Actes sous-seing-privé dans le football professionnel : une incompatibilité avec la procédure d’homologation ?

par | 23, Déc, 2021

Dans le football plus que dans d’autres disciplines, des sommes astronomiques sont souvent mises en jeu. Des contrats mirobolants avec des salaires records sont conclus chaque saison entre joueurs et clubs afin d’attirer les meilleurs joueurs de la planète.

En France, l’Etat a délégué une mission de service public à la Fédération Française de Football (FFF), celle d’organiser le football. Par une convention, cette fédération délégataire a confié la gestion du football professionnel (Ligue 1, Ligue 2 et National) à la Ligue de Football Professionnel (LFP).

Par conséquent, chaque contrat d’un joueur professionnel conclu en France doit être transmis par son club à LFP, pour homologation. Ce n’est qu’après homologation de leurs contrats, que les joueurs peuvent obtenir leurs licences et être alignés en compétition par leurs clubs.

Le cadre imposé par les instances suprême du football français, peut ne pas convenir aux clubs, comme aux joueurs.

Souvent, proposer un contrat d’une telle envergure n’est pas opportun. Les parties ne peuvent pas forcément tout homologuer, soit parce que les règlements de la Ligue sont prohibitifs (clause libératoire1, durée maximale du contrat), soit parce que les parties souhaitent garder confidentiel certaines données du contrat (primes diverses, avenant de rupture du contrat de travail2…), ou encore dans un souci de respect des contrôles de la DNCG3.

Néanmoins, il ne paraît pas plus opportun de signer un acte sous seing privé contenant le surplus « non homologué » du contrat homologué.

La Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 8 avril 2021, réaffirme, dans la stricte lignée de sa jurisprudence, la nullité des actes sous seing privé dans le football professionnel. Les joueurs les ayant signés ne sauraient les exécuter. Toutefois, la Cour apporte une précision importante sur cette pratique : « les joueurs peuvent être indemnisés pour avoir signé ces actes et ne pas avoir pu en bénéficier », soit une indemnisation de la perte de chance. Le club demeure donc responsable de soumettre à l’homologation de la LFP et des DNCG l’ensemble et l’entièreté des contrats de ses joueurs. 

Quelle sont les contraintes de la procédure d’homologation ? 

La procédure d’homologation des contrats est décrite à l’article 254 de la Charte Professionnelle du Football. Il y est précisé que : « le contrat ainsi signé prend effet sous condition suspensive de son homologation ». Le club doit transmettre (individuellement) le contrat pour homologation au service juridique de la LFP dans le délai de quinze jours après la signature du contrat. Il doit respecter la procédure d’envoi (lettre recommandée en quatre exemplaires, ou alors téléchargement en ligne en un PDF) et être accompagné des documents exigés (annexe générale 4), à défaut, il y aurait obstacle à l’homologation.

Le dossier est recevable en la forme et conforme aux dispositions du statut : 

  • Si la situation du club vis-à-vis de la DNCG ne comporte aucune restriction, il est homologué.
  • Si le club fait l’objet d’une mesure de contrôle, il est transmis à la DNCG pour décision : 

– Si la décision est favorable il est homologué, 

– Si elle est défavorable, elle est notifiée par lettre recommandée au club, au joueur et/ou à son représentant légal. Le club est également informé de la décision par isyFoot. Elle peut être frappée d’appel par le club, le joueur et/ ou son représentant légal devant la commission d’appel de la DNCG. 

Enfin, le contrat est homologué par la LFP qui adresse un exemplaire du contrat, par pli recommandé ou par courriel, au club intéressé, au joueur et/ou à son représentant légal et la FFF. Dans le cas contraire, les documents sont gardés en instance.

Un club et un joueur qui signent un contrat, peuvent-ils ne soumettre à l’homologation obligatoire prévu par la LFP qu’une partie de ce contrat ? Autrement dit, l’entièreté de leur accord est-il soumis à l’approbation des règlements sportifs ? 
Subsidiairement, la liberté contractuelle prévu par le droit commun est-elle pleine et entière en matière sportive ? 

Comme nous l’avons vu précédemment, cette pratique de ne pas tout dévoiler à la LFP, peut consister à frauder les règlements sportifs. 

