Le monde de l’industrie automobile est l’un des plus grands utilisateurs du brevet. Se réservant de manière récurrente la première place du podium en France des entreprises innovant le plus sous couvert du brevet, questionner cet outil au travers d’un tel secteur pourrait sembler inapproprié.
Pourtant, il est monnaie courante de nos jours de constater que c’est leur instrument de protection de prédilection qui leur porte aussi atteinte. Les voitures connectées sont la représentation même des obstacles que peuvent rencontrer les marques automobiles dans la course à l’innovation, lorsque ces dernières souhaitent intégrer à leur véhicule des technologies diverses déjà brevetées.
Cependant, malgré ces difficultés, le brevet reste l’instrument le plus utilisé de l’industrie automobile, oui, mais précisons-le, de l’industrie automobile civile. Qu’en est-il du deuxième pan de cette industrie : l’industrie automobile sportive, et plus particulièrement le monde rempli d’innovation qu’est celui de la Formule 1 ?
À la vue de la protection de l’innovation que confère le brevet, dresser deux domaines internes à la même industrie, l’un face à l’autre, semble laisser présager d’une réponse instinctive : l’industrie de l’automobile civile regorge d’innovations, et appelle donc à une protection massive par le brevet.
Ainsi par déduction, le monde de la Formule 1, chargé d’innovations encore plus poussées, devrait à fortiori recourir de manière encore plus conséquente à cet outil. Paradoxalement, ce schéma, aussi logique qu’il soit, n’est pas réel.
Ainsi, une question s’impose : comment l’outil contractuel a permis à la Formule 1 d’implémenter autour d’un brevet rigide, un cadre protecteur souple, indispensable au bon exercice de la course à l’innovation qui la caractérise?
I. Le brevet : Une protection incompatible avec le monde ultra-concurrentiel de la Formule 1
Le brevet dispose donc de qualités indéniables en général, mais surtout aux yeux de l’industrie automobile civile. Il est vrai, quand bien même ce dernier ne peut être totalement omis par l’industrie automobile sportive, ce sont nombreux de ses points forts dans un domaine qui font ses écueils dans un autre.
Le point fort central d’une part relève de l’effet erga omnes du brevet. En effet, le brevet par la propriété qu’il confère implique que toute création dont des caractéristiques empiètent sur une technologie protégée permettront d’entamer une action en contrefaçon. La propriété en ce domaine constitue donc un monopole de l’innovation. Or, c’est justement un monopole tel qui irait contre l’essence du sport automobile, toujours à la recherche d’évolutions technologiques collectives et donc de performance. En effet, James Allen démontre bien la réalité du sport, permettant de déduire qu’un outil tel que le brevet ne peut être la clé au type de protection souhaité : « En gardant un nouveau concept libre d’être copié, une écurie peut miser sur le fait qu’elle fera du meilleur travail que les autres. [Certaines innovations], si avaient été brevetées par des écuries de F1, auraient été tuées dans l’œuf ».
Sans nul doute qu’une telle protection aurait été nécessaire et vectrice d’un fort pouvoir de marché sur le marché de l’industrie automobile civile. En effet, le but étant de vendre, de réaliser du profit, l’enjeu commercial aurait guidé les constructeurs automobiles à protéger au mieux leurs créations. Le but aurait été de priver la concurrence de nouveaux procédés. Ce n’est pas la même perspective que la compétition automobile offre. Il est vrai, comme exposé plus tôt, c’est la faculté de pouvoir tirer vers le haut chaque compétiteur qui est recherchée en Formule 1. Le jeu de la compétitivité sera le seul qui primera, plutôt que celui de la protection à tout prix. Ainsi, la différence centrale justifiant nécessairement de la différence de pertinence entre le recours au droit des brevets au sein de l’industrie automobile civile, et au sein de l’industrie automobile de compétition réside en le but recherché : à l’inverse d’un domaine guidé par la performance financière pure, la Formule 1 n’élira pas en vainqueur celui qui protège le plus l’innovation, mais plutôt celui qui l’exploitera le mieux.
Ainsi, ce monde ultra-compétitif ayant vite constaté de l’impertinence de recourir au brevet pour protéger ses concepts de manière souple, a parallèlement dompté l’arsenal juridique contractuel pour faire de sa discipline, le premier terrain mondial de course ouverte à l’innovation.
II. Le secret d’affaire : arme contractuelle indispensable à une protection souple mais complète
Le monde de l’automobile de compétition fait donc face à un modèle de protection général trop rigide pour toutes les innovations incrémentales qu’il exploite. Ainsi, la créativité du domaine s’est vite transposée en créativité juridique : il a rapidement été question dans les faits de recourir à la souplesse du contrat pour entériner un modèle de protection qui repose maintenant de manière quasi-essentielle sur le secret d’affaire.
La raison est simple : le monde de la Formule 1 voit en le secret d’affaires un outil polymorphe et souple, plus approprié. Il est vrai que le secret a pu prendre une forme avantageuse car il s’est inspiré des défaillances du brevet. Sans cet outil contractuel n’aurait pu être promu la protection la plus complète et surtout la plus adaptée à un domaine dynamique, sans cesse en évolution. A titre d’illustration, un tiers ne pourra sous l’égide du secret être poursuivi si ce dernier démontre qu’il a acquis l’information par un développement indépendant, ou par analyse inverse de produits mis sur le marché. L’innovation peut donc beaucoup plus rapidement être imitée, soit un système de protection des plus adapté au jeu de chat et souris auquel se livrent les différentes écuries de Formule 1 par exemple.
