A l’occasion de cette nouvelle interview, Jurisportiva est allé à la rencontre de Romain Serra, actuel Head of E-Sport chez MCES. Durant l’échange, Romain revient sur son parcours de joueur professionnel, sur sa définition du e-sport mais également sur la particularité du Club MCES dans le paysage e-sportif français. L’ancien team manager E-sport de l’Olympique Lyonnais nous livre également ses impressions sur l’évolution de l’E-sport en France ces dernières années ainsi que son avenir prometteur, sans oublier l’éternel débat « L’E-sport est-t-il un sport au sens juridique »? Entretien avec un expert.
L’image du e-sport évolue positivement compte tenu du paysage français que l’on sait assez réfractaire aux nouvelles technologies
Romain Serra
Bonjour. Pouvez-vous vous présenter dans un premier temps?
Bonjour, je m’appelle Romain Serra, plus connu sous le pseudonyme “Imuhan”, j’ai 34 ans. Je suis un ancien joueur professionnel e-sport et je suis actuellement le Directeur E-sport du Club MCES (Mon Club E-Sport).
Quelle est votre définition du e-sport?
Je dirais que c’est la pratique compétitive des jeux-vidéos. Je compare souvent l’e-sport à l’athlétisme dans le sens où il y a plusieurs disciplines avec des capacités et qualités requises qui diffèrent selon le jeu.
Pouvez-vous décrire le concept de votre entreprise MCES et l’objectif qu’elle vise ?
MCES est une structure professionnelle de jeux vidéo. Son objectif est à la base d’encadrer la pratique amateure. Les dirigeants de MCES se sont rapidement rendus compte qu’il n’y avait pas de clubs e-sport “amateurs” en France et ont souhaité développer cela dans le paysage français. Nous avons aujourd’hui, 3 académies en France, accueillant des stages pour accompagner les e-sportifs amateurs, à Marseille, à Toulouse et à Paris. Nous avons également une académie en ligne. Chez MCES, nos équipes e-sportives évoluent sur League of Legends, Fortnite, FIFA, Clash of Clans, ou encore Virtual Regatta.
Qu’est ce qui fait selon vous, la particularité de MCES dans l’écosystème du e-sport ?
Il y a notamment le fait que nous soyons les seuls sur Virtual Regatta (jeu de course de voile en ligne) en France, ce qui nous permet de représenter l’Équipe de France officielle du jeu.
Il faut aussi savoir qu’énormément de sportifs professionnels pratiquant en compétitions (la voile par exemple), s’entraînent également sur des jeux en ligne comme celui précité.
L’autre volet où l’on se différencie selon moi, c’est l’accompagnement du sportif. En effet, au delà du suivi global des joueurs, nous les accompagnons aussi sur la pratique sportive car nous estimons qu’il faut être dans un corps sain pour réaliser de bonnes performances.
Quel regard porte la société sur l’E-sport en France?
Je pense que cela a pas mal évolué. Auparavant c’était très compliqué, il y avait une forme d’incompréhension de la part des français. Depuis, cela tend à rentrer dans les mœurs, à se démocratiser. Les médias en parlent davantage, les diffuseurs et les marques s’y intéressent. Je pense que l’image du e-sport évolue positivement compte tenu d’un paysage français que l’on sait assez réfractaire aux nouvelles technologies.
Comment éduquer notre pays à l’acceptation du e-sport? L’Etat a-t-il un rôle à jouer?
Si nous voulons changer les mentalités, cela doit passer par un accompagnement de l’État. Si l’État reconnaissait explicitement le e-sport, cela donnerait une impulsion à la discipline, comme cela a pu être le cas au Japon, en Corée ou encore aux États-Unis. Là-bas, l’e-sport est considéré comme un sport à part entière, où il est notamment possible d’obtenir des bourses scolaires, où des études spécifiques sont prévues…
Quels sont les plus grands jeux e-sport? Généralement, les joueurs sont spécialistes d’un ou de plusieurs jeux?
