La fantasy league est un jeu en ligne qui propose aux participants d’acquérir et de collectionner des cartes de sportifs professionnels (réels) afin de constituer leur propre équipe. Comme tout bon manager, le joueur a la possibilité de gérer librement ses effectifs, notamment par l’acquisition et la cession de sportifs. Ses connaissances techniques du sport et ses qualités stratégiques lui permettent ainsi d’affronter les autres concurrents pour la constitution de la meilleure équipe virtuelle possible. En effet, en fonction des résultats enregistrés sur le terrain et des performances individuelles des athlètes à l’occasion des rencontres, réelles celles-là, le joueur de fantasy league perçoit en temps réel un certain nombre de points et évolue dans le classement général, voire gagne des récompenses.
Par nature, l’organisation et le déroulement de la fantasy league sont directement adossés à une compétition sportive physique, le plus souvent un championnat national, dont elle exploite aussi bien les données, actions de jeu, performances individuelles et résultats, que le calendrier, la dramaturgie (blessures individuelles, derby, etc.) et les rebondissements. Les cartes à l’effigie des joueurs qui permettent de participer au jeu virtuel et qui sont collectionnées par les participants connaissent d’ailleurs une valorisation et donnent lieu à une spéculation largement calquées sur les actions de jeux intervenues dans le championnat réel.
Dans ce contexte, il est permis de s’interroger sur les relations juridiques susceptibles d’exister entre organisateurs de fantasy league et de manifestations / compétitions sportives : les premiers peuvent-ils se passer de l’accord des seconds ? La présente étude se propose d’exposer les raisons pour lesquelles l’organisation non autorisée et sans contrepartie financière d’un fantasy game pourrait porter atteinte aux droits exclusifs d’exploitation dont jouit l’organisateur sur sa manifestation sportive.
I – Consécration par la Loi d’un droit préexistant : le droit exclusif de l’organisateur sur sa manifestation sportive
La France a choisi de reconnaître une protection légale aux manifestations et compétitions sportives se déroulant sur son territoire, sous la forme d’un droit de propriété incorporelle sui generis, lequel a été consacré dans la Loi n°92-652 du 13 juillet 1992, (modifiant la loi sur le sport n°84-310 du 16 juillet 1984). L’article L.333-1 alinéa 1 du Code du sport dispose ainsi que les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives, sont propriétaires du droit d’exploitation des événements qu’ils organisent. Véritable pierre angulaire du financement du sport en France, ce texte leur garantit alors une exclusivité d’exploitation.
Avant cela, les droits exclusifs des organisateurs de manifestations et compétitions sportives avaient déjà été consacrés par la pratique contractuelle et les usages (en ce sens Cour d’appel Lyon, 26 mars 1987), ayant reconnu la valeur économique que qu’ils représentent incontestablement, fruit des efforts déployés par leur organisateur.
Pour l’écrire dire autrement, le droit de propriété dont jouit l’organisateur sur sa compétition ou manifestation sportive existe per se : si le législateur français a fait le choix de le graver dans le marbre, il avait d’ores et déjà une existence, ayant été reconnu par la pratique et entériné par les juridictions françaises.
Les dispositions du Code du sport lui ont donc apporté une simple reconnaissance légale, nécessaire à la sécurité juridique de l’exploitation et de la protection de l’événement sportif. Le Législateur français a en effet considéré que la préservation des manifestations et compétitions sportives impliquait nécessairement de sanctuariser les droits des organisateurs afin de leur permettre de conserver le contrôle sur leurs événements également de tirer un profit légitime à partir des flux économiques qu’ils génèrent.
