Drame de Furiani : Ici la loi dispose et les matchs s’arrêtent*

par | 30, Nov, 2021

*Pour reprendre la tristement célèbre phrase de Michel Vivarelli, animateur de RCFM, la radio locale de Radio France, lors de sa prise d’antenne le soir du match le 5 mai 1992 : « Ici le soleil décline et l’ambiance monte ».

Avec la participation de Madame Josepha Guidicelli, présidente du collectif des victimes du 5 mai 92.

Il y a des victoires qui comptent plus que d’autres. Plus aucun match de football professionnel ne sera joué en France les 5 mai. C’est notamment ce que prévoit un nouvel article L334-1 introduit dans le Code du sport par la « Loi Castellani »[1] en hommage aux victimes de la catastrophe du stade Armand Cesari à Furiani (Corse).

Retour sur les apports essentiels de cette loi, à savoir la consécration d’un devoir de mémoire, qui finalise un combat long de presque trente ans pour le collectif du 5 mai 92. L’occasion de faire un parallèle entre ce devoir de mémoire et le principe d’indépendance des instances nationales du football (F.F.F et LFP) dans la gestion et l’organisation du football français.

La consécration d’un devoir de mémoire pour le football français

La loi n°2021-1360 du 20 octobre 2021 visant le gel des matchs de football le 5 mai défendue par Michel Castellani, député de la première circonscription de Haute-Corse, est l’épilogue du long, très long combat pour la reconnaissance de la catastrophe de Furiani (voir encadré). Le 5 mai 1992, avant même le coup d’envoi de la demi-finale de la 75e édition de la Coupe de France de football entre le Sporting Club de Bastia et l’Olympique de Marseille, une tribune provisoire du Stade Armand Cesari s’effondre. Le bilan est terrible : 19 morts et plus de 2000 blessés.

Dès le lendemain du match, François Mitterrand, Président de la République, avait déclaré : « On ne rejouera plus au foot un 5 mai.« . 29 ans, 5 mois et 15 jours plus tard, une interdiction de jouer des matchs de football le 5 mai est enfin inscrite dans le Code du sport afin de rendre « hommage » aux victimes d’un « drame national ». Plus qu’un hommage, c’est un véritable devoir de mémoire consacré par un nouvel article L334-1, pour le football français.

Désormais, selon les dispositions dudit article, « les rencontres ou manifestations sportives organisées dans le cadre ou en marge des championnats de France professionnels de Ligue 1 Uber Eats et de Ligue 2 BKT, de la Coupe de France de football et du Trophée des Champions sont interdites le 5 mai ».

Cependant, concernant les rencontres des championnats de France amateurs, la loi n’interdit pas leur tenue mais impose notamment ce jour du 5 mai :

  • Une minute de silence en marge des rencontres ou manifestations sportives disputées, y compris dans les catégories de jeunes ;
  • Aux joueurs des deux équipes et aux arbitres de porter un brassard noir lors des matchs de football officiels.

Enfin, une loi édictant des dispositions nationales, ce texte ne s’applique logiquement pas aux matchs internationaux. Qu’il s’agisse des matchs de l’Equipe de France ou des matchs disputés par les clubs français dans les différentes compétitions européennes organisées par l’UEFA.

Le long combat du collectif des victimes du 5 mai 92

Depuis sa reformation en 2011[1], le collectif des victimes du 5 mai 92 remue ciel et terre pour empêcher que des rencontres de football aient lieu en France le 5 mai en faisant cette demande à de nombreuses reprises auprès de la Ligue de football professionnel (LFP)…en vain. « On se heurtait à un mur », s’indigne Josepha Guidicelli.

Une pétition lancée en novembre 2011 a permis de sensibiliser et toucher de nombreux acteurs du monde du football (dirigeants de clubs, joueurs et supporters) qui ont apporté leur soutien notamment par des dépôts de gerbes devant la stèle érigée en la mémoire des victimes ou encore par des banderoles dans les stades pour interpeller des instances encore et toujours muettes. 

Face à ce silence, c’est donc sur le terrain politique puis législatif que le match du gel s’est joué.   Sur le terrain politique. Le 22 juillet 2015[2], Thierry Braillard, secrétaire d’Etat aux Sports, reconnaît la catastrophe de Furiani comme « drame national » et, à ce titre, prévoit un hommage annuel et national. 

Cette reconnaissance s’illustre par le gel des matchs joué les samedis 5 mai et pour les rencontres qui tomberaient un autre jour de la semaine, un hommage était rendu « via une minute de silence, d’applaudissement, le port d’un brassard ou la lecture d’un message ». Un hommage national certes, mais un gel partiel des matchs. C’était « à prendre ou à laisser ». Insuffisant pour Josepha Guidicelli qui certes reconnaît une première étape mais considère « impensable qu’on puisse commémorer la tragédie d’un côté et de l’autre faire la fête autour du football pour une victoire ».  

Sur le terrain législatif, le collectif a pu compter sur la mobilisation des hommes politiques insulaires. Notamment sur l’initiative du député Michel Castellani, qui en décembre 2019 a déposé la première proposition de loi sur le gel total des matchs le 5 mai. Selon lui, il apparaissait nécessaire de mettre en place « un dispositif qui, de manière inédite, tend à consacrer l’existence de journées du souvenir justifiant la suspension de toute compétition professionnelle pour une discipline sportive. »[3]. Pour 85. Contre 1.

