Interview de Maël Besson (expert en transition écologique du sport)

par | 16, Fév, 2023

Maël Besson, expert en transition écologique du sport, fondateur de l’agence SPORT 1.5, ancien responsable Sport à la WWF ou encore chef de bureau « Sport et Développement Durable » au Ministère des Sports, décrypte aujourd’hui pour Jurisportiva les différents enjeux environnementaux dans l’industrie du sport, ainsi que les pistes pour réinventer le sport au regard des limites planétaires.

C’est simple, quand l’on sait qu’il faudrait réduire notre bilan carbone de 50 à 80% et que plus de 80% du bilan carbone annuel est dû au transport aérien. Il n’y a pas d’autres solutions que de repenser la question du transport.

Bonjour Maël, vous êtes actuellement “Expert transition écologique du sport”. En quoi cela consiste-t-il exactement ?

Bonjour. Mon métier consiste à aider à la transformation du secteur pour que le sport s’aligne avec les enjeux environnementaux.

J’ai travaillé au Ministère des sports en tant que chef de bureau “Sport et développement durable” sur ces questions d’intégration des enjeux écologiques dans la politique sportive.

J’ai également œuvré pour le WWF pendant trois ans en tant que responsable et porte parole sport, avec comme ligne directrice : l’utilisation du sport comme outil d’accélération de la transition écologique de nos sociétés (comportement, modèles de consommation).

Aujourd’hui, à travers mon entreprise SPORT 1.5, j’accompagne différentes structures dans la transformation de leurs activités à travers quatre dimensions qui font la transition écologique du secteur :

–   La réduction de l’impact environnemental du sport,

–   L’anticipation des conséquences physiques du dérèglement climatique,

–   L’adaptation sociale (acceptabilité, règlementation, marché),

–  L’utilisation de l’influence du sport pour façonner des comportements et des modèles plus vertueux. En tout cas, ne pas promouvoir à travers l’influence médiatique du sport, des modèles de consommation de vie qui ne sont pas en adéquation avec les limites planétaires.

Dans quelle structure votre action vous a parue la plus efficiente ?

C’est difficile de répondre à cette question car il faut avoir en tête que l’on parle « du » sport alors que l’on devrait parler « des » sports. Le football ou le basket n’ont rien à voir avec les autres sports.

Il n’y a pas un élément qui va transformer un secteur ou un acteur, c’est toujours un ensemble d’éléments : une innovation technologique, une préoccupation et sensibilisation du grand public, une réglementation, un sponsor qui impulse un mouvement… En fait, il n’y a jamais une seule action isolée.

Néanmoins, je peux citer quelques mécanismes intéressants que j’ai mis en place. Par exemple, la Charte des 15 engagements éco-responsables. Clairement, c’est un outil qui a modifié la norme. Avant, les ecocup suffisaient à dire qu’un événement était éco-responsable. Désormais, le standard a changé. Les acteurs ont agi sur ce sujet et ont favorisé l’acceptabilité d’avoir une réglementation qui supprime les bouteilles en plastique.

Les Chartes doivent être vues comme des outils de transformation. Ce n’est jamais un état fini que l’on recherche, c’est un outil pour faire évoluer un secteur d’activité.

Je peux également citer l’outil « Optimoov », un logiciel dédié à l’optimisation des déplacements dans les championnats amateurs. Grâce à des algorithmes et outils de géolocalisation, on s’est aperçu que lorsque l’on optimise les déplacements (quel club rencontre quel club ? dans quelles limites géographiques ?..), il est possible d’économiser entre 15 et 20% du nombre de kilomètres à parcourir. Cela signifie que les clubs passent moins de temps sur les routes, dépensent moins en essence, et émettent moins d’émission de gaz à effet de serre. C’est un outil qui n’a pas encore pris son essor mais que je trouve ultra-pertinent.

Aussi, j’ai piloté pour WWF France, le rapport sur le sport dans un monde à +2/+4 degrés. Il a porté ses fruits en termes de mobilisation notamment parce que je l’ai réfléchi en intégrant les facteurs humains. Car l’humain est relativement autocentré et court-termiste.

