L’image des footballeurs professionnels : un El Dorado insoupçonné

par | 25, Mai, 2021

Le droit à l’image du footballeur professionnel représentent un privilège financier inestimable pour quiconque les détient. Mais qui bénéficie vraiment de la partie la plus importante de ces droits ? L’image des footballeurs professionnels est-elle abusivement exploitée ? Éléments de réponse avec Maître Elie Dottelonde, avocat au barreau de Paris et spécialiste de la question (auteur de la tribune « le droit à l’image perdu des footballeurs professionnels »). Entretien.

L’image des footballeurs professionnels est exploitée sans leur autorisation et que cette exploitation rapporte beaucoup aux sociétés comme Panini, EA SPORTS ou encore Konami. A contrario, ce que l’on ne sait pas, c’est combien ce business juteux rapporte à l’UNFP. Dès le début des années 1970, la société Panini l’a bien compris et en profite pour signer un partenariat avec l’UNFP en vue de l’exploitation de l’image des footballeurs évoluant dans le championnat de France, en proposant des vignettes à collectionner. C’est ensuite au tour des jeux vidéo de s’intéresser à l’image des footballeurs professionnels. Les sociétés éditrices (EA Sports), à l’instar de Panini, se rapprochent des syndicats des joueurs afin de négocier l’exploitation du droit à l’image de leurs adhérents. Aujourd’hui, l’image des footballeurs professionnels ne cesse d’être exploitée sur différents supports, permettant aux sociétés exploitantes et aux syndicats de générer d’importants profits, contrairement aux joueurs qui touchent une contrepartie annuelle dérisoire (200 euros pour les joueurs de Ligue 1, 150 euros en Ligue 2).

Ces exploitations sont-elles conformes aux articles 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CEDH) et 9 du Code civil qui garantissent à toute personne le droit au respect de son image ?

En France, il existe un principe selon lequel « toute personne, quelle que soit sa notoriété, a sur son image et sur l’utilisation qui en est faite un droit exclusif en vertu duquel elle peut s’opposer à sa reproduction et à sa diffusion, sans son autorisation expresse et spéciale, sous la réserve des impératifs de la liberté́ de l’information ». En matière de protection du droit à l’image, il en résulte que chacun, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, jouit sur son image d’un droit exclusif lui permettant de s’opposer à sa fixation, à sa reproduction ou à son utilisation sans son autorisation préalable et spéciale.

Par ailleurs, la Cour d’appel de Versailles a reconnu que « le droit à l’image revêt les caractéristiques essentielles des attributs d’ordre patrimonial. Il peut valablement donner lieu à l’établissement de contrats soumis au régime général des obligations entre le cédant, lequel dispose de la maîtrise juridique sur son image, et le cessionnaire, lequel devient titulaire des prérogatives attachées à ce droit ». Autrement dit, le footballeur professionnel peut céder son droit à l’image et exiger une contrepartie financière.

En outre, si la composante patrimoniale du droit à l’image permet de monnayer l’exploitation commerciale de l’image d’une personne, à l’instar de son nom, cette exploitation doit avoir été préalablement consentie par le titulaire du droit. Et cela, dans le cadre d’une autorisation expresse de façon suffisamment claire et limitée pour la reproduction de l’image ou du nom, limitation qui porte tant sur la durée, le domaine géographique, la nature des supports et l’exclusion de certains contextes.

Les joueurs de football ont-ils consenti aux multiples exploitations de leur image ?

Dans l’affirmative, cette autorisation fixe-t-elle clairement les limites de cette exploitation, à savoir sa durée, son étendue géographique, la nature des supports et une éventuelle contrepartie ?

La réponse à cette question se trouve dans la Charte du football professionnel (Ci-après « la Charte »), et plus précisément à son article 280, lequel distingue deux situations :

« Par la signature de son contrat de travail et par voie d’avenant spécifique, le joueur donne à son club l’autorisation d’utiliser à son profit son image et/ou son nom reproduits d’une manière collective et individuelle sous réserve que 5 joueurs au moins de l’effectif soient exploités d’une manière rigoureusement identique. En deçà de cette limite, l’utilisation individuelle de chaque joueur devra avoir obtenu un accord spécifique pour chaque opération. »

« L’édition, la reproduction ou l’utilisation de l’image individuelle et collective de joueurs professionnels évoluant en France et regroupant simultanément plusieurs joueurs de plusieurs clubs, ne pourront être réalisées qu’avec l’accord et au profit de l’UNFP. Ces réalisations pourront faire état de symboles et marques des clubs (nom, écusson, etc.) dont les joueurs sont issus »

En résumé, lorsque le joueur est représenté avec cinq autres joueurs du même effectif, la Charte impose aux clubs, conformément aux règles relatives à la cession du droit à l’image, de recueillir l’autorisation de son salarié. Cette autorisation prévoit la durée, l’étendue géographique, la nature des supports et une contrepartie (qui peut être négociée), à cette exploitation.