A cet égard, c’est certainement la Cour d’appel de Paris qui a le mieux exposé les enjeux et objectifs poursuivis par l’article L.333-1 du Code du sport (Cour d’appel de Paris, 14 octobre 2009, RG 08/19179) : « Considérant que ces dispositions, inspirées par le souci d’intérêt général de réserver au développement du mouvement sportif les flux économiques induits par le succès populaire et commercial des manifestations sportives les plus emblématiques, et, en l’espèce, de prévenir le risque de corruption des joueurs et d’arrangements préalables sur l’issue des compétitions et, par suite, de préservation des valeurs éthiques du sport qu’il appartient aux fédérations sportives de promouvoir, ont pour finalité de garantir aux organisateurs de tels événements le droit de surveiller la circulation de ces mêmes flux économiques (…). »
II – Un droit exclusif protéiforme et évolutif, couvrant par nature l’ensemble des exploitations de la manifestation sportive
Les droits d’exploitation audiovisuelle des manifestations et compétitions sportives étant expressément cités par ce texte, il ne fait aucun doute qu’ils font partie intégrante des droits exclusifs de l’organisateur visés par l’article L.333-1 précité (Cour d’Appel Paris, 28 mars 2001, RG 1999/09753).
Ce qui ne signifie pas pour autant que le droit de propriété incorporel reconnu à l’organisateur s’y limite. Ce dernier jouit en effet du droit exclusif d’user, de jouir et de disposer de sa manifestation / compétition et ainsi de l’exploiter commercialement sous toutes ses formes, connues ou à venir. Conformément aux dispositions de l’article 544 du Code civil, l’organisateur jouit en effet de l’usus et du fructus sur son événement.
En l’absence de toute précision ou distinction prévue par le Code du sport, il est largement admis que toute forme d’activité économique ayant pour finalité de faire naître un profit et qui n’aurait pas d’existence si la manifestation sportive qui en est le prétexte ou le support nécessaire n’existait pas, doit être regardée comme une exploitation relevant du monopole de l’organisateur.
Aussi, bien que ces prérogatives ne figurent pas expressément dans le texte de la loi, il a par exemple été reconnu par les juridictions françaises que les droits exclusifs d’exploitation des organisateurs de manifestations et compétitions sportives portent notamment sur :
- Le droit d’exploitation des images de compétitions (Cour d’appel Paris, 1erfévrier 2006, RG 04/12252 ; Cour d’appel Paris, 15 décembre 2010, RG 09/11790 ; TGI Paris, 5 juillet 2016, RG 16/05292 ; Com. 17 mars 2004, Pourvoi n° 02-12771 et sur renvoi après cassation, Cour d’appel Paris, 1er février 2006, RG 04/12252) ;
- Les droits de merchandising (produits dérivés) (Edition d’un livre : Tribunal de Commerce Nanterre, 12 décembre 2002, CCE février 2003, page 31) ;
- Le droit d’organiser un jeu concours consacré à l’événement sportif (TGI Paris, 30 mars 2005, RG 04/4992, disponible sur lesgalis.net);
- Le droit de consentir à l’organisation de paris sportifs en ligne sur leurs résultats (Cour d’appel de Paris, 14 octobre 2009 précité, confirmant TGI Paris, 30 mai 2008, RG 08/02006) ;
- Le droit d’exploitation de la billetterie (TJ Paris, 6 juillet 2023, RG 23/02177).
Ce faisant, les juridictions françaises rappellent qu’il est tout à fait légitime que chacun des flux économiques générés par l’exploitation d’une manifestation puisse bénéficier à, mais également être contrôlé par, l’organisateur qui en est à l’origine. Elles rappellent par ailleurs qu’il convient clairement de distinguer l’existence du droit de sa reconnaissance dans un texte législatif, les deux n’étant pas nécessairement liés.
L’ouverture du marché français des paris sportifs en ligne en apporte une autre illustration intéressante. C’est en effet à la jurisprudence qu’il est tout d’abord revenu de juger que cette prérogative relève du droit exclusif de l’organisateur de manifestation/ compétition sportive (Cour d’appel Paris, 14 octobre 2009, précité) ; et ce n’est finalement que dans un second temps que le périmètre de la protection de ce droit a à nouveau été précisé pour y intégrer expressément l’organisation des paris sportifs en ligne (Loi n°2010-476 du 12 mai 2010 ; Article L.333-1-1 du Code du sport : « le droit d’exploitation défini au premier alinéa de l’article L. 333-1 inclut le droit de consentir à l’organisation de paris sur les manifestations ou compétitions sportives« ).
