  Pour l’accompagner dans cette démarche, la FIFA s’est dotée d’un Conseil consultatif des droits de l’homme composé de personnalités indépendantes, réuni pour la première fois en mars 2017, et qui a été suivi de la publication de sa politique en la matière. Un premier rapport a été communiqué en septembre de la même année, qui évoquait déjà la question embarrassante des décès de travailleurs sur les chantiers au Qatar. Plusieurs ONG ont exhorté la FIFA à respecter ses engagements en matière de droits de l’homme dans la perspective du Mondial de 2022, mais force est de constater que les réponses qu’elle a fournies tendant à minimiser les difficultés donnent autant de signaux contradictoires. Par ailleurs, les révélations récurrentes de cas de corruption en son sein témoignent d’une gouvernance qui reste perfectible. De fait, la FIFA développe à l’instar d’un Etat une stratégie d’expansion géopolitique et des intérêts commerciaux qui peuvent entrer en conflit avec les engagements d’ordre humanitaire, moral ou écologique affichés, comme l’illustre la décision contestée d’attribuer l’organisation de la coupe du monde au Qatar.

Le manque d’exigence face à certaines situations, voire la complaisance à l’égard de pouvoirs politiques critiquables ne sont évidemment pas l’apanage de la FIFA, et d’autres fédérations internationales ont pu aussi y céder.

2.2. Dans une résolution rédigée en 2018 en termes particulièrement vigoureux, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a déploré que «  les récents scandales autour du dopage, des trucages de matchs, des affaires de corruption, de l’achat de votes lors des appels d’offres pour les grandes manifestations sportives, des malversations financières, du blanchiment d’argent, de la fraude fiscale, des paris illégaux, de l’exploitation des êtres humains ou du trafic de jeunes athlètes aient terni l’image du sport international et mis sous les projecteurs le manque de transparence et de responsabilité dans les grandes instances dirigeantes du sport ». Pour elle, « ces dysfonctionnements sont systémiques et requièrent une refonte majeure des structures et des pratiques de la gouvernance sportive ». Défendues avec passion par le mouvement sportif, les notions de spécificité du sport et d’autonomie des organisations sportives ne sauraient justifier pour autant des comportements illégaux voire des atteintes aux droits de l’homme. Pour l’Assemblée au contraire, « toute autonomie entraîne une responsabilité et ne devrait être octroyée que si une bonne gouvernance dans la pratique est avérée ». En conséquence, elle estime que « l’on ne peut pas laisser le mouvement du sport remédier seul à ses défaillances. Il doit accepter d’impliquer de nouveaux acteurs pour adopter les réformes nécessaires » (14°). Certes, mais quels peuvent être ces acteurs en capacité d’aider le mouvement sportif international à se réformer, voire à lui imposer certaines règles ? La supranationalité du mouvement sportif rend la réponse délicate, mais pas introuvable. Au niveau européen, l’action complémentaire du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne prouve qu’il est possible de définir un corpus de valeurs communes et partagées auquel le mouvement sportif adhère largement. D’aucuns ont employé le terme de « modèle sportif européen », notion assez floue et non dénue d’ambiguïté, qui semble néanmoins susciter un regain d’intérêt (15°). Quoiqu’il en soit, la situation semble globalement plus satisfaisante au regard du respect des droits de l’homme dans le sport parmi des Etats regroupés au sein de ces deux instances, comparativement au reste du monde. 

2.3. Pour clore ce rapide survol, on évoquera la question de l’extension des droits reconnus aux sportifs. L’un des principes fondamentaux de l’olympisme stipule que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Charte olympique doit être assurée sans discrimination d’aucune sorte, notamment en raison de la race, la couleur, le sexe, l’orientation sexuelle, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale (…) » (principe n° 6).

La non discrimination au regard de la religion s’est posée à propos de la question sensible de la tenue vestimentaire des femmes lors des compétions sportives organisés dans certains pays. Nombre de fédérations internationales ont en effet considéré que le port du voile, signe d’appartenance religieuse, pouvait être autorisé lors des épreuves (16°). De même en beach-volley, la fédération internationale a admis depuis 2012 que des concurrentes ne soient pas en maillot de bain. Mais pour le tournoi du World Tour organisé en mars 2021 au Qatar, il a été demandé aux engagées de porter sur le sable des t-shirts et des pantalons, cette demande étant justifiée selon la FIVB par « le respect de la culture et des traditions du pays hôte ». L’option s’est ainsi muée en obligation, que certaines athlètes  ont rejetée: devant l’interdiction de porter un bikini sur le terrain, deux joueuses allemandes de beach-volley ont ainsi décidé de boycotter le tournoi prévu à Doha.

