Interview de Luc Tardif (Président de la Fédération Internationale de Hockey Sur Glace)

par | 23, Nov, 2021

De nationalité franco-canadienne, Luc Tardif est passionné de hockey sur glace depuis la première heure. Ancien joueur professionnel à Chamonix puis Rouen, il s’engage très vite pour le développement et la structuration de la discipline. Co-fondateur de la Fédération Française de Hockey sur Glace en 2006, ses homologues lui ont confié la présidence de la Fédération Internationale de Hockey sur Glace en septembre dernier. Échange avec un dirigeant dévoué au rayonnement de son sport.

Au Hockey sur Glace, j’ai gagné quelques titres de champions de France comme joueur mais je suis plus fier de mon parcours de dirigeant. C’est une autre façon d’aider mon sport mais tout aussi captivante

Luc Tardif – Interview pour Jurisportiva

Depuis le 25 septembre 2021, vous êtes le nouveau président de la fédération internationale de hockey sur glace. Un riche parcours vous a conduit à ce rang. Pouvez-vous nous le décrire, tant sur le plan sportif qu’au niveau des postes de direction que vous avez occupés ? 

Je suis né au Canada, j’y ai joué au hockey sur glace et fait mes études. Je suis arrivé en Europe à 23 ans, en Belgique, puis en France vers 1977 à Chamonix. J’ai fini ma carrière à Rouen en 1990 mais je n’ai jamais fait exclusivement du hockey.  Au hockey sur glace, j’ai joué dans deux clubs, Chamonix et Rouen. J’ai gagné quelques titres de champions de France mais je suis plus fier de mon parcours de dirigeant que celui de joueur. C’est une autre façon d’aider mon sport mais tout aussi captivante. 

A Chamonix, j’ai notamment travaillé pour un promoteur immobilier. A Rouen j’ai travaillé pour la ville et j’ai été embauché par Bouygues comme ingénieur commercial, où j’ai servi pendant trente ans, jusqu’en 2019. J’ai pratiqué le hockey sur glace professionnel de 1975 à 1990, même si parfois c’était au niveau semi-professionnel car j’avais d’autres projets à côté. 

J’ai commencé ma carrière de dirigeant dans les années 95. Mes enfants ont commencé le hockey donc je me suis investi dans le hockey mineur à Rouen en tant que coach d’abord, puis comme dirigeant et je suis devenu Président du club. Ensuite, on m’a demandé de m’investir dans la Ligue de Normandie puis, vers l’an 2000, de venir à la tête de la fédération. J’ai donc été dirigeant du hockey sur glace à l’intérieur de la Fédération Française des Sports de Glace (FFSG) car à cette période, le hockey sur glace n’était pas doté de sa propre fédération. Assez vite, j’ai compris que l’on n’avait pas grand-chose à faire là. Nous avons réussi à convaincre M. Jean-François LAMOUR, Ministre chargé des sports de l’époque, de la création d’une fédération indépendante. 

La FFHG a donc été créée en 2006, nous sommes une jeune Fédération. J’en suis devenu premier Président, jusqu’à septembre 2021. Du fait de mon élection à la présidence de l’IIHF (Fédération Internationale de Hockey sur Glace), j’ai dû abandonner mon poste de Président de la Fédération Française de Hockey sur Glace (FFHG). 

En 2008 je suis entré dans la Commission compétition à l’IIHF : c’était mes premiers pas à la fédération internationale. En 2010, j’ai été élu ‘Council member’, le Président m’a confié la trésorerie et j’ai travaillé au Comité exécutif jusqu’en 2021. 

Parallèlement, je me suis investi au Comité international olympique (CIO), d’abord en tant que membre pour avoir un temps d’observation. C’était compliqué, car j’avais une activité professionnelle, ajouté à cela l’IIHF, le Comité international olympique et la FFHG. Cela demandait un peu d’organisation. On m’a confié le poste de chef de missions pour les Jeux Olympiques de Sotchi, ce qui m’a permis de comprendre le fonctionnement du CIO et d’être ensuite plus efficace pour ma Fédération. 

Depuis le 29 juin 2021, je suis membre du Conseil d’administration du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) dans l’équipe de Brigitte Henriques. Il y a quelques jours, j’ai assisté à ma première réunion des fédérations internationales des sports d’hiver. Voilà où j’en suis. 

Le hockey sur glace est une discipline peu connue du grand public français. Pouvez-vous nous expliquer comment est structuré ce sport en France ? 