Le secret prend tout autant une longueur d’avance face au brevet dès lors que ce dernier ne protège que des innovations, lorsque le secret lui, peut s’étendre bien au-delà, à toute la sphère qui participe à l’innovation centrale. Sont protégés alors au même titre que l’innovation tout type d’information technique ou commerciale ayant une valeur du fait qu’elle n’est pas accessible au tiers.
Le secret, par cette caractéristique, va donc bien plus loin que le concept de savoir-faire et le régime protecteur s’y rattachant par exemple, ce qui est un point crucial lorsque l’on se réfère à notre étude de cas : le monde de l’innovation de la Formule 1. Il est vrai, par le secret n’est pas seulement protégé un moteur : ce sont les logiciels, la documentation, les dossiers de fabrication, les méthodes d’essais et les données en découlant qui le sont avec.
Le secret trouve aussi l’une de ses forces dans la largeur de concept qu’il implique. Le brevet ne se pose que dès lors qu’une condition stricte de nouveauté est confirmée. Le secret, lui, axé sur des critères d’accessibilité́ de la connaissance aux personnes du secteur concerné, et sur les efforts pour y accéder, protège des éléments qui ne pourraient pas forcément l’être par le brevet, et qui pourtant sont déterminants. Ce trouble de la rigidité fait écho au handicap temporel que sous-entend la volonté de protéger son innovation au travers d’un brevet. Une procédure fastidieuse est le seul moyen de parvenir à une protection réelle. Ce processus est d’ailleurs très bien développé par F. Hagel, responsable Propriété́ intellectuelle chez CGG Veritas Services :
« Dans le cas du brevet, l’acquisition du droit exige le dépôt d’une demande auprès de l’administration compétente et la délivrance d’un titre par cette administration. Ces procédures ont un coût significatif, qui augmente avec la complexité́ du dossier et l’extension géographique. Dans le cas du secret le coût de la protection s’inscrit normalement dans celui de l’ensemble des mesures de sécurité́ et de traitement de l’information de l’entreprise ».
Enfin, c’est l’avantage géographique du secret d’affaires qui accentue la force d’un tel système pour un championnat international, dont les innovations sont conçues dans un état, testées dans un autre pour être exploitées ensuite dans 20 pays différents au cours de la saison. Le secret n’a pas de limite territoriale. Le brevet, lui, dispose de la difficulté manifeste, qui est d’ailleurs corrélée au lourd processus pour parvenir à la protection d’une innovation, de ne valoir que sur un territoire particulier. Le secret a donc une extension mondiale naturelle non négligeable, dont le brevet ne peut se prévaloir que suite à des coûts temporels et financiers supplémentaires.
Ainsi, le brevet n’est pas l’instrument le plus convoité par les acteurs opérant en Formule 1. Le secret lui, dispose d’une capacité d’adaptation et d’un régime souple, rapide, qui correspond à l’identité même d’un tel sport. Correspondant aux enjeux commerciaux de l’industrie automobile civile, il est maintenant possible de confirmer que lorsqu’on oppose le monde de l’industrie de l’automobile civile à celui de la Formule 1, le droit des brevets présente bien deux vitesses différentes. Le premier monde y a recours à tour de bras, lorsque le second lui, n’y aura recours que le plus rarement possible. Toutefois, si c’est un droit à deux vitesses pour deux domaines respectifs qui semble apparaitre, il ne peut être omis dans le cadre de la Formule 1 que, l’une ne va pas sans l’autre. Il est donc question d’aborder à la suite de ce bilan la complémentarité de ces deux modes de protection de l’innovation.
III. Conclusion : Secret et brevet : illustration d’une complémentarité bénéfique à l’innovation
Finalement, le brevet et le secret, par leur différence, seraient les deux outils clés à un système complet de protection de l’innovation. D’un premier point de vue général, c’est la liberté́ d’entreprendre qui ici bénéficie de cette dualité́ des protections offertes. Non-pas que celle-ci soit réprimée par le mode de protection initial et unique que le brevet voulait offrir, mais dorénavant, tout créateur, tout domaine, tout acteur dispose de tous les moyens nécessaires et adéquats pour protéger le type d’innovation qui le concerne. Comme vu précédemment, le constructeur de véhicule de ville n’aura ni les mêmes besoins, ni la même volonté de protection que le constructeur de véhicules de course par exemple.
D’un point de vue maintenant plus centré sur l’innovation et le développement technologique, l’avènement de ces deux instruments est tout autant favorable aux créateurs, chercheurs inscrits dans un processus d’innovation. Il est vrai, lorsque le secret pourra étendre sa protection à de nombreuses informations de développement, le brevet lui, sera celui qui pourra être sollicité pour protéger les résultats ayant un caractère d’innovation brevetable. Ces résultats étant minimes comparés à ceux passant sous la protection du secret pour le monde de la F1, il n’en reste pas moins que les éléments pouvant et devant être protégés par le brevet représentent souvent les concepts de base sur lesquels les développements sont faits, impliquant donc une importance stratégique conséquente.
Alors, si en F1 ces pièces centrales sur lesquelles s’appuient le développement entrent dans la nouvelle ère du brevet, celle de l’open data, le secret pourrait venir jouer un rôle encore plus complémentaire qu’auparavant. Le secret serait dans ce cadre l’option la plus avantageuse pour protéger des perfectionnements de concepts brevetés antérieurement, tout en conservant l’ouverture à la copie inversée, visant à tirer tous les acteurs du plateau de la F1 vers la performance.