Interview de Benoît Caranobe (Gymnaste)

par | 31, Juil, 2020

Il fait partie des sportifs privilégiés qui pourront vous dire « Les Jeux Olympiques de Pékin ? Oui, j’y ai participé ». Ancien gymnaste de haut-niveau et membre de l’Équipe de France à partir de 2001, Benoit Caranobe prend finalement sa retraite en 2013, après une médaille olympique obtenue à Pékin en 2008. A travers cette interview, il a accepté de revenir sur son parcours, de ses débuts jusqu’à sa reconversion dans le commerce du vin et le monde du spectacle. Je le remercie infiniment pour sa disponibilité, sa sympathie et sa  grande sincérité.

« Je pense que beaucoup de sportifs de haut-niveau auraient aujourd’hui besoin d’aide pour « s’intégrer » dans la vraie vie après la fin de leur carrière. »

Benoît, peux-tu nous raconter tes débuts dans le monde de la gymnastique ? A quel âge as-tu
commencé, où, et pourquoi ?

J’ai commencé à l’âge de 5 ans au club de Noisy le Grand Gymnastique, en Seine-Saint-Denis, où ma grande sœur pratiquait déjà la gymnastique. J’étais un enfant assez turbulent, donc mes parents m’y ont également inscrit pour essayer de me calmer. Au final, je suis resté dans ce club durant toute ma carrière.

A quel âge as-tu commencé la gymnastique à haut-niveau ?

J’ai commencé le haut-niveau vers l’âge de 15 ans, ce qui est assez tard car normalement les jeunes sont détectés vers 11-12 ans. Moi, j’avais été détecté une première fois à l’âge de 14 ans, mais j’avais refusé à l’époque d’aller en sport étude car je me sentais bien dans mon club. J’ai finalement accepté l’année d’après, et je suis rentré au centre de Fontainebleau où je suis resté un an. Là-bas, je suis passé d’un rythme de « club », donc environ 8-10 heures par semaine, à un rythme de 17-18 heures par semaine. L’année suivante, j’ai été détecté pour rentrer à l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance), où je suis passé à un rythme de 30 heures par semaine. Au final, en 2 ans, tout est allé vraiment très vite car j’ai directement intégré l’Équipe de France Junior à l’âge de 16 ans. Après de nombreux stages et regroupements, j’ai finalement intégré l’Equipe de France Sénior en 2001, à 21 ans, lors des Championnats du monde de Gand, en tant que remplaçant.

Quels sont tes meilleurs souvenirs dans la gymnastique à haut-niveau ?

Il y en a beaucoup… Le meilleur souvenir reste évidemment ma médaille olympique, bien-sûr, car c’est le rêve de tout sportif de décrocher une telle médaille. Après, il y a tous les souvenirs avec les copains, toutes les années d’internat, les rencontres que j’ai pu faire, à Fontainebleau et à l’INSEP. Et troisièmement, je dirai les voyages que le haut-niveau m’a permis de réaliser à travers les différentes compétitions, car ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir parcourir le monde ainsi.

En 2008, quand tu arrives aux Jeux Olympiques de Pékin, quelles sont tes attentes ?

C’est assez mitigé car à l’époque je sortais d’une année où j’avais subi plusieurs petites blessures qui m’avaient empêché de faire des bons résultats internationaux. Je savais que j’avais du potentiel au saut de cheval (un des 6 agrès de la gymnastique artistique masculine), donc on avait travaillé dur durant la préparation pour faire une médaille à cet agrès. Après, j’avais toujours eu la vocation, en adéquation avec mon entraîneur, à travailler également le concours général (l’ensemble des 6 agrès), mais je n’avais jamais eu l’occasion de me confronter aux meilleurs sur cette épreuve-là. Au final, j’allais vraiment aux JO pour décrocher une médaille au saut de cheval, et donner le meilleur de moi- même au concours général.

Finalement, quels seront tes résultats ?

Au saut de cheval je finis 5e, à cause d’une petite erreur qui m’éjecte du podium, et au concours général je décroche la médaille de bronze.

Ce jour-là, à quel moment tu as compris qu’il y avait une place à jouer au concours général ?
Quel est finalement ton sentiment quand tu décroches la médaille de Bronze ?

Pendant la compétition, je n’étais vraiment pas dans l’optique de décrocher une médaille, j’étais dans un autre état d’esprit, je voulais juste faire du mieux possible. Je voulais éviter de trop stresser, de trop penser à l’enjeu, je me suis concentré uniquement sur l’aspect technique de ma compétition. Je savais que j’étais capable de rentrer dans le top 10, mais je voulais juste faire du mieux possible. Tout au long de la compétition, je suis resté dans ma bulle, je n’ai pas du tout regardé mes notes pour ne pas être influencé, je voulais vraiment écarter toutes pensées parasites. Finalement, j’ai su que j’étais sur le podium qu’après avoir fini mon sixième et dernier agrès.

Les dernières médailles olympiques gagnées par des gymnastes français au concours général
dataient de 1920 (Marco Torrès et Jean Gounot aux Jeux d’Anvers), quel est ton ressenti face
à ce constat ? Pourquoi, selon toi, il fallut attendre presque un siècle pour que la France
remporte une telle médaille dans la gymnastique ?

