Interview de Christophe Mongai (agent de joueurs)

par | 2, Fév, 2022

Christophe Mongai est agent sportif français depuis 1998. Il exerce sous la forme sociétaire à travers USM Group, devenu une référence internationale dans l’accompagnement des joueurs de football. Il évoque pour Jurisportiva le métier d’agent sportif et les difficultés rencontrées dans la pratique de sa profession. 

Bonjour. Pouvez-vous vous présenter dans un premier temps ? 

Christophe Mongai, 49 ans. Je suis né à Marseille et j’ai grandi à la Belle de Mai et Marignane. Pour financer mes études, j’ai commencé dès l’âge de 18 ans en tant que collaborateur au Provençal (devenue la Provence). Jusqu’à mes 26 ans, j’étais donc en parallèle de mes études à Kedge Business School en Management international, journaliste au service des sports. Je faisais ce métier pour deux raisons, la première était de financer ma scolarité et la seconde, me créer un réseau dans le monde du football. Je suivais notamment les clubs de Martigues et Istres à l’époque. Dès l’obtention de mon diplôme de 3ème cycle [équivalent du Master actuel], j’ai créé ma société “USM” en 1998 et me suis lancé dans l’aventure à 100%. 

Quels joueurs avez-vous accompagné avec “USM Group” ? 

Le groupe USM a suivi des centaines de joueurs au cours de leurs carrières.  

Parmi les plus connus d’aujourd’hui et d’hier je dirais : Bacary SAGNA, NENĒ, Mario YEPES, Frédéric KANOUTE, Lorik CANA, Alexander SONG, Abdou DIALLO, Fabien LEMOINE, Jeremy MATHIEU, Nicolas PENNETEAU, ADRIANO, Kalidou  KOULIBALY, Diego PLACENTE, WENDEL, AMAVI, TOURE, ALVES, MBAMI, NDIAYE, et bien d’autres. 

Il ne faut pas oublier que le métier d’agent ce n’est pas qu’accompagner les grandes stars. 

Nous avons de nombreuses fois travaillé avec des joueurs qui ont évolué presque toute leur carrière en deuxième division tel que Franck Chaussidière en Ligue 2. Et nous sommes très contents et fiers de l’avoir fait. J’ai, à titre personnel, énormément de respect pour ces carrières. Lorsqu’on accompagne un joueur, on ne sait jamais s’il va rayonner, faire une grande carrière. Au sein d’USM Group, lorsqu’on s’engage avec un joueur, on donne tout pour le faire progresser et on suit et accompagne le joueur jusqu’au bout.

Comment est organisée l’équipe dUSM Group ?

Nous avons des bureaux un peu partout dans le monde : En Suisse, au Portugal, en Roumanie, au Royaume-Uni, en Australie etc.

On est une agence de dimension internationale. Une vingtaine de personnes travaillent au quotidien pour USM. 

Concernant les métiers prépondérants, je dirais les graphistes afin de proposer aux joueurs des vidéos résumant leurs matchs, les chargés de communication qui gèrent les réseaux sociaux, les administrateurs du Family Office et des juristes. On essaye de s’occuper de toute la partie administrative pour que le joueur n’ait pas à s’occuper de l’extra sportif et puisse se concentrer sur son football. Donc, si un joueur vient chez nous, nous sommes apte à répondre à tous ses besoins. Par exemple, si le joueur ou sa femme à un accident de voiture, cherchent une maison, ou souhaitent simplement trouver une assurance pour leur voiture, organiser un voyage, trouver des sponsors, et autres, alors  nous l’accompagnons.

Encore une fois, tous les joueurs n’ont pas besoin de ça, certains demandent uniquement un suivi sportif et la négociation de contrats. En tout état de cause, je négocie seul tous les contrats des joueurs mais je m’entoure d’énormément de collaborateurs pour l’administratif et tout le reste.

Depuis quand proposez-vous cet accompagnement 360 degrés ? 

On a toujours essayé de le faire malgré nos moyens. Mais en pratique nous avons débuté lorsqu’on a eu des joueurs nécessitant ce genre de services comme Eric DJEMBA-DJEMBA (à l’époque joueur de Manchester United), Mauro CETTO, Olivier QUINT, avec des demandes allant au-delà métier d’agent sportif. C’est à partir de ce moment-là que ce service a été mis en place 7 jours sur 7 puis nous avons décliné cette offre à tous nos joueurs.

