L’intérêt de l’Union européenne pour les sports remonte aux années 1980, ce domaine d’activité étant alors conçu avant tout comme un vecteur de communication, et d’affirmation de l’identité européenne. Mais cet intérêt s’est sensiblement renforcé et diversifié après l’arrêt Bosman rendu en décembre 1995 par la Cour de justice, car la libéralisation des règles sportives qui a été l’une de ses conséquences a été ressentie alors comme un risque. Ainsi la Commission a engagé peu après une vaste consultation visant à définir les caractéristiques du « modèle sportif européen », dont les fondements semblaient menacés par les évolutions en cours, notamment l’émergence de projets de ligues fermées à caractère commercial. Toutefois il a fallu attendre l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, pour que le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) confère enfin à l’Union une base juridique pour l’élaboration d’une politique européenne dans le domaine du sport. Sur la base de l’article 165 principalement, l’Union dispose ainsi d’une compétence d’appui dans ce domaine, qui lui permet de soutenir et coordonner les projets sportifs, mais pas de procéder à une harmonisation des législations nationales, ni de procéder à un transfert de compétences. Ce pouvoir limité l’autorise à mener simplement une politique des sports non contraignante, axée par exemple sur la promotion des échanges et des valeurs dans le sport, ou sur la promotion de la dimension européenne du sport. On notera aussi que le programme E Erasmus +, dont la montée en puissance est régulière, permet de financer de nombreux projets de soutien et d’échange dans le domaine sportif.
1. Une politique sportive diversifiée, qui mériterait d’être recentrée
Selon un intéressant rapport publié en juin dernier par le Parlement européen sur la situation et l’évolution de la politique de l’UE en faveur des sports1, si l’élargissement des compétences de l’Union dans ce domaine est resté limité, la mise en œuvre d’une politique sportive a permis une évolution fondamentale de la dimension européenne du sport, en mobilisant un nombre croissant d’acteurs publics et privés et en couvrant des domaines d’action toujours plus nombreux2. En témoignent les plans d’action triennaux successifs adoptés depuis 2011 , qui incluent de multiples sujets déclinés en actions, tels que la protection de l’intégrité et des valeurs du sport, les dimensions économiques et environnementales du sport, ou la promotion du sport pour tous et de l’activité physique bienfaisante pour la santé3. Mais ce foisonnement d’initiatives (et d’études concomitantes) a engendré une certaine dispersion et selon le rapport précité, « le besoin de fixer des priorités et de choisir des formes adaptées de coordination se fait de plus en plus sentir ».
On note aussi que les États membres, qui n’étaient pas à l’origine très favorables au transfert de compétences dans le domaine du sport au niveau européen, du fait à la fois de conceptions différentes et parce qu’ils souhaitaient conserver une compétence nationale, ont fini par admettre qu’une coordination des intérêts publics dans ce domaine présentait de nombreux avantages. Le rapport note aussi que si la tension entre autonomie et intervention étatique dans le sport persiste, un nouveau clivage semble apparaître dans la relation entre les intérêts des organisations sportives sans but lucratif traditionnelles, et ceux des prestataires commerciaux du secteur. A cet égard, « le débat sur l’avenir du modèle sportif européen et sa spécificité fondée sur les principes de solidarité, d’inclusion et de volontariat demeure d’actualité ». Le débat sur ce modèle, sur lequel on reviendra, a été relancé dernièrement par le projet de création d’une Super ligue de football présenté en avril dernier, vite abandonné mais sans doute pas enterré, ainsi que par l’arrêt de la Cour de Justice de décembre 2020, qui a établi la non conformité du règlement de la fédération internationale de patinage sanctionnant la participation à des épreuves extérieures au regard du droit européen de la concurrence4.
Pour terminer, le rapport débouche sur diverses préconisations, visant notamment à mieux coordonner les acteurs, en particulier les différentes institutions de l’Union, et à hiérarchiser davantage les priorités, en vue d’accroître la visibilité, l’efficacité et la légitimité de la politique des sports européenne. A cet égard, il conviendrait d’accorder une attention particulière aux quatre piliers que constituent l’intégrité, l’activité physique pour tous, la santé et l’éducation. La diplomatie sportive n’est pas mentionnée, bien qu’elle constitue un axe non négligeable de la politique de l’Union.
