Interview de Cédric Roussel (Député)

par | 30, Mar, 2021

Au coeur de l’actualité, la « Loi Sport » visant à démocratiser le sport en France a été adoptée à l’Assemblée Nationale le 19 mars dernier. Aujourd’hui, Jurisportiva a décidé d’aller à la rencontre de l’un de ses acteurs clés : Cédric Roussel, Député LREM des Alpes-Maritimes et Président du groupe d’études sur l’Economie du Sport de l’Assemblée Nationale. Au cours de cet échange, le député Brestois décrypte le contenu de cette loi, nous livre ses impressions sur le sport français et décrit l’impact de la crise sanitaire sur ce dernier. Celui qui dit vouloir faire « bouger » le sport » français répond également, dans cette interview, aux différents acteurs du mouvement sportif qui se disent déçus et frustrés de la tant attendue « Loi Sport ». L’équipe Jurisportiva remercie vivement Cédric Roussel pour sa contribution mais également Alexis Chabot (son conseiller sport) et Caroline Puisségur (sa collaboratrice).

« La « Loi Sport », est une brique. Il y a encore toute la maison à construire »

Député et président du groupe d’étude « Économie du sport » de l’Assemblée Nationale, quel a été votre parcours professionnel jusqu’à ce poste ?

J’ai été élu député avec un premier mandat en 2017, ce n’était pas du tout prévu au programme. Je n’ai pas fait d’études en sciences politiques, ni été particulièrement militant dans un parti. J’avais une activité associative et une activité professionnelle qui tournait autour du conseil en gestion de patrimoine et de l’économie des entreprises. Les 10 dernières années précédant mon activité de député se résument notamment à mon cabinet de gestion de patrimoine que j’ai créé à Nice en 2006. J’étais ce que j’appelle un “thérapeute financier”. Ce métier m’a beaucoup appris et m’a permis de toucher à beaucoup de domaines. Mon parcours est donc plutôt orienté vers la finance. 

J’ai décidé en 2017 de participer à la campagne présidentielle en tant qu’animateur de comité au sein de la République en Marche. Je suis devenu co-référent du mouvement dans les Alpes Maritimes, puis j’ai présenté ma candidature, qui a été retenue. De fil en aiguille, j’ai participé à la création du groupe d’étude « Économie du sport » de l’Assemblée Nationale. En matière de sport, on a deux « jambes » à l’Assemblée Nationale : le groupe d’étude “sport” qui est dirigé par mon collègue François Cormier Bouligeon, et le mien, le groupe d’étude “économie du sport”. Nous travaillons tous deux en symbiose, car nous avons conscience que c’est bien sur deux jambes que l’on marche mieux. Le mouvement sportif et le sport amateur, irrigués par le sport professionnel, avec l’idée de développer l’écosystème du sport français, voilà notre projet. Personnellement, j’avais déjà un lien avec le sport car j’avais la volonté à l’époque de m’inscrire comme agent de joueurs mais je n’avais pas rencontré les bonnes personnes et l’environnement m’avait vite rebuté. Le métier d’agent n’était pas aussi régulé qu’il l’est aujourd’hui. Je suis très attaché à un code de déontologie et à certaines valeurs, choses que je ne retrouvais pas dans ce milieu quand j’ai commencé à m’y intéresser. 

Quelle est concrètement la finalité de ce groupe ?

Le groupe d’étude “économie du sport” s’intéresse tant au sport professionnel qu’au sport loisir marchand (salles de sport, équipementiers, organisateurs d’évènements sportifs, etc.). Nous travaillons également sur la thématique du sport en entreprise, de l’insertion par le sport, et des enjeux de sport-santé. Notre groupe a pour vocation de faire des propositions, d’être en contact avec les acteurs du sport et de traiter les différentes problématiques afférentes au sport. L’idée est de faire un pont entre ce que nous entendons en tant que député de la part des différents acteurs du sport, et de faire force de propositions à l’Assemblée Nationale. Il peut s’agir de lois de finance ou de lois telles que celle de 2019, de mesures de relance du sport français en temps de crise, ou bien encore plus actuellement de la proposition de loi sport.

À l’été 2020, vous aviez proposé, avec François Cormier Bouligeon (Député du Cher), 50 mesures pour relancer le sport français. Qu’en est-il aujourd’hui de ce plan de relance?