Une autre controverse s’est développée autour de la règle 50 de la Charte olympique, qui dispose qu’ « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un site olympique » (point 2 ). Cette disposition a été contestée par certains athlètes internationaux, au nom de leur droit à la libre expression lors des grandes manifestations sportives. A l’opposé, des parlementaires ont préconisé de l’introduire dans les statuts des fédération sportives en France, en vue de prévenir le risque d’expression de l’islamisme radical (17°).

En conclusion provisoire, on admettra que si des progrès notables ont été accomplis, beaucoup reste encore à faire pour assurer un meilleur respect des droits de l’homme dans le domaine du sport, et  réduire l’écart parfois flagrant entre les déclarations et la réalité des comportements, tant du côté des Etats que des organisations sportives. On conviendra aussi que le domaine est évolutif, car ce qui n’était pas un droit hier peut en devenir un demain.

Colin MIEGE, président du comité scientifique de Sport et Citoyenneté

  1. Cf. site Francjeux, 4 février 2021, https://www.francsjeux.com/breves/pas-dappel-contre-la-russie
  2. Selon le quotidien britannique The Guardian du 23 février 2021, plus de 6 500 décès d’ouvriers seraient imputables à ces conditions de travail désastreuses.
  3.  Cf. J-B. Guégan, Géopolitique du sport : une autre explication du monde , éd. Bréal.
  4. Lettre commune du 27 janvier 2021 des ministres de l’UE en charge des sports adressée à la commissaire européenne Mariya Gabriel.
  5.  Cour EDH, 2 octobre 2018, Mutu et Pechstein c. Suisse, CE:ECHR:2018:1002JUD004057510, point 98.
  6. TUE, 16 décembre 2020 , aff. T93/18, International Skating Union c/ Commission européenne, point 156.
  7.  Convention européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives (1985, STE n° 120), Convention contre le dopage (1989, STE n° 135), Convention sur la manipulation de compétitions sportives (STCE n° 215), et convention sur une approche intégrée de la sécurité, de la sûreté et des services lors des manifestations sportives (STECE n° 218).
  8. Résolutions sur la révision de la Charte européen du sport et sur les droits de l’homme dans le domaine du sport, adoptées le 11 février 2021.
  9.  Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, publiée en dernier lieu au JOUE n° C 202, 7 juin 2016.
  10.  En réponse à cette préoccupation, la question de la « deuxième » ou « double carrière » permettant aux jeunes athlètes de haut niveau de suive un cursus scolaire satisfaisant tout en menant un entraînement poussé  a fait l’objet de lignes directrices en novembre 2012.
  11.  L’Agence mondiale antidopage (AMA) a adopté depuis une déclaration des droits antidopage des sportifs («Athletes Anti-Doping Rights Act») visant à protéger les droits des sportifs dans les procédures antidopage.
  12. Résolution du Conseil sur le plan de travail de l’UE en faveur du sport, JOUE 4 déc. 2020, n° C 41/1.
  13.  Résolution 2199 (2018) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Vers un cadre pour une gouvernance sportive moderne », janvier 2018.
  14. On note ainsi que l’étude du « modèle européen du sport » est inscrite dans le nouveau plan d’action pour le sport adopté par le Conseil de l’UE en décembre 2020, tandis que le Conseil de l’Europe mentionne dans sa résolution de février 2021 relative à la révision de la Charte européenne du sport « une approche européenne des politiques du sport ».
  15.  Ainsi lors des JO de Londres en 2012, la fédération internationale d’athlétisme a accepté qu’une athlète d’Arabie saoudite se présente voilée. De même, sans autoriser officiellement le port du hijab, la fédération internationale de judo a aussi autorisé une judokate saoudienne à porter un bonnet, tout en proscrivant le foulard pour des raisons de sécurité. Puis la fédération mondiale de karaté a accepté le port du voile sur les tatamis en 2013, tandis que la fédération internationale de basket l’a autorisé fin 2017.
  16. Rapport Eustache-Brinio, juillet 2020, mesure 35.

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