Ce rapport a été étudié par des parlementaires et députés car il montre que le sport a tout intérêt à devenir le premier défenseur du climat : concrètement, pour le sport, nous allons perdre tant de jours de pratique par an, tant de sites de pratique de voile, etc.

Avez-vous connaissance d’une action visant à encourager la transition écologique, et qui pourrait être transposable au monde du sport ?

Il faut se poser la question : À quoi peut ressembler le sport au regard des limites planétaires? Quand l’on sait qu’il faudrait réduire notre bilan carbone de 50 à 80% et que plus de 80% du bilan carbone annuel est dû au transport aérien. Il n’y a pas d’autres solutions que de repenser le transport.

Deux points sont à étudier : réduire le nombre de kilomètres à parcourir et de quelle manière nous parcourons des kilomètres. Cela est structurel : le nombre de compétitions, la fréquence, les jauges de spectateurs.

L’innovation doit être dans le fait de s’autoriser à penser différemment.

Qu’est-ce que l’on recherche lorsqu’on participe ou regarde un événement sportif ? De l’effervescence, de l’émotionnel, du dépassement de soi. Ok, et le format actuel de nos événements sportifs est-il la seule manière de répondre à ces fondamentaux ?

Il faut accepter que certaines choses disparaissent, d’autres choses se créent. S’autoriser à repenser.

Si un club a la volonté de s’engager pour l’écologie, que lui conseilleriez-vous en premier lieu ?

Un sportif regarde la difficulté en face pour se préparer. Il faut faire la même chose sur les enjeux environnementaux. Donc si c’est un petit club, je lui conseillerai de faire une fresque du climat, réduire le nombre de kilomètres générés, parcourir ces kilomètres de manière plus éco-responsable, réduire les déchets plastiques, être dans l’action avec les associations locales, participer à des opérations de comptage etc.

Promulguée fin 2018, la loi ELAN impose une obligation de réduire progressivement la consommation énergétique des bâtiments tertiaires. De nombreuses structures sportives sont concernées et ont dû déclarer, fin 2022, leurs consommations réelles d’énergie sur la plateforme OPERAT. Elles devront ensuite mettre en place un plan d’action pour atteindre les objectifs de réduction de la consommation énergétique. Que pensez-vous de cette obligation qui pèse sur de nombreux acteurs du monde du sport ?

Je pense que c’est une très bonne chose. Exonérer les structures sportives de ces contraintes serait dangereux. C’est important que le sport fasse la part du travail.

Après, en termes de politiques publiques, c’est autre chose. Il y a quelque chose à faire en terme d’accompagnement.

On peut également parler de la recherche. L’Etat peut être un véritable soutien en termes de réduction des produits phytosanitaires sur les pelouses sportives. C’est un exemple, mais les solutions alternatives peuvent émaner de la recherche initiée ou soutenue par l’Etat.

Pensez vous que le changement climatique nous amènera à réduire notre activité sportive (canicule, sécheresse, intempéries…) ?

Oui, en tout cas notre activité sportive va se modifier. Au-delà des conséquences physiques, la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes augmente les risques, et donc le besoin d’assurances. À ce titre, l’ancien PDG d’ Axa affirme qu’un monde à +4 degrés n’est pas assurable.

L’année prochaine, si les assurances montent encore de 20% pour les événements sportifs,  cela va être un handicap pour le sport.

Par exemple, s’agissant de la capacité à pratiquer, il y a des surfaces de plus en plus importantes en risque d’incendie et donc fréquemment interdit, ce qui réduit la pratique du VTT dans le sud de la France… Ce n’est pas anodin.

Dans un environnement trop chaud, nous aurons aussi un problème de ressources d’eau potable et d’alimentation. Le sport ne sera alors plus un sujet.

Parlons aussi du le Covid. 50% des zoonoses (maladies transmissibles de l’animal à l’homme) sont dues à la perte de biodiversité. Cela est lié à notre système agricole et à nos habitudes alimentaires. Plus nous allons consommer certains produits (notamment la viande qui nécessite beaucoup d’agriculture), plus cela générera de la déforestation. Or, les zoonoses sont dues en partie à la déforestation.

En cas de crise comme celle-ci, le sport n’est même plus un sujet.

