Mission d’information de l’Assemblée Nationale sur la géopolitique du sport
1. Quelle est la place accordée à la protection des droits humains et fondamentaux dans le corpus juridique qui encadre le sport international (conventions de droit international, chartes des organisations sportives ..) ?
Les principales références à la protection des droits humains en relation avec le sport international se trouvent dans la Charte olympique, le cadre stratégique du CIO relatif aux droits humains (oct. 2022), dans des résolutions de l’ONU, ou encore dans les statuts des diverses fédérations sportives internationales (notamment art . 2 et 3 des statuts de la FIFA). On ne doit pas négliger non plus l’importance de la Charte européenne du sport, adoptée par le Conseil de l’Europe, et révisée en 2022. Le rôle de la CEDH et de la Cour qui lui est associée est aussi à prendre en compte. Plusieurs décisions relatives aux droits des sportifs ont été rendues par cette Cour (droit à la vie privée, aff. J. Longo et autres, droit à un procès équitable, aff. Pechstein, etc…).
2. Quelle analyse des engagements – ou de l’absence d’engagements – pris par le CIO et par d’autres acteurs du mouvement sportif international tels que les fédérations sportives pour fournir un cadre et des garanties en matière de droits humains ? Quelle analyse notamment du cadre stratégique en matière de droits humains adopté par le CIO en septembre 2022 ?
Ces documents prescriptifs sont de valeur inégale, et n’ont guère de force contraignante. En particulier, le cadre stratégique du CIO relatif aux droits humains est assez général, et ne comporte pas d’engagements concrets. Il promet une « diligence raisonnable » en la matière, avec des orientations pour 2030, mais aussi 16 objectifs pour 2014. Il distingue 5 domaines d’intervention, mais 3 sphères de responsabilité…. L’ensemble, qui n’est ni très clair ni très convainquant, ne dissipe pas l’impression d’un décalage sensible entre la multiplication des engagements humanistes et la persistance de pratiques en net retrait.
3. Dans quelle mesure les principes de l’apolitisme sportif et de neutralité du sport peuvent-ils cohabiter aujourd’hui avec la défense de certains droits et valeurs fondamentaux ? Les valeurs du sport peuvent-elles prétendre à l’universalité ?
Les principes d’apolitisme sportif, d’autonomie et de neutralité du sport sont des éléments essentiels du corpus idéologique de l’Olympisme . Ils ont été conçus à l’origine pour protéger le mouvement sportif international des ingérences étatiques. Ces principes trouvent toutefois leur limite face aux agissements de bon nombre de régimes autoritaires ou non démocratiques, tels que la Chine ou la Russie, dont la protection des droits humains n’est pas la préoccupation essentielle, et qui instrumentalisent le sport pour tenter de redorer leur image sur la scène internationale (sport washing, ou sport branding). Face à ces démarches, le CIO ou la FIFA, qui sont des puissances géopolitiques et financières de premier plan, chargées d’attribuer des évènements sportifs d’importance majeure et de contrôler leur organisation, ne posent guère de frein. On peut considérer que l’engouement de certains pays pour les évènements planétaires et hyper médiatisés dont elles détiennent les droits sert objectivement leurs intérêts propres. Dans ce contexte, la question de la protection des droits humains reste secondaire, quand elle ne constitue pas un élément embarrassant. Utilisé à rebours, le principe de l’apolitisme peut même constituer un argument bien commode pour s’interdire une ingérence dans les pratiques des Etats en question, et satisfaire commodément les deux parties.
4. En 2019, Gian Franco Kasper, alors président de la Fédération internationale de ski, avait déclaré à un journal suisse que les Jeux Olympiques étaient « plus faciles à organiser dans les dictatures », avant de revenir sur ses propos. Est ce que les démocraties pâtissent aujourd’hui dans le domaine du sport d’un désavantage comparatif vis-à-vis de régimes moins respectueux des droits et libertés ? Quelles sont les responsabilités respectives du mouvement sportif international et des Etats dans les dynamiques observées aujourd’hui ?
Les régimes démocratiques – Europe et USA notamment – sont objectivement désavantagés dans le processus d’attribution des grandes manifestations sportives internationales, car ils doivent composer avec une opinion publique souvent réticente face aux coûts engendrés par l’organisation de tels évènements. Les régimes autoritaires et non démocratique n’en ont cure, et peuvent engager des moyens considérables pour les accueillir, sans crainte d’opposition (ce fut le cas de la Russie pour les JO organisés à Sotchi, ou pour la coupe du monde de football organisée par le Qatar en 2022). De plus, pour les grandes organisations sportives internationales, l’implantation dans les pays émergents relève de leur stratégie de développement. Dans cette surenchère compétitive, les pays occidentaux n’ont guère d’autre avantage comparatif à faire valoir que leur savoir-faire éprouvé en matière d’accueil et d’organisation.
5. Dans quelle mesure le sport et l’organisation de grands évènements sportifs internationaux peuvent-ils favoriser la promotion et le respect des droits humains ? Quelle analyse à l’inverse du « sport washing » par lequel certains Etats cherchent à utiliser le sport pour redorer leur image sur la scène internationale ?
