Interview de Anne Boyer (commentatrice sportive)

par | 29, Juin, 2023

Rencontre avec Anne Boyer, commentatrice sportive pour Eurosport France. Elle revient au cours de cette interview sur sa carrière de journaliste avant de basculer dans le commentaire : un véritable métier passion. Entretien.

Bonjour, tout d’abord pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?

Bonjour et merci pour cette proposition d’interview !

Je m’appelle Anne Boyer, j’ai 35 ans et je suis journaliste chez Eurosport.

Cela fait 11 ans que j’ai débuté. J’ai commencé en étant stagiaire avant de devenir pigiste et de signer mon premier CDI en 2015. À mes débuts, je travaillais pour Eurosport International news. Par la suite, en 2018, j’ai commencé à travailler pour Eurosport France et c’est à partir de ce moment-là que ma carrière a pris un autre tournant. J’ai alors commencé dans le commentaire sportif, et depuis, cela occupe la plupart de mon temps.

Quels sports commentez-vous ? Est-ce un choix personnel de commenter ces sports ? 

À l’heure actuelle, j’ai la chance de pouvoir commenter plusieurs disciplines telles que le patinage artistique, le tennis ou encore la gymnastique lors des Jeux Olympiques. J’ai notamment pu commenter la gymnastique aux JO de Tokyo 2020 et je serai également présente aux commentaires lors des Jeux Olympiques de Paris 2024. 

Étant une grande fan de Roger Federer, le tennis est mon sport favori. Il a largement contribué dans mon envie de faire ce métier. C’était donc un choix personnel. Cependant, concernant le patinage, j’ai appris sur le tas. Dès le départ, on m’a proposé de commenter du patinage. J’ai relevé le défi en voyant cette proposition comme une opportunité. Il est vrai que j’aimais bien regarder le patinage lorsque j’étais petite et ainsi j’avais l’envie d’en apprendre un peu plus sur ce sport. Quoi qu’il en soit, passionné ou non, il faut beaucoup travailler de son côté pour pouvoir maîtriser un sport lorsqu’on le commente.

Il m’est également arrivé par le passé d’être au bord de terrains de football. Ce fut une expérience très enrichissante. Je réalisais des interviews de certains joueurs mais je ne commentais pas. 

Vous êtes passée du métier de rédactrice d’articles anglophones pour Eurosport à commentatrice après une discussion avec Géraldine Pons (directrice des Sports d’Eurosport France). Pourquoi avoir opéré ce changement assez radical et qu’est-ce que cela vous a apporté, aussi bien professionnellement que personnellement? 

J’estimais avoir fait le tour chez Eurosport news, notamment pour le montage de sujets. J’ai appris énormément lors de mes 4 premières années mais j’avais besoin de connaître autre chose au cours de ma carrière. Je ressentais également le besoin de travailler en français, étant ma langue maternelle. Par contre, je n’envisageais pas du tout une carrière dans le commentaire sportif. Le destin en a décidé autrement. En effet, Eurosport France était à la recherche d’un présentateur, d’une présentatrice, on m’a proposé de faire le test de présentation. Lors de ce test, Géraldine Pons m’a complimenté sur ma voix et m’a directement proposé de faire le commentaire. J’ai donc accepté et tout est allé très vite. 

J’ai eu un vrai coup de foudre pour le commentaire et je n’ai plus arrêté depuis. 

Géraldine Pons m’a accompagnée lors de mes débuts et surtout pour le patinage. On m’a donné beaucoup de conseils théoriques mais j’ai surtout appris en pratiquant. Le patinage est un sport confidentiel. Les audiences ne sont pas les mêmes que pour le football ou encore le tennis. J’avais donc moins de pression. De plus, j’avais 2 consultants avec moi qui venaient de terminer leur carrière: Nathalie Péchalat et Alban Préaubert. Ils étaient habitués et maîtrisaient la partie technique du commentaire. Cela m’a mis directement en confiance. J’ai mis quelques semaines pour découvrir la partie technique du sport. J’ai prêté attention à ce qu’il se faisait ailleurs, le ton employé, les silences à respecter et le rythme du commentaire. Il s’agit d’un grand travail personnel. Au début, j’écrivais tout ce que je disais sur chaque patineur. Je prenais des notes durant le programme avant d’en débriefer à la fin. Au fur et à mesure j’ai trouvé mon équilibre. Il suffit d’avoir le bon mot, au bon moment, tout en laissant parler l’émotion. C’est un métier très riche. Aucun commentaire ne se ressemble. 

En quoi consiste la préparation du commentaire en amont d’une rencontre sportive?

Avant une rencontre, j’essaie toujours de chercher des informations qui pourraient rendre le commentaire encore plus enrichissant. D’autant plus lorsque l’on n’est pas directement sur place. Je cherche par exemple des informations sur la ville où se déroule la compétition, des petites anecdotes. J’essaie également de noter sur une fiche des informations sur certains athlètes. C’est beaucoup de recherches personnelles. Le tout est de chercher des histoires pour agrémenter le commentaire et se laisser porter par l’événement! 

Quelles sont les configurations de match les plus difficiles à rendre vivantes ? Avez-vous déjà rencontré des difficultés lors d’une rencontre sportive spécifique ? 

