Interview de Julien Lacour (Directeur de Centre de Formation)

par | 26, Mai, 2022

Ancien manager de l’Academy de l’ASM Clermont Auvergne, Julien Lacour a rejoint en avril 2021 le Toulouse Football Club, en tant que Directeur des opérations du Centre de Formation. Fonctionnement d’un centre de formation, évolution de l’écosystème du football ou encore méthodes de formation des jeunes joueurs, Jurisportiva vous propose aujourd’hui un entretien riche et complet. Rencontre.

Bonjour Monsieur. Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour, je m’appelle Julien Lacour, j’ai 39 ans et je suis depuis Avril 2021 à la direction du Centre de Formation du Toulouse Football Club. 

J’ai travaillé au préalable une quinzaine d’années dans l’univers du rugby professionnel, notamment pour deux clubs, celui d’Oyonnax et celui de Clermont. Je suis cependant issu du monde du judo ou j’ai pu avoir les différentes casquettes d’athlète, d’entraîneur et puis de dirigeant. 

Pouvez-vous vous présenter et expliquer vos différentes missions au sein du TFC?

Ma première mission est de faire en sorte que notre structure soit performante et de prendre soin des personnes qui la composent. De manière plus détaillée, mes missions s’organisent autour de 4 grandes thématiques : 

  • La gestion managériale : accompagner nos 45 collaborateurs et 130 joueurs (formation + préformation) au quotidien et durant leur évolution de carrière ; 
  • La gestion structurelle : gérer et faire évoluer nos infrastructures / maîtriser les budgets alloués 
  • La représentation : auprès de l’ensemble des acteurs ; institutionnels – privés – partenaires sociaux et conseillers ; renforcer notre identité ; 
  • L’attractivité : faire en sorte d’être novateur et singulier dans un marché très concurrentiel ; 

En quoi vos missions sont-elles différentes dans un centre de formation de football et de rugby, comme vous avez pu connaître par le passé?

La principale différence relève de la nature même de l’écosystème. 

Le rythme et l’exposition médiatique du football implique des méthodes différentes (notamment en termes de précocité de la contractualisation, de la rotation des effectifs…). 

Les relations humaines sont en revanche assez similaires dans les deux sports puisque finalement un sportif dans les filières d’accès au haut-niveau a des besoins similaires, quelle que soit sa discipline. 

En quoi la façon de former un joueur a-t-elle évolué depuis une dizaine d’années dans le football?

Elle a évolué, il me semble, sur le volet ingénierie. Nous disposons d’outils plus précis pour accompagner et permettre aux jeunes de se développer athlétiquement et stratégiquement.

L’autre différence, est je pense, la nécessité que les athlètes donnent du sens à leur progression. Cela va dans le sens de l’évolution sociétale, avec l’accès à l’information en permanence. 

Le milieu du football a donc énormément évolué : Gestion des réseaux sociaux, place de l’entourage mais aussi marché des jeunes joueurs. Comment évitez-vous la fuite de vos talents ?

En donnant notamment des perspectives claires, et en accompagnant les joueurs à comprendre ce qui est le mieux pour eux et leur carrière.

À Toulouse nous bénéficions d’une expérience significative notamment dans le fait, que tous les parcours sont singuliers, qu’il n’y a pas qu’un chemin pour accéder à l’excellence.

Comme dans toute relation, si les acteurs souhaitent la même chose au final, alors les projets s’inscrivent convenablement dans la durée. 

Beaucoup de jeunes joueurs ne signent pas leur premier contrat professionnel dans le club qui les a formés, comment les clubs vivent cela de l’intérieur? Comment essayez-vous de vous protéger contre cela?

Outre la vision régalienne qu’implique votre question, la vision que peut avoir un club formateur sur la non contractualisation d’un « jeune » dans son club formateur est un échec. 

Les règles sont, il me semble assez claires, avec des dates butoires à respecter. 

Le football est régi par un marché mondial et en mouvement avec toute l’instabilité que cela peut procurer. Le plus gros enjeu que j’ai pu rencontrer dans la signature d’un premier contrat professionnel, c’est de rassurer le joueur et son environnement. Notre président Monsieur Comolli insuffle dans les échanges sa riche vision du football de haut niveau. 

