Julien Chorier, 38 ans, fait figure de pionnier dans le paysage des ultra-traileurs français1. Double vainqueur du Grand Raid de la Réunion, de l’Ultra-Trail du Mont Fuji, du Madeira Island Ultra Trail ou encore de la rugueuse Hardrock Hundred Endurance Run, il fait partie des meilleurs athlètes français et internationaux sur ce format XXL en trail. Au plus haut niveau depuis plus de 10 ans maintenant, il ne compte pas s’en arrêter là… Rencontre avec un athlète passionné, pour qui la pratique du trail doit rester avant tout un plaisir et un équilibre de vie.
Une course que j’aimerais découvrir, l’ultra-trail de Puebla au Mexique
Dans un premier temps, pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Bonjour. Je m’appelle Julien Chorier, je suis ultra traileur savoyard depuis quelques années déjà. J’ai commencé l’ultra trail en 2006 après avoir mené une petite carrière de cycliste amateur. J’ai fait, depuis mes débuts, un certain nombre de courses avec un format que j’affectionne particulièrement, le « 100 miles ».
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous mettre à l’ultra trail? Vous souvenez-vous de votre première course ?
Complètement, ma première course longue était la Saintélyon. Pour être honnête, je me suis mis à courir par facilité. Lorsque j’était cycliste, cela prenait trop de temps de s’entraîner, d’être dépendant de la météo et je n’avais plus le temps avec le boulot, la famille. Il fallait donc choisir. J’ai donc découvert les courses longues avec des copains et notamment la Saintélyon. Je n’ai pas tout de suite adoré car Saint-Étienne-Lyon une nuit de décembre, ça n’est pas ce qu’il y a de plus fun. L’été suivant, j’ai retenté l’expérience avec le Tour des Glaciers de la Vanoise et cela m’a plu.
Cela doit être un pur bonheur de découvrir le monde en courant. Finalement cela vous permet de vous découvrir un peu plus à chaque fois, entre surpassement de soi, exploits et limites ?
C’est effectivement un mix de tout cela et la découverte d’un nouvel environnement à chaque fois, de nouveaux paysages, de nouvelles cultures et personnes. Ce sont toujours de belles rencontres. Se rendre compte de toutes ces différences, cela permet de se forger soi-même.
Pouvez-vous retracer votre carrière jusqu’à aujourd’hui ?
Le cyclisme, je l’ai pratiqué d’abord en tant qu’étudiant, puis comme ingénieur. Entre temps, j’ai eu ma première fille, cela devenait ingérable de mener de front la pratique du vélo en compétition et la vie professionnelle et familiale. J’ai donc à l’époque fait le choix d’arrêter le sport en compétition tout simplement. Six mois plus tard, je me suis mis à courir et j’ai fait ma première course avec la Saintélyon. Je ne voulais pas à la base reprendre cet esprit de compétition, j’avais arrêté le vélo à 26 ans, je voulais faire de la place à la « vraie vie », à la famille, au travail. Je n’ai jamais envisagé de carrière sportive dans le vélo. J’ai bossé jusqu’en 2011 à plein temps comme ingénieur civil puis de 2011 à 2013 à mi-temps et depuis 2015, je me suis mis à mon compte comme accompagnateur en montagne, et je bosse pour certaines entités dont des marques afin de les aider à développer leurs produits trail.
Peut-on vivre de l’ultra trail? En vivez-vous ?
Quelques-uns peuvent en vivre mais pour moi ça n’est pas le cas. On est dans un milieu où il n’y a pas énormément d’argent. Tant mieux ou tant pis, tant mieux car cela le préserve mais tant pis car cela ne permet pas aux athlètes de se professionnaliser, d’exprimer leur plein potentiel. Il faut un juste milieu comme partout et faire attention aux dérives lorsque l’argent apparaît.
Vos victoires, les meilleurs moments sportifs ?