Déjà, on a longtemps été dans le giron des sports de glace. Nous avions très peu d’espace et de liberté. A partir du moment où on a commencé à prendre les choses en main, nous avons discuté avec les sponsors, nous avons triplé notre budget, on a également commencé à avoir des résultats internationaux, à se faire connaître… C’est paradoxal car le niveau de l’Équipe de France est plus connu à l’étranger qu’en France. Les grandes nations connaissent le travail que l’on fournit, elles ont davantage de respect pour le niveau que l’on a. En France, c’est certain que derrière le handball qui ramasse des médailles, nous sommes un cran en dessous… Mais on le sait aussi, ce qui attire les journalistes, c’est ce qui brille. 

Le hockey sur glace français progresse beaucoup. Nous avons organisé les championnats du monde en 2017 alors qu’on était une petite fédération. On s’attaquait à un truc qui représentait deux fois notre budget. En même temps, nous sommes l’une des cinq ou six fédérations qui ont un siège. À une époque, il y avait Marcoussis, Clairefontaine, Roland-Garros, et nous. Ensuite est venu le Vélodrome, et le handball a également eu sa maison. Notre centre fédéral a représenté une opération de 75 millions d’euros. Nous n’avons pas beaucoup de sous mais nous avons les idées, c’est déjà un bon début. 

Aussi, nous progressons dans les instances nationales et internationales, j’en suis la preuve. Après ne pas avoir obtenu l’organisation des Jeux Olympiques 2022, il était demandé à tout le monde de s’investir au sein des instances internationales. Il y a eu une prise de conscience et le CIO m’a aidé dans ma campagne et pour ma progression de manière générale. 

A l’heure actuelle, les médias sont importants. Cela se voit aussi pour les sports à succès. Les médias couvrent le handball pour les grandes compétitions mais en dehors de ça il n’y a pas de place pour la médiatisation. Le football et le rugby « vampirisent » un peu tout l’écosystème du sport donc on essaye de se faire une place là-dedans. S’agissant de la place du Hockey à la télévision, Sport en France a été un bel outil. 

Le hockey sur glace est le 5ème ou 6ème sport collectif en France. J’estime que nous sommes un peu comme le volley, même si le volley vient de gagner une médaille internationale. Nous, avant de gagner une médaille, avec les grandes nations et les moyens que l’on a, ce n’est peut être pas pour tout de suite… On travaille, on progresse, nous avons atteint le 11ème rang mondial.

Après mon élection à l’IIHF, j’ai eu des félicitations de partout mais en France, j’ai seulement reçu un petit SMS de la ministre. Ce n’est pas grave mais cela montre bien que l’on a encore quelques croûtes à manger (ndlr : “avoir quelques croûtes à manger” est une expression québécoise qui signifie qu’il reste de l’expérience à acquérir). Je ne veux pas critiquer le gouvernement car c’est partout pareil, mais les personnes qui sont là tous les jours pour faire progresser le sport, ce n’est pas ce qu’il y a de plus sexy pour eux.  

Le dernier Président français de l’IIHF était Louis MAGNUS en 1914 (d’ailleurs fondateur de la fédération internationale de hockey sur glace). Plus d’un siècle plus tard, peut-on considérer que votre élection souligne la reconnaissance du hockey sur glace français à l’international ? 

Oui, je peux vous dire qu’au CIO, mon élection a été appréciée. C’était un objectif, j’ai été accompagné par le CIO.

En France, nous ne sommes pas très regardés mais il faut dire que l’on a quand même nos moments de gloire. Combien de disciplines remplissent un Bercy ? En hockey sur glace, pour la finale de la Coupe de France, les tribunes sont pleines. C’est une satisfaction. Et nous avons des fans qui ont l’habitude de se démener pour voir du hockey sur glace. C’est compliqué pour eux mais ils sont tellement dévoués qu’ils arrivent à suivre. 

Nous continuons de nous professionnaliser. Il faut se demander comment l’on peut faire pour s’inscrire dans le temps, continuer à travailler et ne pas se décourager pour montrer que nous sommes des interlocuteurs sérieux. Mais cela prend du temps. 

Le tournoi de qualification olympique pour les JO de Pékin 2022 de l’Équipe de France féminine s’est déroulé du 11 au 14 novembre 2021. Suite à une défaite contre la Suède, la France n’est pas parvenue à décrocher sa qualification. Malgré tout, l’on note une progression sur le plan sportif et une structuration du hockey féminin français de plus en plus professionnelle. 

Ah oui, j’ai cru, je crois, et je croirais toujours au hockey sur glace féminin. Nous avons fait beaucoup de progrès, nous avons commencé à professionnaliser notre approche. Les filles ont désormais le même cadre que les hommes avec notamment un staff professionnel. Il y a eu l’ouverture, il y a quelques années d’un Pôle Féminin, la création de logements dédiés à l’équipe de France, et tout récemment le nouveau Président a régularisé les primes d’équipe de France qui sont désormais égales à celles des hommes. On a poussé là-dessus, il le fallait. 

