La FIFA a-t-elle sifflé la fin du projet de Super Ligue Européenne porté par certains cadors européens ? Dans un communiqué du 21 janvier dernier, l’instance dirigeante du football mondial a ouvertement affirmé son opposition à un tel projet en précisant les sanctions auxquelles s’exposeraient d’éventuels réfractaires : l’interdiction « de participer à une quelconque compétition organisée par la FIFA ou sa confédération » pour les clubs et joueurs concernés. Pas de Coupe du Monde, ni d’Euro et encore moins de Ligue des Champions pour ceux-ci donc. En agissant ainsi, elle vole au secours de ses confédérations continentales, et notamment l’UEFA, qui voit la menace d’un projet de Super Ligue grandir de jour en jour. Cette compétition privée regroupant les plus grands clubs européens viendrait en effet directement concurrencer la Ligue des Champions, sur le modèle de l’EuroLigue de basketball. Ces derniers mois, plusieurs clubs se sont positionnés en faveur d’une telle compétition, avec en chef de file la Juventus de Turin et son président Andrea Agnelli. Si le débat sur le bien-fondé d’un tel projet anime les experts du football européen, il convient toutefois de s’intéresser aussi à la question de la validité même des sanctions prévues par la FIFA d’un point de vue du droit européen.
Car, si l’Union Européenne ne dispose que d’une compétence d’appui dans le domaine du sport (article 165 TFUE), la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) a à plusieurs reprises consacré le principe selon lequel les réglementations des instances sportives sont soumises au droit européen, du moins dès lors que ces instances exercent une activité économique. C’est ainsi qu’elle a rendu en 1995 le fameux arrêt Bosman à propos de la libre circulation des joueurs au sein de l’Union Européenne. Par ailleurs, une décision récente de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) est venue donner du crédit aux projets de compétitions concernant les Fédérations Internationales, telles que la Super Ligue. Il s’agit d’un arrêt rendu le 16 décembre 2020 (affaire T-93/18) afférent à un litige opposant l’Union Internationale de Patinage (UIP) à deux patineurs hollandais. Ces derniers s’étaient, en effet, vus menacés d’exclusion des Jeux Olympiques par la Fédération Internationale en cas de participation à une compétition organisée à Dubaï par une organisation privée. Ils ont alors décidé de contester cette sanction sur le fondement du Droit Européen de la Concurrence (article 101 et 102 TFUE). Dans cette affaire, le juge européen a donné raison aux patineurs. Il a jugé que les sanctions prévues étaient disproportionnées au regard des objectifs visés, consacrant de ce fait l’absence de monopole des Fédérations Internationales sur l’organisation des compétitions sportives. En s’appuyant sur une telle décision, il semble donc que les participants à une éventuelle Super Ligue européenne de football pourraient contester les sanctions prévues par les instances internationales devant la CJUE.
Toutefois, dans des récentes déclarations d’un de ses vice-présidents, Margarítis Schinás, la Commission Européenne s’est exprimée en faveur des mesures mises en place par la FIFA. La raison principale avancée est la défense du modèle sportif européen basé sur des compétitions ouvertes et sur le principe de solidarité. S’agit-il d’un revirement de la position des institutions européennes ? En réalité, une analyse plus détaillée de la décision nous permet d’assurer qu’il ne s’agit pas, ici, d’un revirement. Car ce qui est reproché à l’Union Internationale de Patinage (IUP) n’est pas d’avoir mis en place des sanctions telles que l’interdiction de participer à des compétitions qu’elle organise, mais de ne pas les avoir justifiées par la poursuite d’objectifs légitimes. De plus, les critères de sanctions ne sont pas « clairement définis, transparents, non discriminatoires et contrôlables », ayant pour conséquence de fausser la concurrence sur le marché des compétitions de patinage. L’IUP a affirmé vouloir protéger l’intégrité de son sport et garantir la sécurité des sportifs, mais ses sanctions, même réduites après une première décision de la Commission européenne, ont été jugées disproportionnées.
Ainsi, bien que reconnaissant qu’il existe un marché des compétitions sportives sur lequel les Fédérations Sportives n’ont pas de monopole et auquel elles ne peuvent fausser l’accès par leur réglementation, la CJUE donne dans cette décision les critères pouvant justifier de telles sanctions. Elle estime tout d’abord que « compte tenu de la spécificité du sport » et de la nécessité d’assurer que les compétitions d’un même sport se conforment à des standards communs, les Fédérations Sportives sont légitimes à mettre en place un système d’autorisation préalable pour les compétitions mises en place par un organisateur extérieur. Un certain nombre d’objectifs légitimes sont cités, comme l’équité du déroulement des compétitions et la protection de l’intégrité physique et morale des sportifs. Ce-dernier objectif peut notamment impliquer la limitation du nombre de compétitions disputées par les joueurs chaque saison afin de préserver leur santé. L’interférence entre le calendrier de la Fédération Internationale et celui d’une compétition concurrente est aussi cité comme un motif légitime de sanction. Autant de motifs qui pourraient donc être avancés par la FIFA et l’UEFA pour justifier d’éventuelles sanctions à l’encontre des participants à une Super Ligue, si toutefois ces sanctions restent bien adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs.
Il est donc intéressant de constater que par sa prise de position, la Commission Européenne semble adopter une lecture de la jurisprudence de la CJUE favorable à la protection des intérêts de la FIFA et de l’UEFA. S’il faudrait pouvoir étudier les critères d’application des sanctions prévues pour pouvoir en apprécier la légitimité, il est entre autre permis pour les instances dirigeantes du football européen de mettre en place un cadre réglementaire basé sur des critères transparents et ayant pour objectif de préserver le modèle sportif européen, se protégeant ainsi d’éventuelles compétitions concurrentes.
Crédit photo : Sportsmarketing.fr