Yann Grandguillaume, 31 ans, est paraplégique depuis le 29 septembre 2019 suite à un accident de voiture sur le chemin retour d’un match de football. Passionné de sport, il a participé aux détections « La Relève » permettant d’accéder aux sports paralympiques de haut-niveau. Il promeut par ailleurs un message positif relatif à son handicap à travers son association l’un possible, ses vidéos YouTube et son Instagram (Yann_favélas). Nous sommes récemment allés à sa rencontre. Au micro de Jurisportiva, il témoigne.
Bonjour Yann, pourrais tu te présenter dans un premier temps?
Yann, je suis paraplégique depuis deux ans. À l’issue de notre match dominical, le conducteur a perdu le contrôle de la voiture, nous avons glissé et heurté un arbre en fin de course. Je suis le passager le plus touché de l’accident et ait été diagnostiqué paraplégique. De façon brève, disons que je ne dispose plus de l’utilisation de mes deux jambes et du reste des fonctions motrices et sphinctériennes.
Il s’agit d’une paralysie définitive, il existe toujours une chance de petite récupération mais la moelle épinière est sectionnée. Autrement dit, tout ce qui se situe en dessous ne fonctionne plus. Néanmoins, je peux marcher avec des orthèses voire avec un déambulateur, sans pour autant pouvoir me déplacer de façon fonctionnelle et ce, grâce à un an et quatre mois d’acharnement et de travail. Chaque matin je me réveillais en pensant que j’allais re marcher, puis un jour on comprend que ce n’est pas possible. Cependant j’ai toujours espoir de me faire opérer. Pour le moment, une seule opération de la moelle épinière s’est réalisée dans le monde, elle s’est faite en Chine et concernait 12 patients dont 6 français.
Quelles sont les principales difficultés que tu rencontres concernant l’accès au sport ?
Il existe plusieurs freins à l’accès au sport en tant qu’handicapés.
Premièrement, l’accessibilité aux clubs handisport. À titre d’exemple, concernant la pratique du volley, si je veux faire du sport, je dois me déplacer à Orléans, c’est-à-dire à deux heures de ma résidence. De fait, si tu veux t’entrainer dans un club et avoir un très bon niveau c’est assez compliqué à concilier avec la vie de famille ou professionnelle.
A contrario, certains sports, dont ceux individuels sont plus accessibles, je pense notamment au tennis.
Deuxièmement, c’est le coût financier des fauteuils. La plupart des sports nécessitent un fauteuil spécifique, en moyenne un fauteuil représente un investissement entre 2.000 à 10.000€. Il existe des aides, néanmoins c’est un énorme travail administratif qui ne représente pas plus de 20% du prix. Moi par exemple, mon fauteuil de la vie commune m’a coûté 7.000€, la prise en charge de la sécurité sociale fut de 500€. En réalité, ce qui fonctionne le mieux ce sont les cagnottes participatives grâce à la solidarité. Il est également possible de financer son fauteuil de sport grâce à des sponsors, mais pour cela, il faut être connu.
Pour résumer, ces deux freins ralentissent considérablement l’accès au sport pour les personnes handicapées. L’accès se démocratise et les clubs sont de plus en plus enclins à s’adapter mais la question du fauteuil reste problématique.
Pourrais-tu nous présenter ton association « l’un possible » ?
L’association l’un possible a été créée avec mon ancien entraîneur de football, Benoît Colliot. Après l’accident, Benoît m’a toujours suivi et soutenu dans ma rééducation. Un jour il m’appelle et me propose de faire un tour du Centre en tandem. Je me suis dit que je n’avais plus le temps de réfléchir et ai saisi l’occasion. Ce tour du centre sera l’occasion de promouvoir un projet humain et de partager un message positif sur le handicap dans la région Centre. On a donc créé l’association à cet effet.
