Fragilisé par la crise sanitaire et les déboires de Mediapro, le football français, amateur comme professionnel, semble en grande difficulté. Alors que certaines équipes de Ligue 1 & Ligue 2 ont vu certains de leurs joueurs accepter une diminution de leurs salaires, d’autres voix s’interrogent sur des pistes pour repenser plus en profondeur le football français. Avec pour objectif principal d’assurer l’homogénéité du niveau sportif de la ligue mais aussi d’empêcher les franchises d’accumuler les contrats des meilleurs joueurs, le système du Salary Cap a été évoqué par certains acteurs du football français. Rappelons le, le salary cap ou « plafonnement salarial » représente la masse salariale qu’une équipe ne peut excéder au sein d’une ligue ou d’une division sportive. L’objectif étant donc de réduire les salaires des joueurs en vue de garantir une certaine équité entre les clubs.
Les joueurs évoluent aujourd’hui dans un système internationalisé. Considérer uniquement le modèle français comme un vase clos semble être une vision totalement erronée
Un Salary Cap bien rodé outre Atlantique
Ce système est déjà bien connu outre Atlantique puisqu’il régit notamment le fonctionnement de la NBA et de la très rentable ligue de football américain (la NFL). Au sein de la NBA, la ligue fixe un plancher (Salary Floor) et un plafond (Salary Cap) qui ne peut être dépassé qu’à certaines conditions. Le plafond est déterminé en fonction des revenus liés au basket de la NBA. Il correspond alors à la somme maximale que les franchises vont pouvoir dépenser afin de payer les salaires de leurs joueurs. En cas de dépassement, la franchise sera soumise à une taxe (Luxury Tax) répartie entre la ligue et les franchises non soumises à cette taxe. La NFL est plus stricte dans le sens où elle ne permet pas le dépassement du Salary Cap. Fixé à plus de 188 millions de dollars par an en 2019, le plafond est déterminé par l’addition de toutes les sources de revenus (droits TV, billetteries, marchandises etc.)
La mise en place d’un Salary Cap : une option qui semble difficilement envisageable
Pour la saison sportive 2018-2019, le rapport annuel de la DNCG indiquait que 54% des charges d’exploitation des clubs de Ligue 1 étaient dédiées aux charges salariales. Le salaire des joueurs est donc l’un des premiers leviers qui peut être soulevé par les clubs lorsque leur situation financière s’avère délicate.
Mettre en place un plafonnement des salaires au sein d’une Ligue sportive professionnelle est un mécanisme permis par le droit français et notamment l’article L131-16 du Code du sport (“Les fédérations délégataires édictent […] Les règlements relatifs aux conditions juridiques, administratives et financières auxquelles doivent répondre les associations et sociétés sportives pour être admises à participer aux compétitions qu’elles organisent. Ils peuvent contenir des dispositions relatives au nombre minimal de sportifs formés localement dans les équipes participant à ces compétitions et au montant maximal, relatif ou absolu, de la somme des rémunérations versées aux sportifs par chaque société ou association sportive.”). Dans ce sens, le Conseil d’Etat a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité contestant le dispositif du Salary Cap dans le rugby français (CE, 11/12/2019, Société Montpellier Hérault Rugby Club, n°434826). En effet, les juges ont considéré que ce système poursuivait un objectif d’intérêt général et ne portait ainsi pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.
Si au premier abord la justification de l’instauration d’un Salary Cap semble reposer sur une volonté d’équilibre social et financier entre les équipes : On peut se demander si finalement l’objectif n’est pas la préservation de l’équité sportive au sein de la compétition. Ainsi, dans le Top 14 français, la mise en place d’un tel système n’a pas empêché certains clubs de présenter toutefois un budget déficitaire bien avant la crise sanitaire.
Sur le plan de la compétitivité, le principal frein à la mise en place d’un plafonnement des salaires dans le Football français semble être le système des transferts qui s’est fortement « européanisé ». Ces échanges entre clubs européens ont une nouvelle fois été mis en exergue par le mercato hivernal 2021, comme le montrent l’arrivée de Jean-Michael Séri à Bordeaux, prêté par Fulham (RU), ou encore les transferts croisés de Franco Tongya et Marley Aké entre l’Olympique de Marseille et la Juventus (IT) dans le but d’améliorer la situation financière des deux clubs. En effet, les joueurs évoluent aujourd’hui dans un système internationalisé et considérer uniquement le système français comme un vase clos semble être une vision totalement erronée.