A contrario, lorsque le joueur est représenté avec « plusieurs joueurs de plusieurs clubs » sans plus de précision … l’exploitation de son image ne peut être réalisée « qu’avec l’accord et au profit de l’UNFP » !

Autrement dit, la seule autorisation nécessaire dans ce cas de figure, selon la Charte, est celle de … l’UNFP ! Tandis que l’autorisation du principal intéressé, à savoir, le joueur, ne semble pas nécessaire. In fine, la Charte se montre bien plus exigeante avec les clubs (qui ont l’obligation de recueillir l’autorisation de leur salarié par avenant à leur contrat de travail) qu’avec l’UNFP, laquelle exploite à son seul profit et sans la moindre autorisation l’image des footballeurs professionnels (alors même qu’au moins 7% ne sont pas adhérents du syndicat) !

En aucun cas, la Charte du football professionnel ne peut constituer, à elle seule, l’autorisation des joueurs à l’exploitation commerciale par l’UNFP et à son seul profit, de leur image. Une telle appropriation constitue une atteinte au droit à l’image des footballeurs professionnels causant de ce fait un manque à gagner important pour les joueurs tout comme pour les clubs. Le joueur a donc la possibilité de saisir le juge judiciaire pour faire valoir ses droits et notamment obtenir réparation du préjudice qu’il a subi du fait de cette atteinte à son image.

Zlatan-ibrahimovic-twitter

L’atteinte au droit à l’image des footballeurs professionnels

La seule constatation de l’atteinte au droit à l’image ouvre droit à réparation du préjudice moral qu’elle a nécessairement causé. Ce préjudice est aggravé par l’importance de la diffusion du contenu fautif. Or, en 2006, plus de 5.000.000.0000 d’images de l’album dédié à la Coupe du monde de football ont été vendues dans le monde tandis qu’en 2018, 1.350.000 exemplaires du jeu vidéo FIFA 19 ont été écoulés en France.

L’enrichissement sans cause et le manque à gagner

L’enrichissement sans cause est prévu par l’article 1303 du Code civil qui dispose : « celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement ».

S’agissant des joueurs, le manque à gagner est caractérisé par l’impossibilité pour le joueur de négocier directement auprès des sociétés privées les conditions d’exploitation commerciale de son image (ou de négocier un salaire plus important en octroyant des droits d’exploitation de son image élargie) lorsqu’il est représenté avec « plusieurs joueurs de plusieurs clubs » évoluant en France.

Concernant les clubs, le manque à gagner est déterminé par l’impossibilité de céder le droit à l’image de leur salarié, qu’il rémunère pourtant dûment, à des sociétés, lorsque ce dernier est représenté avec des joueurs d’un autre club.

Ainsi, dans une affaire dans laquelle l’Olympique de Marseille et l’UNFP avaient cédé les mêmes droits à l’image des footballeurs professionnels du club à des boulangeries concurrentes, les juges du fond ont estimé que l’OLYMPIQUE DE MARSEILLE n’était pas propriétaire de ces droits dans la mesure où :« la SAS Olympique de Marseille omet simplement de se souvenir qu’elle était tenue par la Charte du Football Français de l’abandon pour le moins partiel fait par les clubs de Foot dont elle-même au profit de l’Union Nationale des Footballeurs Professionnels ».

Ce manque à gagner est difficile à chiffrer dans la mesure où l’UNFP ne publie pas ses comptes, et ce en violation de l’article L. 2135-5 du code du travail qui impose aux syndicats professionnels de salariés de publier leurs comptes.

À titre d’exemple, EA Sports a conclu en 2020 un contrat de partenariat avec David Beckham pour une durée de trois ans, estimé à 45 millions d’euros par le journal The Mirror. La contrepartie versée par l’UNFP aux footballeurs professionnels donne le sourire : 200 euros pour les joueurs de Ligue 1 et 150 euros pour les joueurs de Ligue 2 ! On est loin des 45 millions d’euros octroyés à David Beckham.

Pour résumer, ce que l’on sait, c’est que l’image des footballeurs professionnels est exploitée sans leur autorisation et que cette exploitation rapporte beaucoup aux sociétés comme Panini, EA SPORTS ou encore Konami. A contrario, ce que l’on ne sait pas, c’est combien ce business juteux rapporte à l’UNFP.

  1.  CA Versailles, 30 juin 1994, n° 3722/93
  2. https://www.leparisien.fr/sports/football/au-coeur-de-la-saga-panini-19-05-2019-8075055.php
  3. https://www.lequipe.fr/Jeuxvideo/Actualites/-/990827
  4. https://www.mirror.co.uk/sport/football/david-beckham-earns-more-fifa-23046908
  5. CA, Aix-en-Provence, 13 janvier 2004, n° 00/02502

Elie Dottelonde – Avocat au Barreau de Paris

Disclaimer : les opinions et réponses formulées dans le cadre de cet article ne concernent qu’Elie Dottelonde et lui seul. Elles ne peuvent en aucun cas être attribuées à une autre personne ou organisation telles que Jurisportiva.

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