Lou MERY est une jeune joueuse de football de 21 ans, passée par l’AS Saint-Etienne durant plusieurs saisons, elle évolue désormais au sein du Stade Brestois. Au cours de l’interview, Lou revient sur son début de carrière, son avenir, ses aspirations et nous livre son opinion sur le développement du football féminin. Entretien exclusif pour Jurisportiva.
Il est vrai que dans le football féminin, nous sommes pour la plupart obligées d’avoir un double projet.
Lou Mery
Bonjour Lou. Pourrais-tu présenter ton parcours sportif ?
Bonjour. J’ai commencé le football à l’âge de 6 ans au VAL 36, passée par le FC Déols à partir des U15, j’ai presque évolué exclusivement avec les garçons. Par la suite, j’ai été recrutée en U19 National Féminin à Yzeure. Un an après, j’ai intégré l’AS Saint-Étienne. Après avoir effectué cinq et belles années au sein des Verts, j’ai rejoint l’été dernier le Stade Brestois.
Exerces-tu une activité en parallèle de ton métier de sportive de haut niveau ? Est-ce commun au sein du football féminin ?
Pour ma part, j’étais en Licence de STAPS, néanmoins j’ai décidé d’arrêter cette formation afin de m’orienter vers un BMF (Brevet Moniteur de Football) qui m’ouvrira plus de portes dans le futur. Il est vrai que dans le football féminin, nous sommes pour la plupart obligées d’avoir un double projet. Dans les faits, cela se traduit souvent par un travail ou des études en parallèle.
Pour résumer la situation économique du football féminin, en D1 les contrats fédéraux sont illimités, donc potentiellement cela veut dire que toutes les joueuses peuvent vivre de leur passion. En D2 la situation est différente, le nombre de contrats fédéraux était limité à cinq jusqu’à l’année dernière, désormais, celui-ci est passé à douze. Ainsi, si l’on pouvait dire que rares étaient les filles de D2 qui vivaient uniquement du football, cette évolution fut vraiment de bonne augure, permettant l’accès aux contrats fédéraux à un plus grand nombre de joueuses.
Très jeune dans ta carrière, tu as été victime d’une rupture des ligaments croisés, comment as-tu vécu cette expérience ?
Je dois avouer que c’était une période très compliquée, surtout à ce moment de ma carrière. Alors que je sortais d’une saison pleine, ma gardienne me percute lors du premier match de préparation et mon année bascule sur cette action. En tant que jeune joueuse tu te poses de multiples questions, te dis que cela va être long, te demandes comment tu vas faire pour revenir à ton niveau, c’est une période de doute.
Pour ma part, je m’étais fixée l’objectif de revenir avant la fin de saison, et cela m’a beaucoup aidée, j’ai ainsi appréhendé ma rééducation à fond chaque jour avec le staff médical de l’ASSE grâce auquel j’ai eu des séances de kinésithérapie et un travail individuel de préparation physique journalier. J’ai également été à Capbreton faire ma « ré-athlétisation ». Malheureusement pour moi, l’année 2018 fut marquée par la Coupe du Monde, réduisant ainsi la durée de la saison, je n’ai pas pu revenir avant son terme et n’ai repris que lors de la préparation estivale suivante.
Penses-tu avoir bénéficié du staff adéquat te permettant la meilleure rééducation, et plus généralement, que penses-tu du niveau des infrastructures dans le football féminin ?
À Saint-Étienne, on avait la chance d’avoir un staff médical important, je me suis fait opérer par le chirurgien des professionnels. Concernant les kinésithérapeutes, on ne disposait pas du même staff que les garçons, néanmoins cela ne veut pas dire pour autant que je n’étais pas bien suivi, j’ai bénéficié d’un staff de très bonne qualité. Concernant le niveau des infrastructures dans le football féminin, c’est assez disparate, cela dépend des clubs. Certains sont issus du monde professionnel et d’autres sont 100% féminin, c’est-à-dire qu’ils n’ont aucun lien avec les garçons. Nonobstant cette situation, on n’a évidemment pas les mêmes outils de travail, ni les mêmes staffs médicaux que les garçons mais chaque club tend vers cet objectif. Par contre, si je peux m’autoriser un mot concernant les interactions entre le groupe féminin et celui masculin, je trouve que c’est un peu chacun de son côté. Selon les clubs, il existe bien une ou deux soirées avec les partenaires mais dans l’ensemble il y a très peu de contacts, dommage.
As-tu retrouvé tes sensations depuis ?
Suite à ma blessure, j’ai très peu joué. Ce fut très difficile mentalement et physiquement. Je suis revenue à mon niveau après la coupure hivernale 2019 mais j’ai été pénalisée par la covid et l’arrêt de la saison. C’est pourquoi j’ai préféré partir vers un nouveau projet afin d’avoir plus de temps de jeu, j’ai d’ailleurs eu la chance d’être titulaire à Brest dès mon arrivée. Je peux donc dire qu’aujourd’hui j’ai de bonnes sensations et que ma confiance est revenue.
Quel est ton meilleur souvenir en tant que footballeuse ?