Par conséquent, envisager un plafonnement s’appliquant exclusivement aux équipes du Championnat français reviendrait à réduire considérablement la compétitivité de ce dernier par rapport aux Championnats européens comparables en ne permettant pas aux clubs de recruter les meilleurs joueurs afin d’améliorer le niveau de jeu.
De plus, cela rendrait le Championnat français beaucoup moins attractif pour les joueurs étrangers. Un Salary Cap « strict » conduirait donc à mettre, une nouvelle fois, la Ligue 1 française en difficulté alors que celle-ci lutte déjà pour se maintenir au niveau des autres Championnats européens.
D’autre part, on peut aussi se questionner sur les autres parties intéressées par les salaires des joueurs de football professionnels, et notamment l’État par l’intermédiaire de la fiscalisation. Les joueurs, par le biais de l’impôt sur le revenu, et les clubs, par le paiement de cotisations sociales, salariales et patronales versent d’importantes sommes à l’administration fiscale. Ainsi, un dossier du journal l’Equipe de 2019 consacré aux salaires des joueurs de football* évaluait ces sommes à hauteur de 565 millions d’euros par an.
Par conséquent, une limitation des salaires par un plafonnement conduirait obligatoirement à une diminution des sommes versées à l’administration fiscale
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Des alternatives ayant pour dessein une gestion financière plus saine
Si la mise en place d’un Salary Cap sur le modèle du rugby semble être inenvisageable au sein du Championnat de football professionnel français, certaines propositions ont été soulevées afin de retravailler le modèle du football français.
À ce titre, une première proposition a été de mettre en place un plafonnement ne pesant pas sur l’ensemble de l’effectif des équipes. L’idée de ce système était de permettre aux clubs de recruter quelques joueurs sans être soumis au plafonnement des salaires pour ceux-ci.
Cependant, on peut s’interroger sur la validité d’un tel système au regard notamment du principe d’égalité de traitement entre les salariés. A ce sujet, la Cour d’appel de Pau a rendu un arrêt en date du 23 janvier 2020 (CA Pau, Chambre Sociale, 23/01/2020, n°18/00200, SAS G H Rugby Pro) et a considéré que, pour justifier une inégalité de salaire entre deux joueurs de rugby, il fallait prendre en compte différents indices tels que les postes des joueurs, leurs qualités professionnelles ou encore l’expérience. Cette décision semble rappeler que les principes généraux du droit du travail valent également dans le milieu sportif professionnel et que l’argument de l’égalité de traitement entre deux joueurs dans une situation identique et effectuant une prestation de travail de valeur égale pourrait avoir vocation à s’appliquer.
D’autres ont également proposé d’imaginer un Salary Cap évolutif, c’est-à-dire fixé à partir d’un pourcentage en prenant en compte les recettes de chaque club : les clubs les plus riches étant ainsi autorisés à rémunérer davantage leurs joueurs.
Il apparaît cependant qu’un tel système conduirait à accroître l’inégalité entre les clubs qui ne seraient pas dotés des mêmes moyens pour constituer leurs effectifs. Ainsi, cela renforcerait les écarts entre les clubs et par conséquent réduirait la compétitivité du Championnat.
Aussi, une action plus globalisée, notamment au niveau européen, a été envisagée par Aleksander Ceferin, Président de l’UEFA. Il évoque ainsi une réflexion autour d’une limitation des salaires afin de réguler le football européen et d’empêcher que les écarts entre les clubs s’accroissent davantage.
Toutefois, il convient de s’interroger sur le champ d’application des mesures de l’UEFA. L’organisme européen n’est pas en mesure d’imposer des conditions de participation aux équipes qui ne prennent pas part aux compétitions organisées par celui-ci. De plus, il ne faut pas négliger l’extrême différence qui subsiste entre certains championnats et notamment la très rentable Premier League (5,56 milliards d’euros pour la saison 2017-2018), incomparable avec d’autres comme les Championnats de football polonais ou slovaque par exemples.
Ainsi, repenser le système du football français semble être une réflexion à mener. L’instauration d’un Salary Cap n’apparaît cependant pas forcément comme le levier parfaitement adapté afin de réguler notre Championnat.
Article rédigé par : Axelle Picard
*https://www.lequipe.fr/Football/Article/Les-salaires-de-la-ligue-1-kylian-mbappe-psg-le-grand-bond/986415