Concernant le tour, il s’agit d’un projet humain valorisant le travail d’équipe. Tout d’abord, on s’est aperçu qu’en région Centre il y a peu d’activités relatives au handisport. Nous avons donc décidé de participer à la visibilité du handisport en nous arrêtant au sein d’entreprises et d’écoles afin d’échanger avec les personnes. Puis ce tour en tandem sera l’occasion de démontrer à chacun qu’il est possible de faire du sport entre une personne valide et une personne en situation de handicap. Pour ce faire, le tandem sera adapté sur mesure, Benoît pédalera et moi je “maindalerai”.
Par la suite, nous souhaitons pérenniser l’association afin de multiplier les actions en faveur de la démocratisation du handicap et handisport.
À quoi ressemblent tes séances de préparation ?
Il s’agit d’une grosse préparation physique qui se déroule sur huit mois. Je suis actuellement à trois séances de sport par semaine et vais en rajouter une quatrième spécifique aux sorties vélo. Je suis accompagné pour cela de mon ami et coach sportif Sébastien Tardy par le biais de son entreprise Objectif Sport Evasion. Ce dernier sera aussi présent sur la semaine du projet en tant que « voiture balai ».
En somme, mis à part la séance spécifique, je fais principalement du renforcement musculaire et du cardio. Depuis que je suis sorti du centre il y a six-sept mois, j’ai repris une bonne condition physique. Le sport me fait du bien, je retrouve possession de mon corps, j’ai enfin récupéré les 12 kilos que j’avais perdu après l’accident.
Concernant la région Centre, existe-t-il un retard au niveau des infrastructures handisport ?
C’est vrai qu’en France, certaines régions sont très développées. Je pense notamment au Sud et à Paris, ce sont les régions de référence. Pour notre part, il manque clairement d’infrastructures et de développement relatif au handisport en région Centre. À titre d’exemple, il n’y a pas de championnat de handball, on m’a proposé de monter une équipe et jouer dans une région voisine. Il y a également un manque de communication, à Issoudun (Indre), nous disposons de tout l’équipement nécessaire, fauteuil y compris, mais il manque de joueurs. Il faut savoir que les personnes valides peuvent jouer au handball fauteuil.
Pour revenir sur ta volonté de partager un message positif, tu as ouvert ta page Youtube à cet effet. Pourrais-tu nous la présenter ?
Je faisais des vidéos sur Instagram de transferts, c’est-à-dire le passage de mon fauteuil à un autre endroit et inversement. J’ai eu de très bon retours, cela plait aux gens car c’était instructif autant pour les personnes en fauteuil que pour les personnes valides qui souhaite savoir comment cela fonctionne. J’ai donc décidé de m’y mettre plus sérieusement en créant une page Youtube. Ce fut d’abord l’occasion d’apprendre de nouvelles compétences relatives au montage et à la vidéo.
Sur la page, je souhaite montrer mon sport, mes transferts et comment j’ai réussi à m’habituer à ma maison. Par exemple, j’ai des marches avant d’accéder à ma salle de bain, je vais notamment montrer comment je me débrouille pour glisser. En bref, je veux montrer le quotidien d’un mec en fauteuil. Ce quotidien, c’est encore une fois l’occasion de démocratiser les aprioris sur les personnes en situation de handicap. Je compte montrer que l’on peut conduire comme tout le monde et enlever l’image du mec en fauteuil qui conduit nécessairement un van ou un utilitaire. Par la suite, je pense également partager mes vacances.
L’objectif c’est d’aider. Lorsque je me suis retrouvé dans mon lit d’hôpital, la première chose que j’ai faite, ce fut d’aller sur internet, YouTube, Instagram et faire des recherches afin de m’instruire. J’ai envie de partager un message différent, positif. Ces vidéos sont donc principalement à destination des personnes invalides. Mais j’espère aussi attirer des personnes valides qui ont dans leur entourage une personne invalide et souhaite l’aider ou tout simplement celles curieuses.
Existe-t-il des groupes d’entraide entre invalides ?