III – La fantasy league : extension digitale de la manifestation sportive ?
Ainsi que la Cour d’appel de Paris l’a expressément rappelé (Cour d’appel Paris, 28 mars 2001, RG 1999/09753), les droits exclusifs de l’organisateur sur l’exploitation de sa manifestation ou compétition sportive existent indépendamment d’une éventuelle consécration dans un texte de Loi. Ils imposent à quiconque souhaite exploiter commercialement un événement sportif de solliciter l’accord préalable de son organisateur.
S’agissant des fantasy leagues, il est certain que le jeu virtuel n’aurait pas d’existence, d’intérêt ni d’attrait s’il n’existait pas un championnat sportif physique, qui lui tient lieu de support et qui en fournit le matériau. Les actions de jeu sur le terrain (dont les blessures de sportifs…) étant répercutées en direct et au fur et à mesure sur la cotation et la valorisation des cartes numériques à collectionner, le jeu virtuel fait figure d’extension digitale du championnat sportif auquel il est indissolublement adossé. En effet, tous deux partagent ensemble les mêmes :
- Calendrier (c’est-à-dire les dates de début et de fin des championnats mais également l’ordonnancement des rencontres et la dramaturgie associée) ;
- Date, lieu et équipes participant à chaque rencontre ;
- Déroulement des rencontres (dont les performances individuelles des sportifs, les faits de jeu, le nombre de buts, les fautes, etc.) ;
- Résultats.
Dès lors que les éléments constitutifs d’un championnat sportif sont exploités commercialement, dans la vie des affaires – à l’inverse de ce que pourrait faire un organe de presse dans le cadre du droit à l’information – c’est-à-dire comme supports / instruments pour générer un profit économique, il semble légitime de considérer que se trouve caractérisée une « captation injustifiée d’un flux économique » (au sens de la jurisprudence précitée) portant atteinte aux droits exclusifs d’exploitation reconnus à l’organisateur par l’article L.333-1 du Code du sport.
Deux séries d’arguments nous semblent par ailleurs militer en ce sens.
En premier lieu, le parallélisme avec les paris sportifs en ligne apparait évident. Si les résultats et événements futurs et soumis à l’aléa de la manifestation / compétition sportive (score, vainqueur, nombre de buts, premier buteur, buts de la tête, etc.) peuvent parfaitement être le support d’un droit exclusif d’exploitation en matière de paris sportifs en ligne, rien ne justifierait un traitement différent s’agissant des fantasy league qui les exploitent tout autant. Dans les deux cas (paris en ligne / valorisation de la fantasy league et de ses cartes), l’activité en cause est structurellement liée à l’exploitation des résultats de la manifestation sportive à intervenir, c’est-à-dire de l’aléa.
Aux termes d’un jugement du 11 juin 2020 (définitif, RG 19/05863), le Tribunal judiciaire de Paris a également retenu que le fait de retransmettre sur un échiquier virtuel, en temps réel, les mouvements des pièces d’un échiquier réalisés par les joueurs à l’occasion de la partie organisée dans le cadre du championnat du monde des échecs porte atteinte au droit de propriété de l’organisateur de la rencontre. A nouveau, la (quasi) simultanéité entre la compétition physique et son exploitation en ligne a convaincu les juges d’entrer en voie de condamnation.
En second lieu, il convient de rappeler que le droit de propriété consacré par la loi vise certes à rétribuer l’organisateur en contrepartie des efforts et investissements consentis, mais également à lui assurer les outils et moyens juridiques pour contrôler les exploitations qui sont faites de sa manifestation / compétition sportive.