Je pense que c’est mon premier grand raid de la Réunion car cela n’était pas prévu. J’allais sur cette course sans attente particulière, l’année d’avant cela ne s’était pas très bien passé. J’y suis retourné pour partager la course en famille. En toute honnêteté, l’objectif était le top 10, mais les planètes se sont bien alignées ce jour-là et j’ai gagné la course avec la famille sur place. C’était un chouette moment qui fait partie des instants phares de ma carrière d’ultra trailer.
Comment prépare-t-on un ultra trail ? Une importante préparation mais également une certaine récupération ? La progressivité à l’entraînement est-elle la clé ?
C’est un peu de tout ce que tu cites. C’est tout une question d’équilibre. Lorsque l’on me demande en combien de temps je prépare un ultra trail, je leur dis « je pourrais vous répondre 3 semaines comme 5 ans », en réalité ce peut être 3 semaines de travail spécifique, mais à cela s’ajoutent 5 ans d’expérience qui rendent cela possible. C’est un ensemble de facteurs, surtout de la progressivité. Il faut se laisser le temps de récupérer une fois la course terminée, je pense qu’entre deux courses longues il faut a minima 2 mois d’écart. Une quinzaine de jours pour récupérer, puis l’autre quinzaine on remet la machine doucement à fonctionner, et le dernier mois, retour à l’entraînement un peu plus intensif, tout en relâchant les deux dernières semaines qui précèdent la course.
Aujourd’hui, que représente le modèle de l’ultra trail en France ? Est-ce un sport avec des moyens ? Le modèle repose essentiellement sur les sponsors ?
Je pense que le modèle est essentiellement basé sur le sponsoring. Il y a assez peu de sponsors privés. Le Covid a évidemment eu un impact au niveau du calendrier des courses mais cela a peut-être ouvert les yeux à certains coureurs sur le fait qu’on peut se passer des gros évènements pour s’éclater avec nos baskets sur les chemins. À titre personnel, ne pas faire de compétitions pendant près de 1 an et demi, cela m’a régénéré. La reprise a été compliquée, j’ai redécouvert l’ultra. Le corps et le cerveau oublient assez vite finalement.
Quels sont les paramètres fondamentaux pour être un bon ultra trailer ?
La clé pour moi, c’est être quelqu’un de robuste, qui va de plus en plus vite. À la base, beaucoup d’ultra traileurs n’étaient pas des coureurs mais des personnes qui venaient d’autres sports, notamment des sports portés avec un gros indice d’endurance. Pour réussir un ultra trail, cela me paraît primordial d’être sur un volume d’entraînement croisé assez significatif. Les meilleurs traileurs mondiaux sont dans cette dynamique là : François D’Haene, Pau Capell, Xavier Thévenard. Ils ne courent pas l’hiver, ils font du ski de fond ou de randonnée. Toute l’année, on fait également du vélo. Nous sommes robustes mais on ne fait pas que ça. Pour tenir 25h debout et en bon état, il y a trop de risques de blessures en ne faisant que cela.
Une course qui vous attire mais que vous n’avez pas encore faite, et pourquoi?
Il y en a pas mal. Une que j’aimerais découvrir l’année prochaine : l’ultra trail de Puebla au Mexique. C’est une course en sandales avec 20 personnes au départ. On se retrouve en immersion dans leur canyon au nord du Mexique. Comme je t’ai dit au début, c’est ce qui m’attire, de nouvelles découvertes.
A quel âge comptez-vous vous retirer de ce « monde », du moins en tant que pratiquant ? Peut-être à terme, souhaitez-vous entraîner ?
C’est compliqué à dire. La tête et les jambes le décideront. Je ne sais pas encore si 2022 ou 2025 sera ma dernière saison. Tant que je prends du plaisir et que mon corps suit. Je ne mets aucun plan en tête. Pour la deuxième partie de ta question, cela fait déjà 3-4 ans que je coordonne la team Hoka en Europe, j’ai un pied là dedans. Je fais aussi du coaching particulier.
- Un ultra-trail est une compétition sportive de trail, ou course nature, sur une distance d’ultrafond, c’est-à-dire une course à pied en milieu naturel sur très longue distance, sur un parcours généralement balisé
Crédit photo : Julien Chorier – julienchorier.com