Interview de Vincent Chaudel (économiste du sport)

par | 30, Avr, 2021

Un écosystème en ébullition : de nouveaux horizons pour le paysage sportif français ? Décryptage.

Vincent Chaudel, exerce le métier de conseil dans le secteur du sport depuis le début des années 2000. En 2009, l’économiste du sport est élu Vice-président de Sport et Citoyenneté, 1er think tank européen centré autour des enjeux sociétaux liés au sport. Entre 2010 et 2016, il est Directeur de la Communication et du Pole sport du Cabinet de Conseil Kurt Salmon. Vincent Chaudel est également le fondateur de l’Observatoire du Sport Business (agence spécialisée en Marketing Sportif de In & Sport). Dans une interview pour Jurisportiva, il aborde l’impact de la Covid 19 sur le modèle du sport français tout en revenant sur les nouveaux horizons qui s’ouvrent à lui.

On aurait intérêt en France à aborder le sujet du sport avec tout autant d’importance que celui de la culture

Vincent Chaudel

L’émergence du modèle du sport français

En France, le modèle du sport s’est vraiment développé avec l’arrivée de Canal+ au milieu des années 80. Jusqu’ici, il y avait la télévision classique avec TF1, Antenne 2 (aujourd’hui devenue France 2). Il n’y avait pas réellement de droits TV avant l’arrivée de Canal+ dans le paysage audiovisuel français. L’arrivée de la TV “à péage” (Canal+) est à l’origine d’un certain nombre de modifications dans le modèle du sport français mais aussi dans les autres modèles européens, qui se sont eux aussi développés dans les années 80 avec le système de télévision payante.

Si l’on regarde le modèle allemand, par exemple,  il a continué à se développer par l’intermédiaire des sponsors à l’échelle nationale auprès de 80 millions de consommateurs, là où en France les sponsors étaient exposés auprès de 2 à 3 millions d’abonnés tout au plus. Elle est là, la différence. Si l’on prend l’exemple du tournoi de tennis de Wimbledon, ce dernier s’est développé avec de la télévision payante. Qui dit télévision payante dit recettes de droits TV plus importantes, mais avec une valeur de sponsoring plus faible car exposée à moins de consommateurs. Le tournoi de Roland Garros en France, lui, a toujours été diffusé sur des chaînes de télévision gratuites , avec des droits TV moins importants mais une valeur sponsoring nettement plus forte.

Le modèle du sport français, avant la crise sanitaire de la Covid19, est relativement simple à comprendre. Par principe, si vous étiez un sport diffusé, vous perceviez des recettes importantes via les droits TV ou par le sponsoring. Les droits TV représentaient la plus grande part en ce qu’ils étaient le plus rémunérateur, c’est vrai pour le football mais aussi pour le rugby. Le basketball c’est encore autre chose, cette précédente affirmation était de moins en moins vraie car le basketball a été diffusé dans les années 90 sur Canal+, puis est passé sur TPS avant de disparaître petit à petit et aller sur RMC dernièrement. Finalement, aujourd’hui, le basketball ne compte plus beaucoup de droits TV mais bénéficie d’une forte exposition grâce à la chaîne L’Équipe.

S’agissant des sponsors, malheureusement en France comme ailleurs, ils se retrouvent en difficultés économiques à l’image d’énormément d’entreprises qui subissent la crise de la Covid19. En ce moment, pour un club, il vaut mieux avoir des droits TV plutôt qu’une exposition gratuite car c’est difficile de la monétiser. En sus, notre marché français sponsoring est moins dynamique que celui de nos voisins, probablement car nous avons moins d’industries (Cf 2ème partie de l’interview).

L’impact de la Covid 19 sur cet écosystème

Il faut déjà savoir que la France a comme spécificité d’être le seul grand pays à avoir arrêté toutes ses compétitions en avril 2020. Il restait 1/4 des compétitions à jouer, ce qui implique que les diffuseurs ont refusé de payer le dernier quart, ce qui est assez compréhensible. Les sponsors, eux, étaient pour la plupart déjà financés et payés mais ont négocié un rabais pour la saison suivante. S’agissant enfin de la billetterie, elle est absente puisqu’il n’y a plus eu de matchs dans un premier temps, et ensuite ce fût des matchs joués à huis-clos. Si l’on prend le simple exemple de la Ligue 1 sur la saison 2019-2020, c’est 400 millions d’euros de perte sèche. Là où nos voisins anglais, italiens, espagnols et allemands ont repris leur championnat de différentes manières, ce qui leur a permis de sauver leurs droits TV et recettes sponsoring. Avec cet épisode, la France a un peu plus encore creusé l’écart économique avec ses voisins.