Nous avions en effet proposé 50 mesures. Sur ces 50, 22 ont été mises en place. 6 sont actuellement en cours de discussion et 22 autres qui ne sont pas encore appliquées. Pour résumer, la moitié de ces mesures sont effectives sous la forme souhaitée. À titre d’exemple, il y avait comme mesures : la relance du financement de l’équipement sportif, le renfort du soutien financier aux associations afin de favoriser l’engagement. Cela a été mis en place, nous avons obtenu les 5000 places de service civique dans le sport. Il y a également, le déploiement d’un plan de digitalisation des Fédérations. 9 à 10 millions d’euros dans le plan de relance sont consacrés à cette précédente mesure. 

Pour les mesures en cours, à savoir notamment l’accélération des maisons « sport-santé » : nous nous sommes fixés un seuil à 500 maisons sport-santé et nous sommes actuellement à 288, ça avance. Le sujet de l’amélioration de la place du sport à l’école, et quelques autres sujets sont en cours, on espère que cela sera effectif le plus vite possible. Enfin pour ce qui n’a pas du tout été mis en place : il y a le crédit d’impôt sponsoring par exemple.

À ce titre, comment se porte l’économie du sport après les nombreuses turbulences qui l’ont frappé de plein fouet?

L’économie du sport, vous vous en doutez, se porte assez mal, mais comme beaucoup de secteurs en France actuellement. La crise des droits TV et la Covid-19 ont eu un double effet ciseau concernant le sport professionnel et plus précisément le football et le rugby. La Covid-19 a eu un lourd impact sur la billetterie et les hospitalités. La crise des droits TV a également mis à mal le modèle français. On note une forme de « télé dépendance » qui est connue mais qui a révélé toute sa faiblesse. 

Si l’on prend l’exemple du football, on a une évaluation de Jean-Marc Mickeler (Président de la Direction Nationale du Contrôle de Gestion) qui estime les pertes du football français à 1,3 milliard d’euros d’ici la fin de saison. C’est un énorme déficit qui pèse sur la trésorerie des clubs, qui étaient déjà mal en point du fait de cette crise des droits TV. À ce propos, il y aura prochainement des annonces de soutiens supplémentaires, notamment sur la compensation de la billetterie qui a été actée jusqu’à la fin de saison dernière et qui sera très certainement prolongée. Également, sera mis en place un dispositif d’éligibilité « 70% de charges fixes », à savoir un fonds de solidarité qui consiste à aider les entreprises touchées ou arrêtées pour raison administrative. Je pense notamment aux stations de ski, ici dans les Alpes-Maritimes. 

Quelles leçons tirer de tout cela?

Je pense que c’est le moment de prendre un temps de réflexion car il y a des faiblesses apparentes sur le modèle économique du sport français. D’un point de vue qualitatif, l’exposition du sport à la télévision est un point important à aborder pour ses acteurs. Il faut tirer également comme leçon qu’il faudra trouver, pour le sport amateur spécialement, d’autres sources de diversification du modèle. Il est normal que l’État vienne financer le sport mais je pense qu’il faut surtout que d’autres financeurs s’intéressent davantage au sport et qu’on leur donne les moyens législatifs, réglementaires pour leur permettre de concrétiser cela. On ne financera jamais assez le sport. C’est le moment de trouver des pistes de réflexion pour repenser le modèle du sport français. Il faut porter ces idées à l’échelle nationale mais surtout européenne. Avant tout, il faut savoir ce que l’on veut collectivement en France pour le sport. L’objectif à moyen terme étant celui des Jeux Olympiques de Paris en 2024. Il faut commencer par démocratiser le sport dans tous les secteurs.

S’agissant de la crise des droits TV, pourquoi la diffusion en clair de matchs de Ligue 1 est une mesure absolument nécessaire pour redynamiser l’engouement autour du football français?

Je pense que la diffusion en clair redonnera de l’attractivité au sport français. Il faut rendre le sport plus accessible. J’ai tout à fait conscience que les droits TV sont jusqu’à présent valorisés. Mais à mon sens, il y a une réflexion à mener autour des appels d’offres et la manière dont les droits TV sont commercialisés. Il faudrait peut être envisager de ne pas se cantonner qu’au support télévision. Il en existe d’autres. La diffusion d’un match de Ligue 1 pourrait aider à redynamiser l’engouement autour de la Ligue 1 et la Ligue 2. On pourrait peut-être aussi trouver des lots qui toucheraient davantage de personnes en fonction de leur âge ou de leur manière de consommer le sport. Il y a d’autres solutions pour redynamiser le sport français et adapter son modèle économique, cela passe par une diversification des sources : par le sponsoring, plus de partenariats d’entreprises, moins d’inflation des salaires. Tout cela dans l’idée d’équilibrer les budgets. L’idée de diffuser un match en clair, non forcément sur une chaîne publique, n’est pas synonyme de contre productivité mais plutôt d’attractivité.