Très peu, néanmoins sur Instagram il y a un petit monde, on se connaît tous et on s’entraider. Notre but est de partager le message du handicap afin qu’un jour, il soit devenu normal de croiser un gars en fauteuil dans un bar ou en boite de nuit. Nous essayons de faire évoluer les mœurs. En Espagne, le handicap est aujourd’hui banal, en France, les personnes en fauteuil se cachent. Il existe cette appréhension d’aller dans un bar et d’être regarder par tout le monde. Personnellement j’ai appris à dépasser cette appréhension. Cependant, il existe toujours des complications dès que l’on sort, que ce soit pour prendre le métro à Paris, rouler sur des trottoirs cassés ou accéder aux toilettes de restaurants.
Pourrais-tu nous décrire ton expérience relative aux détections « La Relève » ?
Les détections la relève concernant les individus âgés de 16 à 35 ans qui auraient un potentiel de performance dans un ou plusieurs sports paralympiques et qui ne seraient pas encore intégrés dans un circuit de compétition. Concrètement, l’objectif est de recruter des futurs talents en vue des Jeux Paralympiques 2024.
Au tout début, j’ai été en contact avec un copain amputé du tibia qui fait partie de l’Équipe de France Rafting et Volley Assis. Au départ il me proposait de tenter ma chance comme il avait pu le faire grâce à ces détections, mais juste après mon accident je n’étais pas prêt. Puis, comme avec le tour du Centre j’ai décidé de me lancer. Je m’inscris et demande alors à mon ami les exercices auxquels j’allais être confronté. Dès le lendemain j’en ai parlé à mon prof de sport au centre qui fut directement d’accord pour m’aider à me préparer spécifiquement pour ces tests. Entretemps, malheureusement, il y a eu la deuxième vague covid. Les tests prévus en novembre 2020 ont donc été repoussés. Au mois de février 2021, nous avons eu un call vidéo avec une représentante paralympiques France et un organisateur des jeux 2024 lui-même médaillé au para-judo. Cet entretien vidéo fut l’occasion de réduire le nombre de participants de 120 à 30.
Les tests se sont déroulés fin juin 2021 et se sont super bien passés. Il y avait plusieurs épreuves : un exercice de vitesse départ arrêté sur 20 mètres ; un exercice d’équilibre où l’on devait enlever et remettre notre t-shirt ; un lancer de médecine ball de 3kg ; un exercice de cardio et précision qui consistait à lancer un ballon sur un cible à 4 et 6 mètres, ; un exercice de résistance où il fallait supporter un médecine ball bras tendu de 3 kg pendant 2 minutes ; un exercice de vitesse d’exécution qui consistait à taper sur nos roues puis au dessus de nos têtes le plus vite possible en 20 secondes et enfin ; le fameux exercice de VMA.
Au final, je majore deux épreuves et suis retenu sur 4 des 7 fédérations présentes. J’étais donc deuxième ex-quo sur 23 mecs. J’ai été sélectionné au tennis-fauteuil, au badminton, au volley assis et au pôle handisport. Suite à un stage de tennis de 3 jours à Paris fin août, je suis désormais certain de prioriser le tennis fauteuil. Je vais m’entraîner par mes propres moyens trois à quatre fois par semaine en plus du coaching et je devrai prochainement m’engager avec le club de tennis de Châteauroux. Néanmoins, la difficulté est de trouver un entraîneur formé au tennis-fauteuil. En attendant, je compte travailler dur de mon côté et suis déterminé à profiter pleinement de l’opportunité qui m’est offerte de gravir les échelons rapidement.
Comment te sens-tu aujourd’hui ?
Il y a presque 1 an je n’aurais pas répondu, aujourd’hui c’est très simple, je suis heureux. Vraiment ! Je ne pensais que ça pouvait être le cas. Je me suis accepté, j’ai des projets et je suis entouré.
Que pouvons nous te souhaiter pour les 5 prochaines années ?
J’espère aller le plus loin possible en tennis et qu’un jour j’ai un drapeau tricolore sur le cœur. J’espère également réussir dans les projets que je me donne, notamment le tour de Centre ainsi que ceux professionnels et personnels.
Crédit photo : Le Footballeur