Au niveau international aussi. Je leur ai fait remarquer qu’aux Jeux Olympiques, il y a 12 équipes dans la catégorie hommes mais seulement 10 chez les femmes… Eux qui sont si concernés par l’égalité des chances… Je les ai mis face à leurs contradictions. 

C’est difficile évidemment mais les filles progressent. Il faut être patient. Les françaises sont de plus en plus demandées dans différents championnats. On continue de structurer notre Ligue. Aujourd’hui, on est à la croisée des chemins, mais on part de tellement loin.. 

Il peut paraître surprenant de constater que vous succédez à René FASEL (Suisse), qui occupait la Présidence de l’IIHF depuis 1994. Comment expliquer l’absence de renouveau depuis 27 ans ? 

On va dire que c’est un fait politique. Après, je dois dire que je reprends une fédération en bonne santé, une fédération qui a progressé. Quand on regarde le budget d’il y a 27 ans, ce qu’on a maintenant et le rayonnement du hockey sur glace dans le monde, c’est encourageant. On joue au hockey sur glace dans 98 pays. Des fois, lorsque l’on nomme les pays où se pratique la discipline, les gens ne pensent même pas que c’est possible. Donc il y a eu une grosse progression, c’est encourageant.

Maintenant, il faut se projeter dans un nouveau monde, si je puis dire. La médiatisation, l’e-sport, etc. Il y a une adaptation à avoir. Avec les réseaux sociaux, les personnes ne suivent plus les mêmes choses. Il ne faut pas que l’on reste dans une sorte de tradition. Nous, on regardait des matchs pendant 2h15 alors que les jeunes d’aujourd’hui en regardent quatre en même temps. Donc il faut adapter nos outils et le format de nos compétitions. Cela va être mon travail à l’IIHF. Surtout, accentuer sur les pays en développement. En Asie, il va y avoir les JO donc c’est là qu’il faut universaliser notre sport. 

Les grandes nations du hockey sur glace sont avant tout nord-américaines et européennes, mais vous tenez à élargir le champ de la pratique au continent asiatique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cet intérêt pour l’Asie ? 

Oui tout à fait, il y a l’Asie mais pas que, on peut également parler de l’Afrique du Sud et même l’Afrique du Nord où l’on trouve des patinoires et des fédérations. 

Parfois, le haut-niveau a tendance à se fermer. C’est jamais bon. Il faut ouvrir. On voit ce que le rugby et le football sont en train de faire, c’est plus de l’ouverture que de la fermeture. On doit s’inscrire là-dedans. Cela sous-entend de l’investissement. Au départ, l’équipe nationale de rugby au Japon prenait des volées. Maintenant, les japonais sont performants et ont même battu la France. Donc il faut ouvrir la pratique, patienter et ne pas se refermer sur soi. Les sponsors apprécient aussi cette démarche. D’autant plus qu’on est une fédération internationale, ça doit être notre but de s’ouvrir à tout le monde.  

Justement, comment s’implanter dans des régions du monde moins enclines à la pratique du hockey sur glace ? 

On a déjà 22 nations en Asie qui adhèrent à l’IIHF. Il faut les inscrire dans ce que j’appelle le développement durable. Souvent, c’est porté par deux ou trois passionnés qui font comme ils peuvent. Mais sans aide ce n’est pas possible, il faut les entourer, les aider. 

Là-dessus, je vais d’ailleurs parler avec la National Hockey League (NHL) car ils sont très concernés (pour d’autres raisons que nous : eux veulent vendre des maillots et des casquettes). Ils ne sont pas très implantés et ne savent pas vraiment comment faire. À l’IIHF, on sait faire. Donc c’est la discussion que je vais avoir avec la ligue nationale. Souvent les discussions entre l’IIHF et la NHL ont lieu tous les quatre ans à l’occasion des Jeux Olympiques. Je vais essayer de les amener vers un autre partenariat et à plus long terme. 

Aux derniers Jeux Olympiques d’été, le public a découvert une nouvelle discipline, à savoir le 3 x 3 au basketball. Vous avez également évoqué ce format pour le hockey sur glace. En quoi consisterait-il ? 

On a expérimenté des compétitions de 3×3 aux Jeux Olympiques de la jeunesse (JOJ), et le CIO a accepté de continuer dans ce sens. Les JOJ, c’est un festival donc nous avons fait un format 3×3 avec un mélange de joueurs de différentes nationalités. C’était génial ! 