Les difficultés économiques que connaît le sport français peuvent en partie s’expliquer de la télé-dépendance de son modèle. La seule solution pour remédier à cela est de développer les autres sources de revenus. 

Quelles sont les autres sources de revenus?

La billetterie. Actuellement, nous sommes bien d’accord, c’est un problème car nous ne pouvons plus nous rendre dans les stades, mais c’est temporaire. Il n’empêche qu’avant la Covid19, nous ne remplissions nos stades qu’à 75% alors que les allemands ou les anglais remplissaient les leurs à plus de 90%. Pourquoi? Plusieurs explications. Peut-être que l’une des explications est qu’en France, les stades sont trop grands. Peut-être aussi parce que les performances ne sont pas suffisamment convaincantes, c’est une autre explication. Peut-être bien que c’est parce que nos villes sont trop petites, la France est un pays très étendu et très centralisé autour de la capitale. Une autre explication réside dans le fait que la France n’est probablement pas un pays de supporters. Toujours est-il que nous ne remplissons pas suffisamment nos stades et que par conséquent le poids de la billetterie est trop faible dans notre économie du sport. Si l’on remplissait davantage nos stades, en plus de percevoir plus de rentrées en billetterie, les prix pourraient également être mécaniquement plus hauts. Ce qui arrangerait ou du moins comblerait certaines choses.

Les autres revenus proviennent du sponsoring. Le problème majeur avec le sponsoring en France, c’est que comparé aux autres pays tels que l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie ou encore l’Espagne, la France a trop peu d’industries locales désireuses  de s’associer aux clubs de leurs régions. Le peu d’industries que nous avons, sont impersonnelles, cela ne facilite pas les choses. On a tout de même quelques contre-exemples avec Michelin qui est engagé dans le rugby à Clermont ou Peugeot avec Sochaux, cela reste marginal. Des grandes entreprises comme Total, Véolia, on ne peut pas les rattacher à des régions particulières car ce sont des entreprises nationales. Que peut-on faire ? C’est compliqué aujourd’hui de relancer une industrie, je pense qu’on aurait intérêt en France à aborder le sujet du sport avec tout autant d’importance que le sujet de la culture. On a besoin que les entreprises soutiennent le sport, peut-être qu’il faut accorder les mêmes avantages fiscaux pour le sport que pour la culture. En France, on a tendance à privilégier la culture, au niveau de nos décideurs en tout cas.

Est-ce l’occasion de repenser ce modèle ?

Si l’on prend les différentes pistes pour relancer le modèle du sport français, en voici quelques-unes : 

Commençons avec le salary cap. Il n’a d’intérêt à mon sens que s’il s’applique partout en Europe. Je n’ai rien contre le salary cap, sauf s’il est imposé juste en France, alors cela ne sert à rien car on perdra tout de suite nos talents. Il faut comprendre une chose, on aura toujours un Champion de France, peu importe l’installation d’un salary cap ou non. Si cela n’est pas harmonisé, la seule chose dont je suis sûr c’est que le football français sera dans les derniers de la classe au niveau des compétitions européennes.

S’agissant de la création d’une Super Ligue Européenne fermée, je pense que ce n’est a priori pas notre histoire en Europe mais qu’au vu du niveau d’investissement nécessaire aujourd’hui, on y va tout droit, que cela soit en ligue fermée ou semi-fermée. Prenons le cas de la Ligue 1 cette année, où il y a Lille, Paris, Lyon et Monaco, car Marseille est distancé. Nous avons 4 clubs qui peuvent se retrouver sur le podium. Imaginez que le Paris-Saint-Germain finisse 4ᵉ cette saison et ne se qualifie pas pour la Ligue des Champions. Que se passerait-il à votre avis ? Certains tops joueurs parisiens quitteraient le club de la capitale. Est-ce que cela serait une bonne nouvelle pour le football français ? Non, car il y aura une renégociation des droits TV en plus du départ de joueurs comme Neymar, Mbappé, Navas…

