Kylian Mbappé a prolongé son contrat au sein du Paris Saint Germain jusqu’en 2025, rejetant ainsi une nouvelle fois l’offre qui lui avait été faite par le Réal Madrid, le club merengue tout juste titré en Champions League.
Javier Tebas, Président de la Liga espagnole de football (La Liga), et dépositaire des intérêts du championnat ibérique, a vivement contesté cette signature au point de déclarer exercer tout recours possible contre le club français (1).
Quel reproche la Ligue espagnole formule-t-elle à l’encontre de cette signature et quels recours s’offrent à elle pour la contester ?
À la différence de la France, la Fédération Espagnole de Football (RFEF) a instauré dans son règlement un plafond salarial annuellement révisable et applicable à l’ensemble des clubs professionnels évoluant en Liga de Fútbol Profesional.
Ce plafond contraint les clubs et les Sociedad Anónima Deportiva (SAD) à maintenir une masse salariale qui ne dépasse pas 70% de leur chiffre d’affaires.
En vertu du point 3 de l’annexe I du Règlement de la Liga, le critère retenu est constitué de la différence entre les revenus du club et les dépenses dérivées de la masse salariale des joueurs. Le chiffre qui en résulte est le plafond salarial, qui doit être approuvé par la Ligue, ou à défaut corrigé à hauteur du montant garantissant la stabilité financière du club.
C’est fort de ce constat que Lionel Messi n’a pu renouveler son contrat de travail avec le FC Barcelone en raison du dépassement du plafond salarial par le club catalan. En effet, l’article 100 du Règlement de la Liga espagnole interdit l’inscription de nouveaux joueurs aux clubs qui ne respectent pas la limite du coût total de l’effectif à inscrire.
À contrario, en France, le règlement du football professionnel français ne prévoit aucune réglementation relative au salary cap, qui n’est donc pas applicable au Paris Saint-Germain.
La loi n° 2012-158 du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs a introduit uniquement la possibilité et non la contrainte pour les Fédérations Sportives Délégataires d’encadrer la masse salariale dédiée aux sportifs des clubs participant aux compétitions qu’elles organisent (2).
Dès lors, aucun mécanisme contraignant de respect de la masse salariale ne s’applique au football français, à la différence de l’Espagne.
Le Paris Saint Germain a t’il dès lors violé le Fair Play Financier ?
Préalablement, rappelons que dès 2018, le Paris Saint Germain avait obtenu gain de cause contre l’UEFA qui avait décelé des irrégularités du club parisien à l’égard des règles régissant le Fair Play Financier après les transferts de Neymar Jr et de Kylian Mbappé à l’été 2017.
En effet, suite à une décision de la Chambre de jugement de l’Instance de Contrôle Financier des Clubs de l’UEFA (ICFC) du 19 septembre 2018, décidant l’ouverture d’une « enquête formelle », le Paris Saint Germain avait interjeté appel devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) le 03 octobre 2018.
Par décision du 19 mars 2019, le TAS a fait droit à l’appel en annulant, pour motif d’irrégularité, la requête de l’instance européenne visant au réexamen des finances du club parisien pour l’exercice 2017-2018 (3).
Par ailleurs, le Fair Play Financier, fut suspendu pour les équipes disputant l’édition 2020/2021 de la Ligue des Champions, et sa nouvelle mouture votée en 2021, verra son application étalée jusqu’en 2025. La nouvelle réglementation du Fair Play Financier n’exigera plus équilibre des comptes mais limitera les dépenses allouées aux salaires, aux indemnités de transfert et aux commissions d’agent.
Dans les faits, l’UEFA va ainsi doubler le déficit autorisé sur trois ans (de 30 à 60 millions d’euros) et obligera les clubs à limiter leur masse salariale à 90% de leurs revenus en 2023-2024, puis 80% et enfin 70% à partir de la saison 2025-2026.
Également, rappelons que la force contraignante du Fair Play Financier fût grandement minimisée en 2020.
En effet, par sentence du 13 juillet 2020 (4) Tribunal Arbitral du Sport avait annulé l’exclusion de Manchester City des compétitions européennes en l’absence de « preuves suffisantes » permettant de constituer une infraction au Fair Play Financier du fait d’une sur-valorisation d’un contrat de sponsoring. La suspension de concourir à une compétition européenne initialement prononcée par l’UEFA fut donc levée et la condamnation pécuniaire abaissée de 30 à 10 millions d’euros. Selon les commentateurs, cette décision s’apparentait pour l’UEFA en un camouflet qui « fragilise le fair-play financier » (5).
Par conséquent, en l’état de la réglementation européenne applicable au football, le Paris Saint-Germain n’a commis aucune infraction nationale ou européenne et ne saurait être « de jure », visé par une sanction.
La fenêtre d’application progressive du Fair Play Financier a donc permis au Paris Saint Germain de légalement prolonger le contrat de Kylian Mbappé jusqu’en 2025, année où l’encadrement de la masse salariale sera le plus strict.
En conclusion, on observe que Javier Tebas ne conteste pas seulement la distorsion de concurrence existant entre le Paris Saint Germain et les autres clubs européens mais déplore aussi le manque à gagner constitué par le non-accroissement des droits télévisuels du fait de l’absence de Kylian Mbappé en Liga espagnole.
Cette volte-face se couple au départ de Lionel Messi en 2021 déjà vers le Paris Saint Germain, et explique l’agacement espagnol.
Cette concurrence, momentanément biaisée, engendre une rupture durable de l’équité sportive et favorise les clubs évoluant dans des ligues n’appliquant aucune mesure contraignante, surtout lorsque ceux-ci sont l’émanation d’Etats souverains dépourvus de limites financières.
(1) Tweet de Javier Tebas du 21 mai 2022 : « Ce que va faire le PSG en renouvelant Mbappé avec de grosses sommes d’argent, après avoir subi des pertes de 700 millions d’euros ces dernières saisons et avoir plus de 600M € de salaire, est une INSULTE au football. Al-Khelaïfi est aussi dangereux que la Superligue ».
(2) L’article L. 131-16 du Code du sport dispose : « Les fédérations délégataires édictent : (…) / 3° Les règlements relatifs aux conditions juridiques, administratives et financières auxquelles doivent répondre les associations et sociétés sportives pour être admises à participer aux compétitions qu’elles organisent. Ils peuvent contenir des dispositions relatives (…) au montant maximal, relatif ou absolu, de la somme des rémunérations versées aux sportifs par chaque société ou association sportive. (…) ».
Cet article offre aux ligues professionnelles la possibilité de mettre oeuvre un outil de régulation de la masse salariale des clubs en vue d’assurer, (selon l’article 132-2 dudit Code) « la pérennité des associations et sociétés sportives, de favoriser le respect de l’équité sportive et de contribuer à la régulation économique des compétitions »(
(3) Tribunal arbitral du sport, décision du 19 mars 2019
(4) Tribunal arbitral du sport, 2020/A678, Manchester City FC c/ Union des associations européennes de football (UEFA), sentence du 13 juillet 2020
(5) Interview de Me Mathias Kuhn, publiée le 13 août 2020 dans la revue en ligne Ecofoot