Concernant la phase de recrutement des joueurs, quelle méthode utilisez-vous ? Quelle place ont les datas dans ce processus? 

Nous sommes présents dans le monde entier, nous nous adaptons donc aux spécificités de chaque pays. Bien évidemment on essaye de recruter les meilleurs joueurs, des fois nous avons raison et d’autres fois on se trompe. Tout le monde se trompe, les clubs également. Beaucoup de très grands joueurs n’ont pas eu de carrière linéaire. Je pense à Rami, Ribéry, Valbuena, Giroud, Koscielny, Gignac et bien d’autres. Tout le monde peut se tromper, c’est le propre de l’être humain.

Ensuite concernant les datas, cela fait plusieurs années que je suis très sensible aux “données” et elles sont devenues de plus en plus importantes, notamment dans l’écosystème du sport. 

Je vais vous donner deux exemples : si j’estime que j’ai un très bon gardien en ma possession et que je le propose à un club anglais ou allemand, la première question qu’on me posera sera relative à la taille du joueur. S’il fait 1m82, c’est impossible. En Premier League, Championship ou Bundesliga, sauf très rares exceptions, le minimum pour se faire une place comme gardien, c’est de mesurer 1m90. De même, pour le poste de défenseur central, un jeune joueur qui ne fait pas 1m90 aura bien moins de chance d’être retenu. Désormais les capacités d’un joueur que sont la taille, la détente, la force maximum, la VMA (test calculant l’endurance à haute intensité), sont devenues des éléments primordiaux. 

Au niveau des datas dans le jeu du joueur, les sprints à haute intensité sont toujours aussi regardés. Pour le reste, il faut les mettre en perspective en fonction du poste de chaque joueur.

La personnalité et lentourage du joueur sont-ils des éléments analysés lorsque vous engagez la conversation avec un joueur ? 

Ce sont des éléments déterminants ! C’est fini, j’ai 49 ans, je fais ce métier depuis 25 ans, j’ai “passé l’âge de faire des concessions”. Nous travaillons à notre manière sinon ça ne matchera pas. 

Je vais vous donner un exemple, il y a quelques jours, un jeune joueur prometteur est venu avec son père. Il est rentré dans le bureau casquette à l’envers et ne l’a pas enlevée, cheveux colorés, plusieurs boucles d’oreilles, jeans non tenu par une ceinture ; j’ai immédiatement dit à son père que l’on ne pourrait pas travailler ensemble. Nous partions de trop loin, on n’allait pas réussir à faire changer ce petit. L’image renvoyée n’était pas adéquate avec ce que l’on attend des sportifs. Quand on est Paul Pogba, on peut faire ce qu’on veut. Mais lorsqu’on est jeune, avant d’avoir un “look” atypique, il faut performer sur le terrain. Seulement après, on peut se “relâcher” à ce niveau. À 17 ans, la première chose que l’on voit c’est l’apparence. Moi désormais je fais attention, et les clubs aussi ! C’est compréhensible, le joueur véhicule l’image du club, ils veulent une certaine harmonie. Donc le jeune joueur qui veut réussir doit rentrer un petit peu dans le moule. C’est un conseil.

Souvenez-vous du sélectionneur national, Didier Deschamps, qui avait demandé aux joueurs de l’Équipe de France des coupes de cheveux sobres avant d’aborder la Coupe du Monde 2018 et de la phrase de Presnel Kimpembe : « C’est la Coupe du Monde, pour moi il faut aller à la guerre. Et pour aller à la guerre, il faut une coupe militaire. » Néanmoins, ce n’est pas le plus gros problème. Cet exemple existe, en effet, de moins en moins. Les joueurs font beaucoup plus d’efforts. 