Les trois jeux majeurs en France sont League of Legends, Counter-Strike: Global Offensive (CS Go) et Fortnite. Les joueurs ne jouent qu’à un seul jeu au niveau compétitif même s’ils aiment bien, pour beaucoup, jouer à d’autres jeux. C’est très difficile de faire la passerelle entre deux jeux car chacun à ses spécificités, à l’image de deux sports totalement différents, tels que le football et le tennis par exemple.
Quel est le salaire mensuel moyen d’un joueur e-sport?
C’est compliqué de répondre à cette question. Cela peut aller entre 200 euros et 50 000 euros mensuels en moyenne. En France de plus en plus de joueurs en vivent, une cinquantaine de personnes par jeu à mon avis. Parmi les gains, il y a d’une part le contrat de travail avec l’équipe e-sport, les éventuels “cash prize” de compétitions, et il peut aussi y avoir les sponsors/partenaires.
Quelle est la journée type d’un e-sportif?
Il y a deux types de journée dite “classique”.
La première, si le joueur est toujours à l’école : Il va en cours et le soir il y a un accompagnement pour ses entraînements e-sport.
La deuxième, s’il ne fait plus d’études : lever aux alentours de 9/10 heures, mise en forme entre 11 et 13h, puis déjeuner. A 14h30 petit échauffement avant l’entraînement en équipe de 15 à 19h. Ensuite le joueur dine. A 20h, il y a un petit débrief du match du matin, et enfin de 21h à 00h il y a à nouveau entraînement en équipe. Ce sont donc des journées assez intenses.
Comment appréhendez vous les problématiques de santé afférentes au e-sport chez MCES (trouble de la vision, troubles digestifs, maladies mentales…)?
MCES est suivi et accompagné par Human Fab, un centre de recherche et d’aide pour les sportifs de haut-niveau. Ils conseillent les e-sportifs / e-sportives au niveau du sport, de l’alimentation et nous avons un kiné également qui assiste nos joueurs tous les 15 jours. Nous prenons au sérieux toutes ces questions là.
Que pensez-vous de l’intérêt de créer une Fédération Internationale de l’E-sport?
Je pense que cela n’existera jamais car chaque jeu est indépendant, et géré par son créateur. C’est comme si l’on disait qu’il fallait créer une fédération commune entre le basketball et le handball à l’échelle internationale. Cela paraît peu concevable à mon sens.
Le droit ne considère pas le e-sport comme un sport, qu’en pensez-vous? Quelle est la place d’un juriste au sein d’une équipe e-sport?
Je pense qu’il y a beaucoup de similitudes entre le sport et l’e-sport, que cela soit au niveau de la santé, de la préparation, des ressources nécessaires dans la rapidité d’exécution notamment. Quand l’on sait que les échecs sont considérés comme un sport juridiquement, qui est un jeu de pure stratégie mais qui ne demande pas de capacités physiques particulières, il y a de quoi se demander pourquoi l’e-sport n’est pas reconnu comme sport au niveau juridique.
A titre personnel, j’aime bien assimiler l’e-sport à la boxe. Si tu fais la moindre erreur, si tu baisses ton attention une milliseconde ou que tu baisses ta garde, tu te retrouves vite pénalisé comme au e-sport.
Concernant la place du juriste, elle me paraît primordiale. Et cela ne risque pas de changer. Notre équipe est accompagnée par un centre juridique, c’est important pour la rédaction des contrats, les négociations pour la vente et les rachats de joueurs…
Le business de l’E-sport est florissant, avec de très grandes marques comme sponsors. Comment voyez-vous l’e-sport à terme, dans 5-10 ans?
Je pense que le e-sport sera intégré à la société française et qu’il deviendra l’un des 4 sports mondiaux. Une étude disait que le e-sport aurait déjà dû dépasser la Formule 1, nous nous rapprochons pour l’instant davantage du baseball, l’un des sports les plus répandus au monde.
Le Qatar a officialisé lundi à Marseille un partenariat entre le club d’E-sport français (MCES) et l’Aspire Zone Foundation de Doha, afin de développer la pratique de l’E-Sport au Qatar. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce partenariat ainsi que sur votre stratégie d’internationalisation?