L’organisation d’un fantasy game – donnant lieu à la collection, à la vente et à la revente de cartes numériques à l’effigie des joueurs du championnat physique – fait nécessairement courir un risque spéculatif pour l’événement sportif, dès lors qu’elle n’est accompagnée d’aucun contrôle. L’objectif de prévention des risques d’atteintes à l’éthique sportive, à la loyauté et à l’intégrité des compétitions qui a présidé à la régulation de l’ouverture du marché des paris sportifs en ligne par la Loi n°2010-476 du 12 mai 2010 trouve donc tout autant à s’appliquer s’agissant des fantasy leagues qui font courir des risques similaires.
Citons ici des extraits du rapport de l’ARJEL (devenue ANJ) sur le droit au pari (février 2013, page 25) et de l’instruction 2013/76 du Ministre des sports en date du 28 février 2013 relative à la lutte contre les paris sportifs illégaux, dont la motivation apparait parfaitement transposable à la problématique qui nous occupe :
« L’exercice du Droit de Propriété de l’organisateur sportif dans le cadre de l’activité de paris en ligne apparaît « justifié par des motifs d’intérêt général tenant tant à la préservation de l’éthique qu’à la prévention de la fraude, au maintien de l’intégrité sportive et de celle des opérations de jeu. Il s’agit de garantir directement la protection des consommateurs et l’ordre public et social » (Rapport de l’ARJEL).
« Le Droit de Propriété des organisateurs est (…) un outil de préservation de l’intégrité des compétitions sportives » (Instruction du Ministre).
Ainsi, une approche téléologique des dispositions de l’article L.333-1 du Code du sport commande tout autant d’attraire les fantasy leagues dans son champ d’application et de reconnaitre ainsi aux organisateurs de manifestations ou compétitions sportives (réelles) le droit de s’opposer à toute exploitation digitale sur laquelle ils ne bénéficient d’aucun pouvoir de contrôle.
IV – Et le parasitisme ?
Si la présente étude propose un focus sur le droit de propriété de l’organisateur, d’autres fondements juridiques semblent pouvoir être valablement invoqués à l’encontre des fantasy leagues (notamment le droit sur l’image collective), au premier rang desquels figure évidemment la responsabilité civile de droit commun et plus particulièrement le parasitisme (article 1240 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer»).
Selon une jurisprudence constante, le parasitisme économique se définit comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique « s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire« , ou encore notamment « tire ou tente de tirer profit de la valeur économique acquise par autrui au moyen d’un savoir-faire, d’un travail de création, de recherches ou d’investissements, de façon à en retirer un avantage concurrentiel« .
En matière sportive, la doctrine désigne couramment le parasitisme sous la dénomination «d’ambush marketing» ou «marketing sauvage». Aux termes d’un jugement du 5 novembre 2010 (RG 09/00413), le Tribunal de grande instance de Paris a eu l’occasion de définir l’ambush marketing comme « un ensemble de techniques de marketing utilisées par une entreprise pour se rendre visible lors d’un événement sans avoir versé l’argent nécessaire à ses organisateurs pour en devenir sponsor officiel et pouvoir y associer son image« .
Les décisions des juridictions françaises sont désormais de plus en plus nombreuses à sanctionner au visa du parasitisme les comportements consistant à créer une association / filiation illégitime avec un événement sportif, autrement dit le fait de donner l’illusion ou de laisser croire qu’un tel lien existerait (TGI Paris 28 novembre 2007, RG 06/08916 ; TGI Paris, 8 février 2013, RG 11/08731 ; TGI Nanterre 27 mars 2014, RG 12/05318 ; TGI Paris, 10 avril 2014, RG 12/15470).
Or, il semble difficilement contestable que le fait de mettre à la disposition des internautes un fantasy game dédié à un championnat sportif (réel) – dont il reprend les dates d’organisation et utilise les données, résultats et déroulement mais également le calendrier – crée une association avec l’organisateur de cet événement et permet de bénéficier ainsi, sans bourse délier, de ses efforts, de son savoir-faire et de ses investissements.
Thibault LACHACINSKI
Avocat à la Cour – Cabinet NFALAW Avocats (www.nfalaw.com)