Quels sont les grands traits de la proposition de loi pour « démocratiser le sport en France » débattue en séance publique depuis le 17 mars? Concrètement, qu’est-ce qui va changer pour le sport français?

L’idée du Titre 3 consacré au modèle économique sportif, qui s’adresse principalement au sport professionnel notamment. Nous avons présenté certains axes tels que : la lutte contre le streaming illégal, la création d’une société commerciale (s’adressant aux ligues professionnelles qui souhaiteraient faire venir des investisseurs privés). L’idée est de donner des clés au sport professionnel français pour se relancer post crise tout en évitant de remettre en cause la souveraineté du sport français. 

La proposition de loi aborde le point sensible qu’est : l’honorabilité des acteurs dans le sport, comment cela va-t’il se concrétiser en pratique, notamment au regard des acteurs bénévoles ?

L’objectif est de faire en sorte que ce contrôle, que l’on a élargi dans la loi en termes de conflits d’intérêts et de déclarations de patrimoine (contrôle HATVP – Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique), soit le plus effectif et efficace possible. Il y a actuellement une expérimentation d’une disposition pour croiser ce qu’on appelle les fichiers FIJAIS : Fichier Judiciaire des Auteurs d’Infractions Sexuelles. C’est une disposition de nature réglementaire mais c’est le Ministère des Sports qui en a la charge. L’idée est d’avoir un contrôle de l’honorabilité des acteurs du sport et notamment les bénévoles. On est sur quelque chose qui doit répondre aux différents faits divers d’actualité de violences sexuelles dans le sport.

Les députés ont voté récemment un amendement ayant pour objectif de faire entrer les sportifs dans les comités directeurs des fédérations. Qu’est-ce-que cela symbolise ? Est-ce un moyen, entre autres, de mieux préparer la France pour Paris 2024 ?

Tout d’abord, cela répond à une demande. Cela fait plusieurs années qu’ils nous demandent cette disposition autour d’un groupe de travail organisé par le CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Français). Une de leurs principales revendications porte sur la place de l’athlète dans une fédération. Ils souhaitent participer, avoir des représentants qui aient au moins une force de participation dans le vote des Assemblées électives. Ce premier point a été entériné. Les athlètes auront leur mot à dire et c’est très bien ainsi. C’est un moyen de les faire participer à la préparation et à l’esprit de Paris 2024. C’est toujours intéressant d’avoir ce retour d’expérience des athlètes afin de permettre le développement du sport français. 

« La proposition de Loi Sport vise à soutenir notre modèle sportif français autour de la solidarité, tout en développant notre compétitivité ». Pouvez-vous expliquer ce passage brièvement?

C’est tout l’équilibre qui m’anime depuis que je m’intéresse à cela. C’est l’équilibre de l’économie du sport (nécessité pour financer la pratique du sport) avec une compétitivité du sport professionnel au profit d’une solidarité pour le sport amateur. Mieux le sport professionnel va, mieux le sport amateur se portera. 

Comment concevez-vous, dans le futur, le modèle économique du sport français ?

Je le conçois diversifié. On a une trop grande dépendance aux droits TV. Il faudrait conforter ces droits tout en trouvant d’autres sources de revenus pour les différents clubs (partenariats, hospitalités…). On peut même penser à développer des interactions sociétales. Un club professionnel a des impacts sociaux sur son territoire, ne serait-ce que le lien qu’il a avec les clubs amateurs, mais aussi par les actions sociales qu’il peut mener. Tout cela permettra d’avoir un échange vertueux, d’impliquer davantage les collectivités territoriales, les acteurs économiques du territoire. En réalité, je vois surtout l’évolution d’une structure économique en une structure économique sociale et solidaire. Le milieu du sport doit s’ouvrir.

L’article 10 de la loi sport est consacré au streaming illégal. Pourquoi la législation actuelle est -elle insuffisante? Quels outils seront mis en place dans le cadre de cette lutte?