2. Une diplomatie sportive européenne qui cherche à s’affirmer, en dépit de ses handicaps
2.1. Le terme de « diplomatie sportive » désigne l’utilisation stratégique du sport pour atteindre des objectifs dans le domaine des relations extérieures. Elle vise notamment à rendre un pays, ses habitants et sa culture plus attractifs auprès des pays tiers en entretenant des liens entre les populations au moyen d’initiatives citoyennes. Elle mobilise un éventail d’acteurs plus large que les diplomates et les personnalités politiques, notamment des sportifs amateurs et professionnels (les « diplomates en survêtement »), des organisations sportives et des acteurs de la société civile.
Une part importante de la diplomatie sportive s’organise autour de l’attribution des grands évènements sportifs , qui constitue un enjeu de promotion et de rayonnement pour le pays d’accueil. Le processus d’attribution donne aussi aux organisations sportives la possibilité d’exercer une influence sur les gouvernements nationaux et de chercher à garantir la protection de leurs intérêts essentiels, tels que l’autonomie de gestion ou un régime fiscal favorable5. Dans ce cadre, la diplomatie pourra déboucher aussi sur la contestation sur la scène internationale des conditions d’organisation de la manifestation dans le pays attributaire, voire à réclamer son boycott, au regard notamment de considérations humanitaires6.
Dans ce registre, on doit mentionner la lettre que les ministres des sports des 27 Etats membres ont adressée en janvier 2021 à la commissaire européenne en charge des sports, Mariya Gabriel, demandant que le respect des droits humains et des libertés individuelles soit pris en compte au moment d’attribuer une compétition internationale, aussi bien dans l’Union européenne qu’à l’extérieur, et incitant la Commission à mettre en place une politique en ce sens.
2.2. Il faut néanmoins admettre que l’Union européenne n’est pas particulièrement bien armée pour mener une diplomatie sportive. Son handicap ne se situe pas tant au regard de sa population, car avec quelque 450 M de personnes, elle se situe à un rang intermédiaire entre la Chine (1.444 M d’habitants), les Etats Unis (335 M) et la Russie (146 M). Il réside d’abord dans le fait que contrairement à ces Etats unitaires, partenaires et parfois concurrents au plan international, elle ne constitue pas encore un ensemble intégré. De plus, comme on l’a vu, l’article 165 du TFUE ne lui confère que des prérogatives limitées, en vertu du principe de subsidiarité. Il prévoit que « l’Union […] favorise […] la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes en matière […] de sport ». Dans ce cadre, la Commission européenne a installé en 2015 un Groupe de haut niveau sur la diplomatie sportive, qui a formulé des recommandations.
Depuis lors, l’UE a arrêté ses premières mesures stratégiques en adoptant notamment des conclusions du Conseil sur la diplomatie sportive (2016) et en inscrivant la diplomatie sportive dans les plans de travail de l’UE en faveur du sport qui ont suivi. Quelques mesures concrètes ont été prises, comme l’intégration du sport dans le dialogue de haut niveau UE-Chine (2017) et le lancement du dialogue politique UE-Japon dans les domaines de l’éducation, de la culture et du sport (2018).
Par ailleurs, le programme Erasmus+ a été réaménagé en 2018 pour que l’UE puisse établir des échanges avec les pays tiers à travers le sport. Ainsi, la participation à la semaine européenne du sport a été ouverte aux États des Balkans occidentaux, et un appel à propositions a permis le soutien de projets de coopération internationale avec ces mêmes Etats et les pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique. Erasmus + est ainsi devenu un instrument de « soft power » de l’UE.
