La crise sanitaire due à la pandémie de Covid – 19 a touché la totalité des pans de notre société. Le monde du sport n’a pu y échapper et sa puissance économique a été mise à mal. À cela s’ajoute une notion de précarité sportive pour les sportifs et sportives, toutes et tous privés d’entraînement et de compétition pendant plusieurs semaines. Aussi, cette crise s’est-elle traduite à nouveau durant une période phare de l’année football : le mercato estival.
I/ Le fonctionnement initial du marché des transferts :
Petit rappel, le mercato est la période pendant laquelle s’effectue la grande majorité des transferts des joueurs de football professionnel. En l’absence de définition légale, le transfert peut se décrire comme l’opération par laquelle un club met fin au contrat d’un de ses joueurs (salarié) afin qu’il s’engage avec un autre employeur (club), lequel s’acquittera du paiement d’une indemnité de transfert, pour dédommager le club vendeur de la perte de son salarié.
Le mercato est la période la plus exaltante de l’année : des milliards sont dépensés pendant cette période, le dernier jour est aussi stressant qu’un excellent Hitchcock, les rumeurs vont bon train et n’importe quel joueur peut potentiellement être débauché. Le fait est que depuis une dizaine d’années, le cap des 100 millions d’euros est régulièrement atteint : Eden Hazard (100M€ Chelsea vers le Real Madrid à l’été 2019) – Paul Pogba (105M€ Juventus vers Manchester United à l’été 2016) – Antoine Griezmann (120M€ Atletico Madrid vers FC Barcelone à l’été 2019) ou encore Neymar et son record à 222M€ pour partir du FC Barcelone vers le Paris Saint-Germain.
L’année 2019 a d’ailleurs été l’objet d’un autre record astronomique : 6.6Mds € ont été dépensés par les clubs du Big Five (Angleterre, Espagne, Allemagne, Italie, France). Cette année-là, le prix d’un joueur « a augmenté de 31% par rapport à l’année précédente ».[1]
Ainsi le football, malgré sa folie des grandeurs en constante augmentation depuis quelques années, se portait bien et son développement continuait de croître. Or, la crise sanitaire est venue mettre à mal cette expansion et s’apparente à un véritable coup de frein pour le monde du football.
II/ Le mercato de la saison 2020-2021 :
Tout juste terminé, le mercato nous a offert de nombreuses surprises en termes de signature. Sur le plan temporel déjà, avec un mercato entamé bien plus tard qu’à l’accoutumée et qui se termine alors même que 6 journées de championnat ont été jouées en Ligue 1 par exemple. Sur le plan sportif, nous avons pu observer une suractivité de certains clubs comme le Stade Rennais Football Club (SRFC) ou encore la crise au FC Barcelone suite à la volonté de départ de Lionel Messi (Argentine). Cependant, l’aspect sportif a vite été rattrapé par les conséquences financières découlant de la crise sanitaire de la Covid – 19. Cette perspective avait d’ailleurs été anticipée par le monde des agents, notamment par Yvan Le Mée (agence Sport Profile consulting), qui avait annoncé, avant même l’ouverture du mercato, que très peu de clubs français étaient en capacité d’acheter.
Le site Transfermarkt a rapidement pu mettre en avant la forte baisse des dépenses durant cet été 2020. Le constat est le suivant : quasiment 50% de dépenses en moins pour les clubs du Big Five, passant de 6.6 Mds€ à environ 3Mds€. Autre fait marquant, le cap des 100M€ n’a pas été passé, et celui des 80M€ ne l’a été que deux fois. Cette baisse peut se traduire championnat par championnat : – 65% en Bundesliga ou encore – 48% en Ligue 1. De plus, les joueurs ont tous perdu de la valeur marchande en l’absence de matches joués pendant quasiment deux mois. La perte de la valeur correspond à une baisse de l’indemnité dont s’acquitte le club recruteur pour dédommage le club vendeur. Paul Pogba, par exemple, a vu sa valeur se réduire de quasiment 30M€, passant de 65 à 35M€.
C’est la raison pour laquelle le mercato 2020 restera dans les annales du fait de l’augmentation substantielle du nombre de prêts. En effet, « Les clubs ont d’énormes problèmes de trésorerie, et avec les prêts, ils peuvent ne pas toucher à cette trésorerie. Ça leur permet de se libérer de tout ou d’une partie du salaire d’un joueur dont ils n’ont pas besoin ».[2] L’Observatoire du football en a d’ailleurs fait le constat : la proportion de transferts payants a fortement baissé cet été, bien en-deçà de la barre des 20% qu’elle atteint chaque année.
Le cas de la Ligue 1 est malheureusement révélateur de cette crise : la « Ligue des Talents » ne peut plus s’exporter aussi facilement car les acheteurs habituels ne sont plus présents à la table des négociations. Le transfert de Victor Osimhen (80M€ de Lille vers Naples) relève quasiment de l’anomalie au regard de la difficulté de cet été. Le tableau reste cependant à nuancer car même si des gros clubs tels que l’Olympique Lyonnais ont eu énormément de mal à se séparer de plusieurs joueurs, les promus ont dépensé jusqu’à 23M€, chose impensable il y’a encore dix ans.
Les conséquences à l’avenir ?
Le futur n’est pas tant concentré sur la baisse des dépenses que sur le renforcement de la stabilité des clubs. La crise sanitaire a eu un autre effet sur les clubs : ils sont devenus regardants à la dépense, à tel point que même le grand Real Madrid n’a accueilli aucun nouveau joueur dans son effectif durant cet été.
La montée en puissance du prêt est caractéristique de cette frilosité des clubs à investir sur le futur, étant donné son incertitude. Les compétitions pour le moment se jouent, mais avec des recettes billetterie en chute libre et surtout une épée de Damoclès au-dessus des compétitions : l’arrêt des championnats. Le futur du marché des transferts dans le football est rempli d’incertitudes et pose déjà la question d’un renouvellement de la régulation économique au niveau international.
[1] Rapport mensuel de l’Observatoire du football CIES n°47 – Septembre 2019
[2] Jean-François Brocard, économiste du sport au CDES de Limoges.