La liberté contractuelle, consistant à signer le contrat de travail du joueur en deux parties, l’une, soumise au contrôle de la LFP, et l’autre, effectuée par actes sous seing privé, semble être la solution la plus avantageuse à la sauvegarde des avantages des contractants, un accord gagnant-gagnant verrait le jour.

Néanmoins, la loi des parties peut-elle prévaloir sur la lex-sportiva, seule garante de l’intégrité et de la pérennité du spectacle sportif ? Force obligatoire du contrat ou suprématie des règlements FFF-LFP ?

Les dispositions des règlements sportifs en vigueur :

Tout d’abord, le « Statut du Joueur Fédéral » pour la saison 2021-2022 dispose en son article 7 (avenant au contrat fédéral) que : « toutes conventions, contre-lettres, accords particuliers, modifications ou résiliation du contrat, doivent donner lieu à un avenant soumis à l’homologation de la F.F.F.4 ».

L’article 8 prévoit les sanctions en cas de non-respect de la procédure : « Tout contrat fédéral et/ou avenant non soumis à l’homologation, ayant fait l’objet d’un refus d’homologation par la F.F.F. ou tout document occulte prévoyant des dispositions contraires au présent Statut ou au contrat fédéral et/ou avenant(s) homologué(s) est nul et de nul effet.

Le non-respect de la procédure d’homologation décrite ci-dessus ou toute signature de convention occulte est sanctionné dans les conditions prévues à l’annexe 2 ».

L’annexe 2 du présent statut précise qu’est : « passible de sanctions tout joueur, club ou dirigeant qui notamment:

– N’a pas respecté les procédures prévues dans le présent Statut, notamment dans la procédure d’homologation ;

– A acquis un droit indû par une dissimulation, une fausse déclaration ou une fraude lors de l’établissement d’un contrat ou avenant ;

– A agi ou dissimulé en vue de contourner ou faire obstacle à l’application du présent Statut ;

– A fraudé ou tenté de frauder.

La C.F.S.J. lors du constat d’une infraction, peut, conformément à l’article 7 des Règlements Généraux, mettre en œuvre un pouvoir disciplinaire dans le respect des dispositions du Règlement Disciplinaire de l’Annexe 2 des Règlement Généraux ».

Les sanctions encourues sont celles prévues à l’article 200 des Règlements Généraux et à l’article 4 du Règlement Disciplinaire. 

De plus, la Charte de football professionnel 2021-2022 (Convention Collective National des Métiers du Football) prévoit également les mêmes règles et sanctions applicables.

Son article 255 évoque le cas des avenants, et donc des actes sous seing privé : « Toutes conventions, contre-lettres, accords particuliers, modifications du contrat, doivent donner lieu à l’établissement d’un avenant soumis, dans le délai de quinze jours après signature, à l’homologation du service juridique ou de la commission juridique de la LFP selon la procédure décrite à l’article 254 ci-dessus sauf en ce qui concerne les avenants de résiliation pour lesquels le délai est impérativement de cinq jours. Dans le même temps, le club soumet l’avenant, par isyFoot, au service juridique de la LFP ».

A défaut de respecter les procédures prévues à cet effet, l’article 256 dispose que : « Tout contrat, ou avenant de contrat, non soumis à l’homologation ou ayant fait l’objet d’un refus d’homologation par le service juridique ou la commission juridique de la LFP est nul et de nul effet. Les signataires d’un tel contrat ou d’un tel avenant, lorsqu’il est occulte, sont passibles de sanctions disciplinaires ».

Toutes conventions, contre-lettres, accords particuliers, modifications du contrat, à l’exclusion de ceux relevant de la compétence de la Commission du Joueur Élite de la FFF ou de l’article 257 de la CCNMF, non soumis à l’homologation dans les conditions prévues ci-dessus, et portés à la connaissance de la LFP, seront passibles de l’application des dispositions suivantes :

-Si les conventions, contre-lettres, accords particuliers, modifications du contrat ne sont pas contraires aux dispositions du statut du joueur, ils seront homologués et entraîneront pour le club une amende de 600 à 15 000 € et pour le joueur une amende de 60 à 1 500 € ;

-Si ces conventions, contre-lettres, accords particuliers, modifications du contrat sont contraires aux dispositions du présent statut, ils ne produiront aucun effet et entraîneront pour le club et pour le joueur une amende de 600 à 15 000 € sans préjudice d’autres sanctions pouvant aller de la suspension à la radiation du joueur et du ou des dirigeants signataires.