La législation actuelle n’existait pas en réalité. L’article 10 vient instaurer une nouvelle réglementation en la matière. Il s’agit à la base d’une initiative des ayants-droits qui devaient faire une procédure « classique » pour pouvoir demander à ce qu’il y ait réparation en matière de streaming illégal devant le juge. Le problème, c’est que le streaming illégal est un phénomène très compliqué à endiguer. Il y a notamment la problématique des sites miroirs : vous en fermez un et un autre légèrement différent est créé juste après. Ainsi, toute la question réside dans cet article 10 autour de la rapidité du juge. Concrètement, les ayants-droits ont généralement identifié une liste de sites illégaux de streaming. Ils iront devant le juge avant chaque début de compétition sportive. Ils iront intenter une action devant le juge, ce dernier rendra une ordonnance s’il considère la liste légitime. Cette ordonnance est valable pour une durée de 12 mois. C’est là que nous rentrons en jeu. Sur le fondement de cette liste, nous avons mis en place une mission de tiers de confiance avec l’autorité indépendante « Hadopi ».  Celle-ci est la courroie de transmission et permettra de lutter contre ce phénomène de sites miroirs. La Hadopi aura la qualité, sur la base de l’ordonnance, de considérer si un site est miroir ou non. Par conséquent, elle pourra donner l’instruction à l’opérateur, ou l’hébergeur, ou encore le moteur de recherche, de déréférencer, bloquer ou de supprimer le lien pendant toute la durée de la retransmission en direct. C’est important de préciser que ce n’est pas une mesure définitive.

Quel regard portez-vous sur le phénomène de radicalisation dans le sport? Que pensez-vous de « l’oubli » du sport dans la loi contre le séparatisme ?

La radicalisation dans le sport est un vrai sujet, réellement important. Le groupe « sport » mené par François Cormier Bouligeon a fait des auditions, et ce qui en ressort c’est que le sport est l’un des secteurs les plus à même de faire face à des phénomènes de radicalisation. Cela s’explique notamment par le fort lien social qui est tissé dans le sport et notamment dans le milieu associatif. Ce lien social peut être utilisé par des personnes malintentionnées pour inculquer des contre valeurs de la société. Tous les terroristes depuis 2012 sont passés par le sport, c’est un fait. Que cela soit des associations, des sports de combat… Il y a parfois une volonté pour les radicalisés de s’aguerrir par le sport car le sport peut en effet être un vecteur de radicalisation comme d’aguerissement. Dans le projet de loi contre le séparatisme, un article 25 est consacré au sport. Il y a une volonté de supprimer la tutelle du Ministère des Sports sur les Fédérations sportives et de remplacer cette tutelle par un contrôle. L’État a donc un contrôle plus effectif sur celles-ci et notamment en matières de questions régaliennes. Cet article 25 demandera à toutes les Fédérations et associations de signer le contrat d’engagement républicain et de respecter les valeurs républicaines.

Il y a deux amendements qui ont été voté également, afférents à la signature d’une charte de respect des principes des valeurs de la République par l’Agence Nationale du Sport et le CNOSF. Toutes les composantes et acteurs du sport sont donc concernés.

Certains acteurs du sport se disent déçus de cette proposition de loi. Qu’avez-vous à répondre à cela?

« C’est une brique, il y a encore toute la maison à construire ». On sait que cela ne se fait pas en un jour, c’est une proposition de loi qui est complètement dans son rôle, qui pose des marqueurs structurels et des intentions politiques comme la parité par exemple. Nous avons aussi milité pour qu’il y ait plus de participation des clubs en termes de vote aux élections des présidents, c’est ce qu’on appelle de la démocratie participative. Il faut noter que c’est une proposition de loi qui émane des députés donc son champ de discussion est forcément plus réduit en temps. On a été obligé de faire des choix, qui ont pu en frustrer certains, mais j’ai envie de dire que c’est mieux que rien. Sans cela,  il n’y aurait pas de projet de loi. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. Je pense qu’il faut avant tout se satisfaire que l’on puisse parler de sport plus fréquemment dans l’hémicycle. Cette proposition de loi n’a  jamais été considérée à mes yeux comme une loi pour “solde de tout compte”. J’ai envie de dire aux acteurs du sport que les autres problèmes parallèles afférents au sport français seront traités dans d’autres véhicules législatifs, à commencer par le projet de loi de finance rectificative avec des mesures financières qui arriveront sous peu. Une loi ne peut résoudre tous les problèmes d’une traite, c’est un outil qui vient aider à son échelle d’autres outils déjà présents dans le sport français et qui sera complété par d’autres outils ultérieurement. On en veut toujours plus mais cela n’est pas un point final, au contraire, c’est le début de nombreuses mesures dans le sens du modèle économique du sport français.

La proposition de loi est maintenant partie au Sénat, pouvez-vous nous indiquer quelques dates à retenir pour les prochaines semaines ? Quel serait le calendrier approximatif jusqu’à la publication de la loi ?

Le Gouvernement a actionné la procédure accélérée sur ce texte. Nous avons la volonté d’aller vite et que ce texte, et notamment son dispositif de lutte contre le streaming illégal, soit applicable dès la prochaine saison sportive.

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