Sans hésitation, je dirais la demi-finale de Coupe de France jouée avec Saint-Etienne contre Paris, cela a été l’élément déclencheur de ma carrière, c’est ce match qui m’a permis par la suite de jouer trois matchs en D1 en fin de saison. De plus, affronter des joueuses telles que Cristiane ou Laura Georges était tout simplement magique.
Revêtir un jour le maillot bleu fait-il partie de tes rêves ?
C’est le rêve de toutes compétitrices et compétiteurs qui jouent au haut-niveau, bien-sûr que si j’ai cette opportunité je la saisirais. Mais ce n’est pas mon principal objectif, j’avance par étape. Tout d’abord retrouver la D1 et obtenir un contrat fédéral, ce qui serait un premier pas vers le professionnalisme et par la suite, on verra ce que l’avenir me réserve.
Concernant la crise sanitaire, le championnat D2 a été arrêté rapidement, comment as-tu vécu cette année en tant que sportive professionnelle ?
Ce fut une année très compliquée et frustrante, j’évoquerais même un sentiment immense de déception. Nous avons clairement été privées d’exercer notre métier de footballeuse. Côté garçons, la Ligue 1, Ligue 2 et National ont pu jouer, soit trois niveaux, alors que côté filles, seule la D1 a pu continuer. Nous n’avons pas compris cette décision, je pense qu’on aurait été capable de suivre les mêmes protocoles sanitaires que ces championnats. Chaque semaine, on attendait de nouvelles mesures afin de pouvoir reprendre à jouer, mais rien n’est arrivé. Nous nous sommes senties discriminées et incomprises, on nous a fait miroiter une date de reprise mais en réalité celle-ci n’est jamais arrivée. En tant que sportive de haut niveau, on s’entraîne quatre à sept fois par semaine pour la compétition, sauf qu’au final, on n’a rien eu à jouer.
Comment aider le football féminin à poursuivre son évolution ?
Tout d’abord, il existe désormais une chaîne consacrée à la D1 qui permet de démocratiser le football féminin, j’espère que la D2 sera aussi diffusée d’ici quelques années. Au-delà de la retransmission des matchs, nous avons besoin de plus de moyens, actuellement on est sur des championnats à 12, ce qui est très peu. Le football féminin est très disparate, par exemple, il existe un fossé considérable entre les moteurs du championnat (Paris et Lyon) et les derniers du championnat.
De même, un second fossé existe entre les clubs de fin de tableau de D1 et les promus de D2, ces derniers descendent généralement l’année d’après car il est difficile de se maintenir. Je pense que pour le bien du football féminin, on pourrait passer à une D1 à quatorze voire seize clubs, fusionner les deux poules de D2 afin de ne faire qu’un seul championnat d’un nombre équivalent et enfin recréer une D3 avec une ou plusieurs poules. En effet, il existe une fracture immense entre le football amateur (R1) et celui professionnel (D1-D2), c’est pourquoi une D3 permettrait de réduire les écarts entre ces championnats. Cela faciliterait ainsi le maintien de ces derniers en D2 lorsqu’ils sont promus.
Concernant la D1 féminine, il est évoqué l’idée d’un championnat à 10, qu’en penses-tu ?
Je suis formellement contre, selon moi, un championnat professionnel doit nécessairement compter un nombre plus important d’équipes, à titre de comparaison, la Ligue 1 évolue à vingt (bientôt à dix-huit). L’inconvénient de ce type de championnat est l’accès limité à la D1, de fait, la D2 ayant deux poules de douze, seul le premier de chaque championnat monte. Ainsi, à moins de faire la saison parfaite, il est difficile d’accéder à la D1 et cela le serait d’autant plus avec un championnat à dix. En poussant le vice plus loin, un système à dix se rapprocherait d’une ligue dite fermée, avec trois-quatre clubs faisant le « yoyo ». Enfin, un championnat réduit diminuerait le nombre de matchs joués par les clubs, ce qui n’irait pas non plus dans le sens de la démocratisation du football féminin.
Où situerais-tu le football féminin français par rapport à ses homologues européens ?
La France était en avance il y a encore deux-trois ans, désormais l’Espagne et l’Angleterre commencent à avoir plus d’impact et attire plus de joueuses. Cela s’explique notamment parce que ces championnats bénéficient de plus d’investissements, ce qui se traduit par une meilleure structuration et professionnalisme des clubs. En France, on a un peu l’impression d’être au ralenti à ce niveau. J’aimerais que cela évolue.
Sportivement, que peut-on te souhaiter pour les cinq prochaines années ?
On peut me souhaiter de pouvoir faire une saison pleine, que je retrouve le niveau que j’avais, puis rejouer en D1. J’ai eu la chance de fouler les pelouses de D1 à trois reprises lors de la fin de saison de 2017, ce serait une vraie récompense pour moi d’évoluer à nouveau au plus haut niveau. En complément de ma carrière, j’envisage de plus en plus de m’orienter vers un double projet joueuse – coach grâce à mon futur diplôme de BMF. Enfin, je ne serais pas contre de tenter l’aventure à l’étranger, notamment en Angleterre ou en Italie, je suis particulièrement intéressée par ces championnats qui sont de plus en plus attractifs.