Donc en effet, hors JOJ, l’idée est de faire en sorte de créer une autre discipline. Au rugby à 7, c’est un format d’un quart d’heure. On joue plusieurs matchs dans une journée, c’est de la dynamique, c’est bien. Cela correspond à la mentalité des jeunes. C’est pour cela qu’il faut faire d’autres propositions de pratique de notre sport. 

Mais ce n’est pas si simple que cela. Il y a d’autres aspects qui entrent en jeu : la sécurité, les règlements à édicter etc. Mais on a déjà bien avancé aux derniers JOJ et on a le feu vert du CIO pour continuer. 

Le 3×3 ne va pas se poursuivre aux JOJ mais nous allons continuer au sein de l’IIHF car c’est super pour les pays en voie de développement : c’est plus facile d’avoir une équipe de 11 que de 22 joueurs. Le 3×3 va dans l’idée d’universaliser la pratique. 

S’agissant de la gouvernance d’une institution en tant que telle, qu’est-ce qui différencie la Présidence nationale de la Présidence internationale ? Quelles sont les missions et problématiques fondamentalement différentes ?

La Fédération internationale organise des championnats du Monde tous les ans : il faut gérer les délais, les enjeux financiers, les sponsors… C’est la vitrine de notre sport. En parallèle, nous avons aussi des équipes légèrement en dessous du lot (Division 4) entre l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mexique… Donc nous avons des mentalités différentes, des niveaux hétéroclites, et il faut arriver à faire en sorte de garder un équilibre dans tout ça. 

Nous sommes une des seules fédérations sportives à jouer des championnats du Monde tous les ans. Cela veut dire prévoir les voyages, les financements, etc. Je pense que c’est une richesse, c’est le testament de René FASEL. L’IIHF est en bonne santé, son but n’est pas de s’asseoir sur un coffre rempli d’or. Elle dépense pour l’activité sportive. D’ailleurs, j’étais fier d’être trésorier car c’est vraiment l’esprit que j’avais. L’objectif est de faire en sorte qu’il y ait un maximum de financement qui entre dans la pratique de notre sport, et c’est le cas. 

Il faut savoir que les championnats du monde nourrissent toute la filière de formation, le hockey féminin, tout ce qui est un peu moins médiatisé. C’est beaucoup de boulot, c’est de la difficulté, mais notre activité c’est cela, c’est gérer à la fois le haut-niveau et le développement de la discipline à l’international. 

On connaît la dimension apolitique à laquelle les fédérations internationales sportives doivent s’astreindre. Néanmoins, l’IIHF s’est positionnée ces derniers mois en retirant l’organisation du Mondial 2021 à la Biélorussie et en prononçant la suspension du président de la fédération biélorusse pour avoir exercé des pressions politiques sur des sportifs. Quel regard portez-vous sur cette indépendance politique qui semble de moins en moins envisageable aujourd’hui ? 

Il ne faut pas lâcher là-dessus. C’est comme le Comité international olympique. Si le CIO commence à accepter les pressions politiques, il n’y a plus d’organisation de grandes manifestations internationales. Il ne faut évidemment pas être naïf mais je pense que c’est indispensable de garder cette indépendance politique, en tout cas il faut y tendre. 

En revanche, il est vrai que l’on voit de plus en plus d’agressions. S’agissant de la Biélorussie, des championnats du Monde s’y sont déjà déroulés sans poser aucun souci. Mais cette année, c’était un contexte particulièrement compliqué au sein du pays. Ce qui a guidé notre décision, c’était avant tout la sécurité des joueurs. On a trouvé un moyen de maintenir la compétition et la Biélorussie a participé sans pour autant l’organiser. Finalement, les championnats du monde se sont très bien passés. 

On retrouve cette dimension diplomatique entre les pays en voie de développement et les pays qui font le haut-niveau, et même entre autres différentes régions du monde. On peut parler d’une autre diplomatie, car nous sommes les représentants des fédérations mais il y a aussi les ligues professionnelles qui entrent en jeu car elles s’occupent des joueurs. Donc il faut combiner tout cela. C’est un vrai métier de diplomate. 

Quelques semaines avant votre élection, la presse vous a qualifié de “candidat de l’équilibre”. Cela vous convient-il ? 

Oui, parce que je considère qu’être Président de l’IIHF c’est conforter le haut-niveau et faire en sorte que le développement ne soit pas trop exigeant non plus. Pour cela, le Président doit être assez diplomate pour faire en sorte de garder tout le monde et garantir cet équilibre qui est nécessaire. 

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