2.3. La diplomatie sportive de l’UE reste malgré tout embryonnaire, et elle doit tenir compte des politiques extérieures que mènent ses Etats membres, parfois de façon active. Elle tente de trouver un consensus sur le fondement des modes d’organisation et des valeurs communes que sont censés partager les pays européens. A ce titre, la référence aux travaux réalisés au sein du Conseil de l’Europe est incontournable, notamment autour de la Charte européenne du sport et des conceptions humanistes qui la sous-tendent7. D’où un rapprochement avec cette institution relativement méconnue, qui regroupe 47 Etats et fonctionne sur un mode sensiblement différent de l’Union. Dans cet effort de rassemblement, la notion de « modèle européen du sport », qui avait émergé en 1998, mais que le Livre blanc du sport publié par la Commission en 2007 semblait avoir ensuite disqualifiée pour défaut de consistance, connaît un surprenant retour en grâce. Toutefois les contours de cette notion, qui met en avant l’organisation hiérarchique et pyramidale des organisations sportives, la solidarité financière entre l’élite et la base, les compétitions reposant sur le principe de promotion et de relégation, l’autonomie du mouvement sportif et le recours au bénévolat, restent assez flous. L’accent est mis aussi sur la défense de valeurs communes qui sous-tendent le sport, telles que l’éthique, le fair-play, la non discrimination pour quelque motif que ce soit, la lutte contre la manipulation des compétions sportives ou contre le dopage8… Pour louables que soient ces objectifs, ils induisent une posture essentiellement protectrice, et donc une forme de diplomatie plutôt défensive.
En comparaison, les États-Unis, la Chine et à certains égards la Russie, ont mis en place des stratégies de diplomatie sportive plus consistantes et surtout plus offensives. A titre d’illustration, la Chine a pour objectif de s’assurer une domination incontestable au regard des résultats sportifs internationaux; les Etats Unis s’efforcent d’orienter le fonctionnement de l’AMA selon leurs vues, et se donnent la possibilité avec le « Rodchenkov Act » de poursuivre en justice hors de ses frontières toute affaire de dopage de niveau international, pour peu qu’un lien avec un citoyen américain soit établi ; quant à la Russie, qui s’est fourvoyée dans un vaste programme de dopage couvert par les autorités, elle n’a pas abandonné son ambition de rayonner à nouveau sur la scène sportive internationale.
Ces pays, pour ne citer qu’eux, ont à l’évidence une longueur d’avance en matière de diplomatie sportive, et l’UE ne semble pas en mesure de les égaler. La question reste de savoir si les Européens sauront s’en donner les moyens, ce qui supposerait notamment de modifier le Traité, pour placer le sport dans les matières à compétences partagées avec les Etats membres9. Ce résultat est toutefois loin d’être acquis….
Colin MIÈGE, Président du comité scientifique de Sport et Citoyenneté
[1] Rapport quasiment passé inaperçu, peut-être parce que disponible en anglais seulement: « EU sports policy: assessment and possible ways forward », P. E., juin 2021. Cf. https://bit.ly/3cwK44r IPOL
[2] Selon le rapport, si pendant de nombreuses années, les fédérations sportives européennes ont pris leurs décisions de manière largement autonome, à présent les ligues, les clubs, les représentants des joueurs et des entraîneurs et diverses agences interviennent aussi. La multiplication d’acteurs aux intérêts divers est venue compliquer les processus de décision dans le domaine du sport, et par conséquent la définition des politiques publiques.
[3] Plan 2011-2014, puis 2014-2017 et 2014 -2021, auquel a succédé le plan allant du 1er janvier 2021 au 30 juin 2024. Pour ce dernier, voir résolution du Conseil, JOCE n° C 419/1, 4 déc. 2020.
[4] Arrêt du tribunal de l’Union européenne, 16 déc. 2020, International Skating Union, aff. T-93/18.
[5] Les Etats peuvent accepter d’inscrire ces garanties dans la loi nationale, comme ce fut le cas en France pour l’Euro 2018, la Coupe du monde du rugby, et pour les prochains JOP de 2024.
[6] Par exemple la dénonciation des conditions de préparation des stades au Qatar en vue de la prochaine coupe du monde de football, qui ont entraîné le décès de centaines de travailleurs immigrés, ou encore les appels au boycott des Jeux Olympiques d’hiver de Pékin en 2022, au regard des violations des droits de certaines minorités ethniques en Chine. Cette contestation peut provenir de certains Etats ou d’ONG.
[7] La Charte européenne du sport, dont la version initiale date de 1975, doit être adoptée dans une version réactualisée d’ici la fin 2021
[8] A l’instar des conventions adoptées par le conseil de l’Europe pour lutter contre les violences dans le sport, le dopage, ou la manipulation des résultats sportifs…
[9] En pratique, le sport figure parmi les matières énumérées à l’art. 6 TFUE, pour lesquelles l’UE dispose d’une simple compétence d’appui et de coordination, devrait alors figurer dans les domaines listés à l’art. 4 TFUE, dans lesquels l’Union dispose d’une compétence partagée avec les Etats membres.