Intégré au pacte républicain, le principe de laïcité a été inscrit dans la Constitution de la Vème République du 4 octobre 1958 à son article premier. Aux termes de ce dernier, « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
Pour autant le principe de laïcité est au cœur de tous les débats, y compris dans le monde du sport.
Réaliser un état des lieux de l’applicabilité de la laïcité dans le domaine du sport nécessite de préciser avant tout ce qu’elle signifie. Ainsi, le Conseil Constitutionnel a rappelé, dans une décision du 21 février 2013[1], que de ce principe de laïcité résulte notamment la neutralité de l’État.
Récemment, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur l’applicabilité du principe de laïcité dans le sport. Cette décision du 29 juin 2023[2] rendue par la Haute juridiction administrative permet aux acteurs du sport de tenter de mieux cerner les contours de la laïcité et comprendre comment il convient de la mettre en œuvre dans le domaine du sport.
Cette décision du Conseil d’État concernait l’article 1er des statuts de la Fédération Française de Football (FFF), lesquels prévoient notamment l’interdiction du port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse lors des compétitions ou manifestations organisées par la Fédération.
Des joueuses ainsi que deux associations ont demandé au président de la Fédération l’abrogation de cette interdiction.
Par une décision du 31 août 2021, le président de la FFF a rejeté les demandes des joueuses et des deux associations, lesquelles ont alors formé un recours en annulation de cette décision pour excès de pouvoir.
Le Conseil d’État a donc eu à se prononcer sur la possibilité ou non pour une fédération délégataire d’apporter, en s’appuyant sur le principe de laïcité et de neutralité du service public, des restrictions à la liberté religieuse des personnes dont elle a la responsabilité au sens large.
Le Conseil d’État procède en deux temps en distinguant d’une part les agents de la fédération délégataire et toutes personnes sur lesquelles elle exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction ; et d’autre part, les autres licenciés de la fédération.
Le Conseil d’État rappelle donc avant tout que le principe de neutralité du service public s’applique aux fédérations sportives délégataires qui ont la charge de l’exécution d’une mission de service public à caractère administratif au regard des missions qui leurs sont déléguées par les articles L. 131-15 et L. 131-16 du Code du sport.
Le Conseil d’Etat en déduit que les fédérations sportives, qui sont chargées d’assurer le bon fonctionnement du service public dont la charge leur est confiée peuvent imposer, à leurs agents et à toutes personnes sur lesquelles elle exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, une obligation de neutralité des tenues. Il est donc précisé, d’une manière générale, que les agents et personnes précédemment mentionnées sont soumises au principe de laïcité rappelé par la loi du 24 août 2021 visant à garantir la neutralité du service public.
Concernant les autres licenciés de la fédération, le Conseil d’État s’appuie sur le pouvoir règlementaire dont bénéficie la FFF en tant que fédération sportive délégataire. Au regard de ce pouvoir règlementaire, il revient à la fédération de déterminer les règles de participation aux compétitions et manifestations qu’elle organise, ou autorise, permettant d’assurer la sécurité des joueurs. Cet objectif, selon le Conseil d’État, permet à la fédération de limiter la liberté d’exprimer leurs opinions et convictions aux licenciés qui ne sont pas juridiquement tenus au respect du principe de neutralité du service public. Ainsi, la fédération pouvait légitimement interdire tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale aux temps et lieux des matchs ; cette interdiction étant adaptée et proportionnée.
Dans ce cadre, cette obligation de neutralité entrainant notamment une restriction au principe de liberté religieuse des personnes, est, selon le Conseil d’État, adaptée et proportionnée afin de garantir le bon déroulement des matchs et prévenir tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport.
Il faut souligner que le Conseil d’État vérifie que la mesure restrictive des droits et libertés est bien adaptée et proportionnée. Ce n’est qu’après avoir réalisé ce contrôle que les juges du Palais-Royal valident cette interdiction concernant les statuts de la FFF. Une interdiction générale de tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale, en tout temps et tout lieu pour les licenciés, perdrait sans doute son caractère adapté et proportionné.
Cette intervention du juge permet ainsi d’affirmer :
- Que les agents des fédérations délégataires ainsi que toutes personnes sur lesquelles elle exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction doivent être en conformité avec l’obligation de neutralité du service public ;
- Qu’il est possible pour les fédérations délégataires d’apporter des restrictions à la liberté d’opinion et religieuse des autres licenciés, sous réserve que ces restrictions soient adaptées et proportionnées.
En 2022, une proposition de loi présentée par le sénateur WATTEBLED[3] sollicitait une intervention législative pour permette d’intégrer ce principe de laïcité et l’interdiction du port de tenue à caractère religieux au sein même du Code du sport.
D’ores et déjà, au regard de la décision du Conseil d’État, il est possible d’affirmer que chaque fédération sportive peut, via ses statuts, rappeler le principe de laïcité et lui faire produire les effets qui en découlent en termes de neutralité.
[1] Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité
[2] Conseil d’État, 2ème – 7ème chambres réunies, 29/06/2023, 458088, Publié au recueil Lebon
[3] Proposition de loi : encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans la pratique du sport https://www.senat.fr/leg/ppl21-638.html