Toutes les pratiques sportives ont-elles vocation à perdurer dans les années à venir ou certaines d’entre elles sont-elles vouées à disparaître (formule 1, golf, tennis sur terre battue) ?

Pour moi, la Formule 1 a loupé le virage de la décarbonation de leur moteur. C’est un risque qu’ils n’ont pas anticipé. D’ailleurs, des sponsors se désengagent pour des raisons environnementales. Factuellement, je vois mal comment la Formule 1 peut être compatible avec les limites planétaires.

Pour le golf, je suis plus tempéré. Oui, la consommation d’eau et des produits phytosanitaires est problématique (même s’ils font partie des rares sports qui ont autant réduit leur consommation).

Mais ce sont aussi des puits de biodiversité car ce sont des zones riches (on y trouve des arbres, des haies etc) dans des endroits qui sont souvent des monocultures, périurbains ou pauvres en biodiversité. Mon avis est donc moins tranché.

Pour le tennis, l’arrosage n’est franchement pas le premier souci. L’enjeu réside surtout dans le calendrier sportif et le déplacement des sportifs.

Existe-t-il de grands évènements sportifs éco-responsables ?

Si on définit « éco-responsable » comme un événement qui a des engagements ambitieux, oui il y en a. Roland Garros fait clairement partie des événements qui se sont bougés sur ce plan-là et qui sont alignés sur les trajectoires données par l’Accord de Paris.

Si on définit « éco-responsable » comme des événements qui entrent dans les limites planétaires, qui ne consomment pas plus que le besoin, non il n’y en a pas.

Après, certains événements font des actions anecdotiques. Dans ce cas, c’est du greenwashing.

L’utilisation de neige artificielle pour la tenue de compétitions de ski vous paraît-elle légitime et proportionnée ?

La neige de culture me pose problème. Il faut se demander quelle capacité d’accueil, quelle résilience, et quelle capacité de pression de captation d’eau le territoire peut supporter. Il n’y a pas beaucoup de stations de ski qui ne dépassent pas la capacité de résilience de la montagne.

Cela va être de plus en plus problématique dans la mesure où la ressource en eau va être de plus en plus contrainte. C’est une fuite en avant que de se dire que l’on va compenser par de la neige artificielle.

Pensez-vous que les grands événements sportifs se feront plus rares dans le futur ?

Les limites planétaires sont indispensables mais les événements sportifs le sont aussi. Il n’y a pas de sociétés qui n’aient pas de grands rassemblements. Nous en avons besoin, c’est évident..

Mais nous avons aussi besoin d’une planète vivable, donc il faut rendre compatibles les choses.

Dès lors, il faut réduire le bilan carbone des événements sportifs. Il y a plusieurs manières de le faire : réduire le nombre de personnes qui viennent à l’événement (réduction de la jauge), réduire le nombre d’événement ou la fréquence, assister à des événements proches de chez soi, assister à plusieurs petits événements et non un seul grand… Il y a beaucoup de solutions, tout est une question de choix.

Le sport a un enjeu à anticiper cette adaptation des conséquences physiques car il y a un fort risque que certaines disciplines deviennent le symbole de l’injustice sociale face au dérèglement climatique : si certaines pratiques ne deviennent plus acceptables, le sport sera dépriorisé, alors-même que dans les moments de crise, nous avons besoin de communion.

La Charte des 15 engagements des organisateurs d’événements (2017) et des gestionnaires d’équipements sportifs (2018) a été signée par de nombreux acteurs. Depuis, quels sont les points positifs observés et à l’inverse, quels sont les aspects plus difficiles à appliquer ?

Le point de difficulté est le contrôle. Certains engagements sont plus durs à tenir que d’autres. Pour la mobilité, des choses sont en place. En revanche, pour l’alimentation, nous avons du mal à faire passer un cap.

La Charte repose sur un système volontaire, certains jouent le jeu et d’autres pas. Elle est ambitieuse, c’est pour cela que certains renoncent.

La question du contrôle n’est pas évidente : qui contrôle ? Comment s’assurer que les données sont fiables ? Ce n’est pas évident.

Les points positifs tiennent aux dynamiques de prise de conscience et d’action que la Charte a impulsées dans le secteur du sport.

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