Le 13 février 2020, la proposition de loi a été adoptée en première lecture à la quasi-unanimité des députés. Les députés ont également voté des amendements pour le football amateur, en faveur de l’organisation d’une minute de silence et du port d’un brassard noir les 5 mai. Enfin, le 14 octobre 2021, le Sénat a adopté le texte sans modification. Vif soulagement pour le collectif des victimes du 5 mai 92 pour qui cette loi constituait la « dernière chance d’obtenir gain de cause ».

Un devoir de mémoire imposé au football français

Le mouvement sportif est autonome. Pour rappel, une seule fédération agréée par discipline reçoit délégation du Ministre chargé des sports pour gérer une discipline sportive[1]. De cette délégation découle donc un principe d’indépendance de gestion et d’organisation de la pratique de ladite discipline sportive.[2]

En outre, les fédérations peuvent déléguer la gestion des activités professionnelles à des Ligues créées pour l’occasion.[3] Dès lors, les ligues professionnelles disposent également de ce principe d’indépendance. Enfin, notons que, l’organisation implique notamment la compétence exclusive des fédérations délégataires ou des ligues professionnelles pour fixer les calendriers.

Dans le contexte de la loi Castellani, la F.F.F. dispose d’une délégation de service public pour la gestion du football[4]. Par convention, elle délègue la gestion du football professionnel à la Ligue de football professionnel (LFP)[5]. La LFP est donc seule compétente pour l’organisation des compétitions de football professionnel[6]. Cependant, pour la Coupe de France qui mélange clubs amateurs et clubs professionnels, la F.F.F. reste compétente pour l’organisation[7] [8]. La LFP est compétente pour fixer le calendrier de la Ligue 1 Uber Eats et de la Ligue 2 BKT. La F.F.F. est compétente pour fixer le calendrier de la Coupe de France. C’est donc, en principe, à elles et elles seules que revient la possibilité d’organiser ou ne pas organiser de matchs de football le 5 mai. C’est ce qu’il s’est passé pour la finale de la Coupe de France 2012 initialement programmée le 5 mai.

Or l’unique article de la loi Castellani pose une interdiction d’organiser des matchs professionnels et de Coupe de France le 5 mai. La question d’une éventuelle ingérence dans l’indépendance des instances nationales du football a été soulevée pendant les débats devant le Sénat : « Nous revient-il de légiférer sur le calendrier des matchs de football ? » s’interroge le sénateur Jean-Jacques Lozach.

En principe non mais c’est possible selon le Code du sport. Certes le mouvement sportif est autonome mais il reste soumis aux lois et règlements en vigueur.[9] Une loi peut donc contraindre les fédérations ou ligues dans la gestion d’une discipline sportive.

Dès lors, le sens de ce texte n’est absolument pas de remettre en cause ce principe d’indépendance de la F.F.F. et de la LFP mais de pallier l’inaction de ces mêmes instances sportives. Il est regrettable que le politique doive s’immiscer dans le sportif. Selon Josepha Guidicelli, il aurait été préférable que les dirigeants du football « prennent leurs responsabilités ».  

Ainsi, il ne s’agit malheureusement pas d’un devoir de mémoire par le football français pour le football français. Face au silence regrettable des instances, c’est le Parlement qui impose ce devoir de mémoire au football français pour reprendre un engagement présidentiel vieux de presque trente ans.

Enfin, le sens de ce texte est surtout de faire primer à titre dérogatoire, des considérations humaines au détriment de considérations purement économiques et sportives en sacralisant un jour de l’année pour rendre hommage à un drame national. Dans cet esprit, la loi est venue créer un chapitre IV intitulé « Dispositions particulières à titre d’hommage » dans le titre III « Fédérations sportives & Ligues professionnelles » du Code du sport. Désormais, la loi invite le monde du sport à rendre hommage.

De portée juridique limitée, cette loi est surtout très symbolique. Jusqu’à ce 20 octobre 2021, il n’existait, en droit français, aucune disposition concernant la prise en compte de ce type de catastrophe dans le monde du sport. C’est maintenant chose faite avec la sacralisation de la catastrophe de Furiani.

Per Elli.

[1]Loi n°2021-1360 du 20 octobre 2021 visant le gel des matchs de football le 5 mai (publiée au JO du 21/10/2021)

[2] NDLR : Le collectif a été formé dès le lendemain de la catastrophe dans l’optique d’un procès contre les responsables. Ce procès s’est achevé en 1995, entrainant la mise en retrait du collectif.

[3] « Accord du 22 juillet 2015 » par Thierry Braillard

[4] Rapport N° 2655 (Tome 1) sur la proposition de loi de M. Michel Castellani et plusieurs de ses collègues visant au gel des matchs de football le 5 mai (2547).

[5] Article L131-14 du Code du sport

[6] Article L131-1 du Code du sport

[7] Article L132-1 du Code du sport

[8] Article 1 des Statuts de la Fédération Française de Football

[9] Article 1er de la Convention F.F.F/LFP

[10] Article 2 de la Convention F.F.F/LFP

[11] Article 15 de la Convention F.F.F/LFP

[12] Article 1er du Règlement de la Coupe de France F.F.F.

[13] Article L111-1 du Code du sport

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