Il n’est pas prouvé que l’accueil de grands évènements sportifs puisse favoriser la promotion des droits humains, dans la mesure où les organisations sportives attributaires, au-delà des grandes déclarations, ne s’avèrent pas excessivement regardantes en la matière (d’où la phrase qui a pu échapper à l’ancien président de la fédération internationale du ski sur la commodité des dictatures…). Il serait toutefois injuste de ne pas observer que les critiques formulées lors de la phase préparatoire de la coupe du monde au Qatar, émises le plus souvent par des ONG, ont permis de corriger à la marge certaines dérives.
6. Quel regard portez-vous sur les normes et dispositifs en vigueur en France pour protéger les droits humains dans le sport et lutter contre les discriminations ? Y a-t-il des marges de progression prioritaires ? Quel regard sur la loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, adoptée le 12 avril dernier ?
S’agissant de la France, les normes en vigueur semblent d’un niveau acceptable. On peut cependant observer que le monde sportif est encore habitué à des méthodes peu transparentes et à un entre-soi protecteur. Dans ce contexte d’opacité relative, les lanceurs d’alerte et les révélations des médias jouent un rôle correctif essentiel, qui vient contrebalancer des manques de remises en cause spontanée en cas de dérive.
S’agissant en particulier de la loi du 13 mai 2023 relative aux JO de 2024, c’est une loi d’exception qui comporte notamment diverses mesures sécuritaires, que le législateur a eu la sagesse d’assortir de précautions importantes. Elles sont justifiables par l’ampleur de l’évènement, son exposition médiatique exceptionnelle et les risques potentiels encourus. Elles ont suscité une opposition parlementaire, qui s’est traduite par la saisine du Conseil constitutionnel, lequel a validé néanmoins l’essentiel des dispositions. Leur mise en œuvre effective sera sans doute observée attentivement par les associations de défense des droits comme par les forces d’opposition.
7. Comment favoriser l’ouverture du sport international au-delà des pays « occidentaux » tout en promouvant le respect des droits humains fondamentaux et la lutte contre les discriminations ? Quel doit être le rôle de l’Union européenne et de la France pour faire avancer ces sujets à l’international ? Dans quelle mesure la défense des droits humains doit-elle être un axe de diplomatie sportive pour la France ? Doit-on revoir les règles d’attribution des grands événements sportifs internationaux afin de faire du respect des droits humains un critère et quelles devraient être les modalités de cette évolution ?
Les modalités d’attribution des grands évènements sportifs sont définies au premier chef par les organisations sportives, qui élaborent un cahier des charges souvent très détaillé, et sont pour l’essentiel les maîtres du jeu. Les pays candidats à l’accueil peuvent s’imposer des critères additionnels (comme la France pour les JO de 2024).
Le rôle de l’Union européenne est primordial dans la définition d’une politique commune d’accueil des grands évènements sportifs, en premier lieu pour éviter toute concurrence stérile ou surenchère malsaine entre les Etats membres. L’UE doit continuer à clarifier et à conforter ses positions, en considérant que l’action d’un État membre isolé risque plus que jamais d’être contre-productive. Le Conseil de l’Europe, trop souvent ignoré, peut aussi jouer un rôle significatif dans la réaffirmation des valeurs et des principes fondamentaux dans le domaine du sport. L’une et l’autre peuvent contribuer à leur manière à la promotion de la notion de « modèle européen du sport », qui peut constituer un élément de diplomatie sportive (sans sous estimer au demeurant le discours qui se répand dans les pays dits « du Grand sud » sur l’inadéquation des valeurs occidentales au regard de leurs propres valeurs et cultures…).
On peut mentionner le projet de charte sociale européenne d’accueil des GESI porté par EASE, et soutenu par le programme Erasmus. Et aussi à cet égard la déclaration commune des ministres européens en charge du sport.
Plus globalement, on peut considérer que les problèmes de bonne gouvernance au sein des grandes organisations sportives internationales restent nombreux, en partie parce qu’elles ne sont soumises qu’au droit du pays où est situé leur siège (la Suisse, le plus souvent). L’absence de contre-pouvoir constitue aussi un frein.
Seule l’Union européenne, grâce au droit supranational qu’elle est en capacité de mettre en œuvre, a été en mesure par l’intermédiaire de sa Cour de justice, de leur imposer des modifications substantielles de leurs règles afin de faire prévaloir les principes de libre circulation des personnes, de respect des règles de concurrence, ou de prohibition d’abus de position dominante (cf. l’arrêt Bosman de 1995, et les décisions suivantes).
Il importe que l’Europe, sur un registre plus consensuel, puisse persuader les grandes organisations sportives internationales d’accorder plus de place effective aux droits humains dans leur stratégie d’attribution des GESI et dans le contrôle de leur organisation par les pays désignés.
Contribution de Colin MIÈGE, président du comité scientifique de Sport et Citoyenneté