L’article 654 de la même convention précitée prévoit un dispositif similaire concernant les entraîneurs. 

La loi a confirmé la lettre de ces règlements, puisque l’article L. 222-2-6 du Code du sport, issu de la loi du 27 novembre 2015, prévoit qu’un : « règlement de la fédération sportive ou, le cas échéant, de la ligue professionnelle peut prévoir une procédure d’homologation du contrat de travail à durée déterminée (…) ainsi que les conséquences sportives en cas d’absence d’homologation du contrat ». Autrement dit, tout contrat non homologué par la FFF ou la LFP est considéré comme légalement nul. Et le joueur, comme son club, encourent des sanctions. 

Les parties ne peuvent donc pas par exemple prévoir dans un acte sous seing privé, une rémunération supplémentaire. Celle-ci serait, par principe, déclarée nulle en cas de litige devant le juge, ou dans une moindre mesure devant la commission juridique de la LFP. 

Reste que cet acte sous seing privé peut produire ses effets entre les parties, lorsque celles-ci entretiennent des relations optimales. 

L’insécurité juridique de cette pratique est immense. Si le club refuse d’exécuter son engagement, le joueur serait par principe dans l’impossibilité d’obtenir gain de cause. 

A de nombreuses reprises, la jurisprudence a réaffirmé en matière sportive le principe de nullité des actes sous seing privé ; confortant plus encore la lex-sportiva et le récent article du code du sport5

Récemment, l’apport de l’arrêt rendu par le Cour de cassation le 8 avril 2021 nous paraît essentiel quant à la responsabilisation des clubs, aux respects des règlements sportifs, pour une régulation renforcée et un football des plus transparents. 

La Cour de cassation précise qu’il est désormais de la responsabilité du club de soumettre les contrats, et tous les contrats, à l’homologation de la fédération française de football. 

A défaut, le joueur est fondé à demander réparation, sur la base des articles 1178 al. 4 et 1240 du Code civil, nullité du contrat et responsabilité civile délictuelle (extracontractuelle). 

Le club se trouve dès lors dans l’obligation de soumettre l’ensemble du contrat de son joueur pour homologation, afin d’obtenir une exécution prévisible. 

Tarik Dezissert

1 – Affaire Alassane PLÉA : lors de la prolongation d’Alassane Pléa en août 2015, le club azuréen avait ajouté, sous seing privé, une clause libératoire à 40 M€ (depuis passée à 50 M€). Affaire Jean-Michaël SERI : possible clause libératoire sous seing privé de 40M€ lors de son transfert avorté au FC Barcelone.

2 – Affaire Lassana DIARRA, le 24 mai 2016 pour L’équipe : « J’avais un accord avec le président. C’était du donnant-donnant. Il m’a mis une clause dans mon contrat qui me permettait de quitter le club. Mon contrat a été fait en deux parties. Une partie conventionnelle, une autre partie sous seing privé. Mon destin, je l’ai entre mes mains. L’OM est au courant. Juridiquement, tout est O.K. ». Or, depuis 2015, l’article L. 222-2-7 du code du sport prévoit que : « toutes les clauses de résiliation unilatérale pure et simple sont nulles ».

3 – Direction nationale du contrôle de gestion.

4 – Suite article 7 du statut du joueur fédéral : “Dans le délai de 15 jours à compter de la date de sa signature, l’avenant est numérisé et envoyé via Footclubs et soumis aux règles générales de l’homologation prévues ci-dessus. Les avenants aux contrats fédéraux peuvent faire l’objet d’une homologation à tout moment de la saison. Les autres avenants, notamment sur l’aménagement du temps de travail, sont transmis pour information à la F.F.F..”.

5 – L’article L. 222-2-6 du Code du sport.

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