Aujourd’hui, la plus grosse problématique, cela reste l’entourage. Les parents, amis, cousins, oncles, tantes, éducateurs, ils veulent tous être agents et s’occuper du jeune joueur, en  pensant qu’ils ont la perle rare entre les mains. Ce phénomène est réellement apparu il y a 4-5 ans et c’est devenu insupportable. Mbappé peut se permettre d’être géré par sa famille car c’est un grand joueur, mais le football, ce n’est pas ça. Il y a des joueurs en National, Ligue 2, qui à la fin de leur carrière auront besoin de travailler. Ce n’est pas le ticket gagnant du loto. Je n’ai pas envie de parler à 10 personnes quand je parle à un joueur, s’il a 17-18 ans, je souhaite discuter avec lui et ses parents uniquement. L’entourage est la gangrène du football mondial. C’est ce qui le pourrit aujourd’hui.

Dautres éléments ont-ils évolué dans lactivité dagent sportif en sus de lentourage ? 

Je dirais deux points principaux, premièrement le nombre d’agents sportifs sur le marché. 

Quand j’ai débuté, nous étions environ 15 agents en France. Aujourd’hui nous sommes peut-être 600-700 agents français. Entre les agents non licenciés et les structures étrangères qui s’immiscent de plus en plus sur le territoire hexagonal, il y a actuellement une sur-concurrence sur le marché. 

Deuxièmement, la “culture du zapping des joueurs” est apparue il y a 5-6 ans. Avant, contacter un joueur c’était super compliqué. Il fallait aller le voir à l’entraînement, discuter avec lui, puis enfin demander son numéro. Aujourd’hui avec les réseaux sociaux c’est très facile, on peut contacter tout le monde en 10 secondes. Avec un jeune qui n’est pas stable, il suffit de lui envoyer un message disant qu’un gros club comme Porto veut le signer, il y a une chance sur deux qu’il rappelle cette personne. Dans cette culture du zapping, il faut que ça aille vite. C’est pour cela qu’ avant les joueurs faisaient 2 à 3 clubs dans leur carrière et aujourd’hui ils en font 10-15. Dès que ça ne va pas il faut changer, on ne s’accroche pas. Un joueur qui a signé en août, s’il ne joue pas en décembre, il veut partir. Ce n’est pas ça la vie, il faut bosser et ne pas fuir les responsabilités. Malheureusement, pour certains joueurs, ce n’est pas de leur faute si le coach ne les fait jouer, d’autant plus quand les entraîneurs se succèdent. Avec certains proches des joueurs, si on tient un discours transparent et véridique, ils nous quittent et préfèrent ne pas se remettre en question. Pourtant, il ne faut jamais dire à un joueur qu’il est le meilleur, il faut travailler et faire des sacrifices. C’est ça la vie.

Le contrat signé entre lagent et le joueur favorise-t-il la culture du zapping évoquée ? 

Malheureusement nous sommes généralement sur un contrat classique de deux ans au cours duquel le joueur peut y mettre fin par lettre recommandée avec avis de réception à tout moment. Alors même que de notre côté on a mis en place tout un business plan, une stratégie pour chaque joueur. Ils ne se rendent pas compte que l’on a nous aussi des salaires à payer, des familles à nourrir. 

Comment est rémunéré un agent ? 

L’agent est rémunéré entre 5 et 10 % du contrat négocié. Donc si le joueur touche 100.000 € par an, l’agent qui a signé un contrat de 10 % (en réalité, c’est plus souvent 6-7%) touche 10.000 €. 

En théorie, ce serait au joueur de rémunérer l’agent, car nous avons un contrat ensemble. Mais dans les faits, il y a toujours une convention tripartite entre clubs, agents et joueurs et c’est tout le temps le club qui paie en lieu et place du joueur. 

Quelles sont les relations entre les agents et les clubs de football ? 

Pour l’essentiel, nous avons de bons rapport avec les clubs. Il peut arriver que l’on s’entende plus ou moins bien avec certains dirigeants, mais in fine, nous comme les clubs faisons passer l’intérêt des joueurs avant tout. 

Après, la difficulté que nous rencontrons avec les clubs, c’est que certains assurent ne parler qu’aux agents sportifs licenciés. Cependant dans la réalité ils sont prêts à passer par des intermédiaires non autorisés car ils veulent absolument un joueur. Par exemple, si le joueur avec qui le club est en discussion demande que son frère soit intégré dans les négociations, le club le fera 99 % du temps. C’est notamment à ce moment que les avocats interviennent pour le compte dudit entourage concerné. C’est la réalité. C’est cruel pour nous agents mais si le club veut à tout prix un joueur, il signera le joueur et trouvera quoi qu’il en coûte une solution. 