Certains matchs sont difficiles à rendre vivant. 

Le sport est imprévisible, il y a un aléa et c’est ce qui fait la beauté du sport. Des matchs peuvent ne pas avoir beaucoup d’enjeu comme par exemple les premiers tours de l’Open d’Australie. Imaginons qu’il est 4 heures du matin. Il s’agit d’un match opposant deux joueurs qui ne sont pas connus du grand public. Il faut donc chercher autre chose en essayant d’aborder un autre thème comme une nouveauté sur l’arbitrage vidéo. Il faut trouver la juste limite. Si l’on est en présence d’un consultant, on peut lui poser des questions sur son expérience. C’est normal que dans mon métier, il y ait des matchs moins intéressants que d’autres. Je suis partisane d’en faire part aux spectateurs et au public. Il faut plutôt en rire. Cependant, mon objectif principal reste de faire vivre le match! 

A côté de ça, je dirais que ma plus grande difficulté à été de commenter le patinage artistique suite à la révélation du contrôle antidopage positif de la patineuse Russe : Kamila Valieva. En effet, une dimension politique est automatiquement entrée en jeu. La manière de gérer le dopage n’est pas la même en Europe qu’en Russie ou encore aux États-Unis. C’est pourquoi nous avions reçu des consignes sur quoi dire et comment aborder ces choses-là. Il fallait être très prudent sur les termes employés. Cela fait partie des moments délicats qu’il faut savoir gérer dans une carrière. Je vois ça comme un test! 

La data influence-t-elle beaucoup votre travail pendant les matchs ?

Oui, elle influence beaucoup! Je l’utilise énormément. En tant que commentatrice, je regarde beaucoup les fiches de chaque discipline et chaque athlète sur le site de la fédération internationale de patinage artistique. Concernant le patinage, cela fait partie du sport. Lorsque les notes sortent avec le détail du protocole, il nous est possible d’expliquer pourquoi un patineur a perdu deux points. Ça fluidifie le commentaire et le rend pertinent.

De plus, on l’utilise également au tennis. Les statistiques apparaissent souvent en direct sur le site de l’ATP comme par exemple le pourcentage de première balle ou les coups gagnants. C’est un bon plus pour rendre son commentaire encore plus pertinent.

Qu’est-ce qui fait un bon duo commentateur-consultant ? Et comment créer une complicité au sein du binôme ?

Tout dépend des personnalités. Comme dans la vraie vie, il est possible que cela soit plus fluide avec un consultant, une consultante plutôt qu’un autre, une autre. Cela ne s’explique pas forcément. Après, pour l’avoir vécu et observé, cela se travaille également en dehors de la cabine, en amont des commentaires. Il est important de partager du temps avec la personne afin d’apprendre à se connaître et trouver son rythme dans les commentaires. De ce point de vue là, cela a été plutôt simple et agréable pour moi au niveau du patinage artistique. En effet, il s’agissait tout le temps des mêmes consultants donc on a vite commencé à créer des liens. 

Vous êtes avant tout journaliste. Quelles sont les principales évolutions que vous avez pu observer dans le métier de journaliste et que pensez-vous de l’évolution du métier ?

Il est vrai que le digital a été un vrai tournant qui a changé pas mal de choses dans le métier de journaliste. Pour autant, cela reste une mine d’informations sur laquelle il faut s’appuyer pour enrichir le live. De plus, il faut prendre en compte le fait que l’on est beaucoup moins sur le terrain que par le passé. Cependant, il est important de retenir que tout le monde n’est pas forcément connecté. Beaucoup de personnes regardent encore les rencontres sportives à la télévision. Comme je l’ai répété à plusieurs reprises, tout est une question d’équilibre. 

D’un autre côté, ce qui est dommage, c’est qu’en tant que commentatrice, nous sommes de moins en moins en relation avec les sportifs. On perd une connexion avec le sportif qui est, à mon sens, importante et nécessaire pour le commentaire. 

Comment expliquez-vous le fait que très peu de femmes aient accès aux commentaires sportifs ? Que pouvons-nous faire pour inverser la tendance selon vous ? 

Dès le départ, il y avait des aprioris négatifs sur le fait qu’une femme soit commentatrice sportive. Certains partaient du postulat que cela n’était pas fait pour elles car elles étaient moins agréables à entendre à l’oreille et qu’elles n’avaient pas la même expertise. Toute leur argumentation partait de clichés qui sont évidemment faux. Nous n’avons pas toutes les voies aiguës. De plus, notre avis nous appartient et cela est subjectif. Naturellement, que cela concerne une femme ou un homme, il y a toujours des voix que nous préférons. 

Heureusement, cela a évolué grâce à une prise de conscience sociétale. Il y a de plus en plus de femmes à des postes importants. La différence d’analyse au niveau des commentaires doit se faire à travers l’expertise, la connaissance et non le sexe de la personne.

Qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter pour la suite ? 

Je vais tout faire pour continuer à vivre ma passion car le commentaire sportif est un métier de passion ! Depuis que j’ai commencé ma carrière, je ne cesse d’apprendre des choses sur les sports que je commente et c’est ce qui fait la richesse de ce métier. 

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