La protection des mineurs est l’un des enjeux prioritaires de la FIFA. Pensez-vous que la réglementation FIFA, notamment à l’article 19 du RSTJ d’interdire les transferts en dessous de 18 ans (sauf exceptions mentionnées à l’article 19bis) est une bonne chose?

Je suis mesuré et ne veux en aucun cas vous donner une réponse binaire. 

J’ai vécu dans des équipes très cosmopolites (jusqu’à 14 nationalités) avec toute la richesse que cela peut apporter. La société évolue, les personnes bénéficiant d’une double nationalité sont de plus en plus nombreuses, il faut l’absorber sereinement dans l’évolution de nos réglementations. 

Des flux migratoires liés à des tragédies humaines sont malheureusement de plus en plus nombreux. Ces cas gravissimes sont normalement pris en compte dans les caractères exceptionnels que vous évoquez. 

Plus globalement, je ne peux que prôner des mesures qui protègent la dignité humaine et évitent des malversations, mais je reste assez réservé sur la nécessité du « toujours plus » des règles. 

De même, pensez-vous que l’on assiste de plus en plus à une marchandisation des jeunes joueurs dans le football de manière globale? Si oui, comment endiguer ce phénomène?

Est-ce plus marqué qu’avant ? Est-ce que cela répond à une logique économique primaire d’offre et de demande ? Cette logique de marché ouvert peut aussi permettre à de nombreux athlètes de vivre une expérience du haut-niveau. 

Comment évaluez-vous le potentiel et les qualités d’un jeune joueur de football ? 

Quand j’indique à un joueur qu’il n’est pas conservé, je prend toujours soin de préciser que cela vient d’une évaluation contextualisée à un instant « T ». Ce qui signifie que la vérité d’un jour, n’est pas toujours celle du lendemain. 

Au sein de notre staff, nous nous rappelons presque tous les jours, que nous devons être humble tout en prenant en compte le fait que nous accompagnons des (jeunes) hommes en construction. 

La politique de la formation est de faire preuve de mesure, le poids des mots est très marquant.

Nous sommes heureux pour un garçon qui performe, ici si possible, mais aussi ailleurs. 

L’évaluation est faite à rythme très régulier, à travers des indicateurs de performance (technique, stratégique, émotionnel et social) qui nous sont propres. De même, le joueur est amené à s’auto évaluer chaque semaine, de manière à ce que les attendus soient compris et commentés ensemble. 

Quelles relations entretenez-vous avec les joueurs ?

Des relations privilégiées, j’ai un métier passionnant au contact de personnes passionnées et passionnantes. J’éprouve énormément de plaisir chaque jour à mener les missions qui me sont confiées. Ma relation avec les joueurs est saine et humaine. Je suis surtout éducateur avant d’être directeur. Mais ce serait sûrement aux principaux concernés de répondre à cette question.

Pensez-vous que l’une des clés pour accroître la compétitivité du football français passe par une meilleure formation des jeunes?

Il ne faut pas, à mon sens, opposer l’économie et la performance. 

La France est reconnue pour être une nation de top niveau dans la formation des jeunes joueurs. 

La frustration serait surtout que le système des clubs français ne bénéficie jamais de tous ces talents. 

Chaque société professionnelle souhaite, je présume, pouvoir bénéficier d’un business modèle stable et non dépendant systématiquement de revente de contrat de joueurs à chaque mercato. La solution passe surtout par une maîtrise des charges et une gestion plus vertueuse. 

Que pensez-vous du mécanisme de solidarité et celui des indemnités de formation mis en place par la FIFA ?

C’est un système assez protecteur et il me semble peu contesté de la part des différents acteurs. 

Une anecdote particulière à raconter ?

J’ai fait des rencontres formidables, découvert des cultures, des sensibilités différentes. 

J’ai vécu des moments de bonheur immenses mais aussi partagé des moments de peines, de deuils. Les souvenirs sont trop nombreux pour en faire une liste exhaustive. 

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