Comment la Covid-19 a-t-elle impacté votre profession ? 

Énormément. Notre chiffre d’affaires a chuté de manière vertigineuse depuis 2 ans.

Avant, les clubs qui avaient un effectif d’environ 30 joueurs, l’ont réduit à environ  une vingtaine en deux ans. De plus, les salaires ont fortement diminué. Je rajouterais également les retards de paiement des commissions par les clubs. J’attends toujours des commissions qui devaient être versées depuis le mercato de l’été dernier et ce, malgré de nombreuses relances.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune agent sportif ? 

Honnêtement c’est difficile à dire. Je dirais que tout est possible pour quelqu’un de motivé, déterminé et talentueux. Il y a toujours de la place pour les bons. Par contre, il devra s’accrocher et ce sera difficile pendant des années.

Dans les faits, si tu n’as pas d’économies, c’est quasiment impossible. Par exemple, si tu as repéré un jeune joueur à Nantes, tu devras aller 3-4 fois là-bas, payer le restaurant à ses parents, aller voir le joueur tout long de l’année et donc prendre l’avion. Ce sont des frais engagés sans certitude. Et pour gagner sa vie en tant qu’agent, il faut 20-25 joueurs au minimum, ce qui implique de nombreux déplacements et aussi des sacrifices car l’emploi du temps est très chargé. 

Je tiens à avertir ceux qui débutent sans réseau ni argent mais qui pensent réussir car ils connaissent le « futur Maradona », qu’ils arrêtent tout de suite. Beaucoup s’imagine avoir le ticket gagnant mais on ne connaît jamais la carrière qu’un joueur va mener, en amont. 

Pour résumer, c’est un métier qui demande du temps, un pécule conséquent et des compétences. S’il vous manque l’un des trois, je dirais que ce n’est pas fait pour vous.

Une dernière question dans l’ère du temps : à l’image d’Alban Lafont ou de Kylian Mbappé, certains joueurs sont suivis exclusivement par des Avocats Mandataires Sportifs (AMS), que pensez-vous de l’émergence de cette profession ? 

Si l’on omet l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 14 octobre 2021, il faut différencier les situations. Quand on est Kylian Mbappé, on a un marché de 5-6 clubs (Paris – Real de Madrid – Barcelone – Bayern Munich – Manchester City – Chelsea), donc en réalité il ne s’agit pas de mettre en relation un joueur et un club. L’activité se limite à négocier un contrat. Mbappé par exemple, sa carrière est gérée par ses parents, et le fait qu’un avocat les conseille en support ne me dérange pas.

Le métier d’agent ce n’est pas ça, il s’agit de gérer des joueurs de National, Ligue 2 également. 

Il faut être capable de le proposer au Portugal, Pologne, Pays-Bas, USA, Australie, Pays du Golfe ou Angleterre. Autrement dit, il faut avoir un réseau important. 

Nous avons chez USM GROUP 25 000 contacts directs avec les décideurs du monde entier dans le milieu du football (présidents, directeurs sportifs, directeurs généraux, entraîneurs, directeurs d’académies ou de centres de formations, formateurs…), quel avocat peut en dire autant ?

Pour accompagner un joueur lambda de Ligue 1 ou Ligue 2, il faut se l’arracher. Il faut connaître les demandes et besoins des clubs et de ses dirigeants. Nous, les agents, nous y consacrons 100% de notre temps, 365 jours par an là où l’avocat exerce cette activité, bien souvent accessoirement. 

Enfin, cette activité d’avocat mandataire sportif a un côté déloyal. En tant qu’agents sportifs, nous sommes surveillés par la DNCG, la FFF où nous devons fournir un rapport d’activités détaillé chaque année,  et subissons des contrôles fiscaux réguliers alors que les avocats n’ont pas ces obligations. Si nous faisons la même activité, sur le même marché, alors nous devrions être soumis à la même loi. C’est mon avis en tout cas.

NB : Les propos et opinions formulées par l’auteur n’engagent d’aucune manière Jurisportiva et ses membres.

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