Le véritable problème est que, économiquement, le football français a intérêt à ce que le PSG gagne et soit toujours en Ligue des Champions l’année prochaine car cela permettra au club de garder ses joueurs stars et de, pourquoi pas, en acheter d’autres. Cela impliquera à son tour une hausse de l’intérêt des diffuseurs français et internationaux et donc davantage de droits TV pour la Ligue 1. Il n’y a pas de concurrents directs au PSG économiquement parlant, même si cela est à nuancer car Lyon, par exemple, a tout de même un budget comparable à celui de Dortmund. Mais l’Olympique Lyonnais, ces dernières années, n’est pas aussi performant que l’est le club allemand. Marseille devrait également être bien plus performant qu’il ne l’est depuis des années. Les concurrents de Paris ne sont pas au niveau auquel ils devraient être. En France, on a la culture de David et Goliath. On n’aime pas les puissants. La problématique ce n’est pas de réduire le puissant, mais plutôt de développer les challengers car le PSG est tout juste au niveau des cadors européens. Si on le réduit, on s’affaiblira au niveau européen. Et cela passe par une meilleure régularité sportive des clubs précités. Un club comme l’AS Monaco a des moyens et des joueurs de qualité depuis longtemps. Un club comme Lyon, avec l’effectif qu’il avait l’année dernière, n’aurait pas dû finir 7ᵉ malgré l’arrêt du championnat. La sous-performance de certains clubs, c’est là la véritable problématique. Arrêtons de nous voiler la face. Et quand je parle de sous-performance, je pense également à des joueurs. Du talent on en a en France, mais il n’y a pas assez la culture de l’effort. 

L’idée de créer une banque solidaire pour le sport français : je comprends l’idée de fonds solidaires, mais pas tellement celle de « banque solidaire ». Par exemple, si on dit que nous avons 15 millions de licenciés que l’on demande d’augmenter de 1 euro toutes les licences et que cet euro aille dans un fonds alors nous aurons ces 15 millions dans un fonds qui pourra servir à venir en aide aux acteurs du sport français, notamment en période de crise comme celle que l’on traverse actuellement. S’il s’agit d’un fonds, il faut savoir qui injecte l’argent dans celui-ci et qui seront les bénéficiaires. L’idée de banque solidaire me parait compliquée car il faudrait que tous les acteurs utilisent cette banque-là. Cela voudrait aussi dire que des banques comme la Société Générale n’auraient plus d’intérêt à financer et soutenir le sport français, ce serait donc une fausse bonne idée. 

Réduire l’impact fiscal du sport français, c’est un véritable sujet que politiquement on ne sait pas aborder en France. Je ne dis pas que les politiques ne sont pas bons mais on a une telle relation à l’argent en France qu’il est inconcevable pour le citoyen moyen que l’on réduise les charges des sportifs. Le sport ne se limitant pas à nos frontières, il faut imposer ces mesures à l’échelle européenne car autrement on risque d’impacter notre compétitivité à la baisse. Le seul PSG en matière de charges patronales paie à lui tout seul plus que l’ensemble de la Liga (championnat espagnol). Si les charges pour des clubs comme l’Olympique Lyonnais ou l’Olympique de Marseille étaient comparables à celles du FC Barcelone ou du Réal Madrid, alors ils auraient des joueurs de plus grand niveau encore. Il y a donc des choses à faire au niveau fiscal mais cela risque d’être compliqué à faire passer « politiquement ».

L’idée de suppression des transferts, c’est une utopie, la même que la notion de salary cap. Un jour, cela sera faisable quand sera instaurée une ligue fermée à l’échelle internationale. Autrement, au niveau national, cela n’a pas de sens. Si cette mesure de suppression des transferts veut être faisable alors cela doit se faire également dans les autres pays européens. Je ne dis pas que c’est une mauvaise idée, au contraire. C’est une mesure compliquée à mettre en place, mais si vous regardez l’été dernier les clubs espagnols, par exemple, n’ont pratiquement rien acheté et ont décidé de plus axer sur la formation. Résultat : les jeunes joueurs espagnols ont davantage joué et ont été champions d’Europe.

Si je devais énoncer d’autres pistes pour repenser le modèle du sport français, toujours au regard du football, je dirais que l’on a trop de clubs en Ligue 1. Il faudrait être à 18 ou bien même à 16. On va y arriver parce que les compétitions internationales vont changer et on aura donc moins de dates disponibles pour les compétitions nationales. Cela fait 20 ans qu’on devrait être à 18. Prenons un exemple : si l’on a 200 bons joueurs de Ligue 1 dont 50 top joueurs, si je les répartis en 16 clubs, j’aurais beaucoup moins de disparité, le talent sera davantage concentré et donc le niveau sera meilleur. C’est mathématique. 

Crédit photo : France Bleu

Disclaimer : les opinions et réponses formulées par Vincent Chaudel n’engagent que lui.

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