L’affaire Benjamin Mendy : quels subterfuges juridiques pour Manchester City?

par | 5, Oct, 2021

Accusé de quatre viols et d’une agression sexuelle, le footballeur international français, Benjamin Mendy, comparaissait il y a peu devant la Crown Court de Chester, au sud-est de Liverpool. Étude des différents échappatoires juridiques qui se présentent à un club se retrouvant dans la situation de Manchester City.

Pour rappel, Benjamin Mendy a été arrêté et inculpé en août dernier pour viols et agression sexuelle. Placé en détention provisoire le 27 août dernier, la justice britannique a rejeté toutes demandes de liberté conditionnelle. Cette affaire n’ayant pas encore fait l’objet d’un jugement, la présomption d’innocence de l’international français doit être respectée et il est dès lors important de rappeler que le joueur n’est à ce jour coupable, et ce jusqu’à ce qu’un jugement n’établisse le contraire. Cependant, le traitement médiatique et l’émoi suscité par cette affaire a d’ores et déjà considérablement noirci l’image du club mancunien, qui se retrouve de facto associé à cette sombre histoire (Cf : suppression de Mendy de FIFA 22).

Licenciements et réglementation FIFA : la juste cause

Avant de rentrer dans l’intimité du dossier, quelques précisions juridiques s’imposent. Dans leurs rapports contractuels, une clause est presque systématiquement insérée et précise qu’en cas de litige, les parties s’en remettront à la compétence des instances judiciaires de la FIFA (et en cas d’appel, au Tribunal Arbitral du Sport) plutôt que de s’adresser aux juridictions nationales de droit commun. Plusieurs facteurs expliquent un tel choix :

  • La rapidité des décisions ;
  • L’expertise de ces mêmes organes juridictionnels ayant une connaissance parfaite du monde du football et de ses spécificités ;
  • Et surtout, l’efficacité des décisions puisque la FIFA a le pouvoir de prononcer des sanctions sportives très contraignantes à l’encontre des parties qui n’exécuteraient pas les décisions prononcées à leur encontre.

Dès lors, en faisant ce choix, les clubs et les joueurs sont soumis au Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) établi par la FIFA, qui s’inspire des grands principes internationaux du droit du travail et du droit des contrats. Or, l’article 14 du RSTJ donne aux clubs le droit de résilier sans contrepartie et avec effet immédiat le contrat de travail qui les lient avec leurs joueurs à condition que cette résiliation soit justifiée par une « juste cause ».La notion de « juste cause » n’étant pas définie dans les textes de la FIFA, le soin a été laissé au Tribunal Arbitral du Sport d’en déterminer les contours. Le TAS admet la résiliation immédiate du contrat de travail du joueur professionnel de manière restrictive : « Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat ; si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement ». Par « manquement de l’employé”, le TAS entend les cas de violations graves ou répétées par le joueur d’une ou plusieurs obligations découlant de son contrat de travail, mais aussi les cas d’incidents d’une gravité telle qu’ils justifient de facto la résiliation immédiate du contrat.

L’influence prépondérante de la présomption d’innocence

La gravité d’une inculpation pénale, a fortiori lorsqu’il s’agit d’accusations de viols, ne fait aucun doute aux yeux du TAS. Une condamnation pénale justifierait donc le licenciement immédiat et sans compensation par le club, et ce même si cela n’a pas été prévu dans le contrat.

Cependant, comme évoqué plus tôt, Benjamin Mendy n’a en l’occurrence pas encore été condamné ! Dès lors, le joueur étant présumé innocent jusqu’à preuve du contraire, le club ne peut pas motiver le licenciement sur le seul fondement d’une accusation à son encontre puisqu’il n’est à ce jour coupable d’aucune infraction pénale. De plus, même en cas de condamnation en première instance, la présomption d’innocence s’appliquera également au joueur en cas d’appel. 

Le seul cas envisageable qui permettrait au club de licencier son joueur pour « juste cause » avant une condamnation pénale serait le cas où il a été expressément prévu dans le contrat de travail que le joueur sera licencié s’il est arrêté par les forces de l’ordre. Si ce type de clause existe dans certains contrats de joueurs professionnels, nous n’avons pas connaissance du contenu exact du contrat de travail liant l’international français au champion d’Angleterre en titre. Dès lors, sans connaître ce contenu, il est difficile d’apprécier la faisabilité de cette « option » juridique. Il est cependant intéressant de noter que c’est sur le fondement d’une telle clause que Chelsea avait licencié l’ancienne star roumaine Adrian Mutu en Octobre 2004. En effet, à la suite d’un contrôle positif à la cocaïne, le club Londonien avait licencié le joueur en se fondant sur la clause de bonne conduite qui interdisait la consommation de drogues et de substances dopantes.

Le club peut-il mettre fin au contrat en se fondant sur la détention provisoire du joueur ?

Si, comme nous l’avons vu, le respect de la présomption d’innocence semble limiter la capacité du club à rompre le contrat du joueur pour « juste cause » en l’absence de condamnation, les effets de la détention provisoire du joueur pourraient permettre au club de mettre fin à la relation contractuelle sur un autre fondement.

En effet, un contrat est frappé de caducité lorsque l’un de ses éléments essentiels disparaît. Or, la conséquence directe de la privation de liberté du joueur est que ce dernier est évidemment dans l’incapacité d’exercer son activité de footballeur professionnel,assister aux entraînements et participer aux matchs, ce qui constitue les éléments essentiels du contrat. Dès lors, cette impossibilité matérielle pourrait permettre au club de soulever la caducité du contrat et ainsi mettre fin à ses relations contractuelles avec le joueur. La caducité, principe universel de droit des contrats, permettrait dès lors au club de rompre le contrat avec le joueur et ce, indépendamment de savoir s’il est ou non coupable, mais seulement en raison de l’impossibilité d’exécuter le contrat. 

En droit du travail français, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a refusé de reconnaître la caducité d’un contrat à durée déterminée comme un motif de rupture anticipée, sur le fondement de l’article L. 1243-1 du code du travail (Soc. 29 octobre 2008, FS-P+B, n° 07-40.066). En revanche, la jurisprudence de la FIFA et du TAS, bien plus libérale, pourrait tout à fait reconnaître la validité de la rupture anticipée pour ce motif. A ce titre, le code suisse des obligations, applicable aux parties à titre subsidiaire (c’est-à-dire en cas de lacunes de la lex sportiva) dans les procédures devant la FIFA et devant le TAS, donne même au créancier d’un contrat devenu caduque le droit de « demander la réparation du dommage résultant de la caducité du contrat, si le débiteur ne prouve qu’aucune faute ne lui est imputable » (Article 109 Code suisse des obligations).

Pour l’heure, Manchester City a décidé d’adopter une position prudente en suspendant jusqu’à nouvel ordre le joueur et en retirant de ses points de ventes tous les produits à l’effigie du champion du monde français. Cependant, les éléments de réponse développés ci-dessus pourraient offrir une certaine perspective aux clubs se retrouvant dans une situation comparable, et désireux de rompre définitivement et rapidement leurs liens avec un joueur impliqué dans une affaire judiciaire d’une extrême gravité.

Victor Omnès – Stagiaire juridique au sein du cabinet Ruiz-Huerta & Crespo Lawyers

Article publié le 21 septembre dans la Revue After Foot

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