L’objectif de ce partenariat est d’aider Doha et le Qatar à former des joueurs e-sport dans leur pays. Aider également les joueurs en surpoids à lutter contre ces maladies. Nous tâchons d’apporter notre compétence d’accompagnement du monde e-sport amateur pendant nos formations, cours, entraînements.
De plus en plus de clubs se dotent de leur propre équipe. Y a t-il un championnat de France E-sport?
Tout dépend des jeux. Sur League of Legends, il y a la Champions League avec une dizaine d’équipes à l’échelle européenne. A côté, il y a la première division, la deuxième division. Sur Fortnite, ce sont des tournois où vous affrontez n’importe qui en Europe.
Quel est le processus de recrutement des joueurs professionnels d’e-sport au sein de MCES ? Y a- t-il des transferts de E-sportifs, un mercato?
Globalement, cela ressemble au sport classique. La plupart du temps, un mercato se dessine. Notamment sur League of Legends, où nous sommes en plein dedans (novembre-décembre). Il y a un “mini” mercato en juin également.
Depuis la création de MCES, comment décririez-vous l’évolution de votre activité? Diriez-vous que l’attrait pour l’E-sport a été soudain ou plutôt progressif ces dernières années ?
Je dirais que cela s’est fait assez progressivement depuis la création de MCES, il y a un peu plus de 3 ans maintenant. Lors de la création de l’équipe, l’unique objectif résidait dans l’encadrement de la pratique e-sportive. J’ai rejoint le projet personnellement il y a 2 ans et demi pour développer tout cela.
MCES a aidé à mettre en place la formation de Brevet Professionnel de la Jeunesse de l’Education Populaire et du Sport Activités Physiques pour Tous (BPJEPS APT) spécialisation E-sport ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce diplôme ?
L’objectif est de créer des animateurs avec une appétence pour l’e-sport. Lorsqu’ils iront dans un centre aéré, un club de sport, ils pourront toucher une certaine communauté, fédérer les jeunes, et permettre de développer la pratique du e-sport.
Quel est le rôle de l’entraîneur E-sport ? Devrait-on créer un diplôme pour cette profession?
Le rôle de l’entraîneur est assez similaire à un entraîneur de sport. Sur Fortnite par exemple, nous avons chez MCES, une coach psychologique, et un coach sur la stratégie, l’analyse de jeu. C’est généralement pareil sur les autres jeux. Il y a les coachs pour l’équipe et les coachs des joueurs.
Je pense qu’il n’y a pas nécessairement besoin de créer un diplôme. Les joueurs connaissent généralement les coachs. Bien souvent ce sont des anciens joueurs ou des anciens commentateurs, consultants. Cela me parait compliqué la création d’un diplôme, il faudrait une reconnaissance internationale de celui-ci. Il faut davantage d’expériences professionnelles.
Le “scouting” existe t-il pour repérer des joueurs E-sport ? Si oui, quels sont les critères qu’observent ces “scouts”? Comment un joueur peut-il être considéré meilleur qu’un autre?
Chacun a sa façon de recruter.
A titre personnel, le scouting est ma spécialité. C’est la profession où je me démarque le plus depuis 8 ans maintenant. Je repère des pépites et futurs talents. Sur Fortnite, nous avons repéré DKS et Mirza à l’âge de 12 ans et demi. Dès leur 13 ans (âge minimum requis pour Fortnite), nous leur avons proposé un contrat professionnel.
Comment un joueur peut-il être meilleur qu’un autre? C’est compliqué de répondre, cela dépend de ce qu’on recherche, du jeu, on ne regarde pas forcément les mêmes caractéristiques d’un manager à un autre. Parmi les compétences recherchées, il y a souvent la vitesse d’exécution, la capacité d’analyse rapide…
Le CIO a déjà organisé plusieurs rencontres et sommets avec les acteurs de l’E-sport. Les Jeux Asiatiques intégreront dès 2022 l’E-sport comme discipline médaillable, après un premier essai concluant en 2018. L’E-sport aux Jeux Olympiques dans les prochaines années?
C’est de plus en plus probable, comme vous l’avez dit, en Asie c’est déjà le cas. Je pense que c’est une question de temps, c’est simplement dommage que cela ne soit pas encore le cas en France.
Un grand merci à Romain Serra pour son témoignage !