C’est très complexe comme question, car je ne veux pas remettre en cause tout le travail qu’il y a eu jusqu’à maintenant en Equipe de France. Le problème majeur est qu’il y a toujours eu des nations très fortes, comme la Chine, le Japon, la Russie, qui ont toujours occupé le premier rôle. Du coup, les gymnastes français se sont moins orientés vers la préparation du concours général, car ils s’étaient mis en tête que ces médailles étaient inaccessibles. Donc ils préparaient plus intensément les finales par agrès que le concours général, et d’ailleurs il y a souvent eu des médailles aux agrès chez les français.

Si tu devais te décrire en 3 mots, que nous dirais-tu ?

Je dirais discret, timide, et impulsif.

On lit souvent que tu es superstitieux, peux-tu nous en dire un peu plus ?

C’est peut-être un peu réducteur de dire ça… J’ai surtout plein de petits rituels qui me permettent de me sentir bien le jour de la compétition, d’écarter les pensées parasites. Encore aujourd’hui, je suis dans le milieu du spectacle et je fais toujours les mêmes choses au même moment, avant de débuter mon numéro. La seule vraie superstition que j’avais en gymnastique c’était de mettre un bouchon de Châteauneuf-du-Pape dans mon sac avant le début de la compétition, car un jour j’avais réalisé une bonne compétition avec un bouchon qui avait trainé dans mon sac à dos, et depuis j’ai gardé cette habitude.

Quels sont les obstacles que tu as rencontrés durant ta carrière ? Certains t-ont-ils empêché
d’honorer des grands rendez-vous ?

Je dirais que le premier obstacle c’est avant tout moi-même, la gestion de mon stress notamment. Si je n’ai pas fait plus de résultats, c’est à cause de ça en réalité. Je suis passé complètement à côté de certaines compétitions à cause de mon anxiété, car elle me bouffait mon énergie et j’arrivais aux compétitions beaucoup plus affaibli qu’aux entraînements.

Est-ce-que, aujourd’hui, un gymnaste de haut-niveau peut vivre de sa pratique de la
gymnastique ? Si non, comment les gymnastes de haut-niveau financent-ils leurs
entraînements, déplacements, équipements ?

Aujourd’hui, je ne suis plus trop dans le milieu donc je ne peux pas trop en parler. Après, je sais que les choses ont évolué, que les systèmes de bourses ont changé, etc. A mon époque, avant ma médaille olympique, il est clair que je ne pouvais pas en vivre. En revanche, après ma médaille olympique, j’ai pu commencer à avoir un petit salaire. Avec Thomas Bouhail (médaillé d’argent au Saut de Cheval à Pékin en 2008), on a fait partie des premiers « semi professionnels » dans le milieu de la gymnastique en France. Après, cela reste évidemment incomparable avec ce qui peut se passer dans d’autres sports plus médiatisés, plus connus, mais ça m’a tout de même permis d’en vivre pendant quelques années. En revanche, à l’étranger, comme en Allemagne ou aux États-Unis, ça fait bien longtemps que c’est un sport professionnel où les gymnastes peuvent très bien en vivre.

Avec du recul, as-tu des regrets sur certains points de ta carrière ?

Non, à part mon anxiété, je n’ai vraiment aucun regret, sur aucun de mes choix.

Tu as pris ta retraite en 2013, peux-tu nous en dire un peu plus sur ta reconversion et sur ta
vie actuelle ?

Je me suis reconverti dans le milieu du vin, car c’était ma passion. En réalité, j’ai même anticipé l’arrêt de ma carrière puisque j’ai ouvert un commerce en 2010, donc avant de prendre ma retraite. Parallèlement à ça, je continue un peu dans le milieu du spectacle puisque je fais du French Cancan au Moulin Rouge. Cette nouvelle vie me permet de continuer à être actif, de faire un peu de sport le soir sur scène, et de m’occuper de mon commerce pendant la journée.

As-tu fait face à certains obstacles pour effectuer ta reconversion ? As-tu connu des difficultés
d’adaptation à ta « nouvelle vie » ?

Je pense que la reconversion, après une carrière de sportif à haut niveau, ce n’est vraiment pas évident… Je sais que chaque cas est différent, mais à mon époque je pense que la Fédération ne jouait pas assez son rôle dans l’accompagnement des sportifs après leur carrière… Pour ma part, dès que la Fédération a su que je savais ce que je voulais faire, elle m’a laissé seul et j’ai dû me débrouiller avec es amis, mes parents, pour monter mon commerce. J’ai un peu été « lâché dans la nature », et c’était assez complexe de se reconvertir, de passer de 30 heures d’entraînements à plus rien finalement.

Tu sembles aujourd’hui avoir coupé tous liens avec le monde de la gymnastique, est-ce-que
celui-ci te manque ?

Oui bien sûr, il y a plein de choses qui me manquent. Après, je suis encore en contact avec beaucoup de personnes que j’ai côtoyé pendant ma carrière, mais c’est vrai que je n’ai plus le temps d’aller dans une salle de gym pour voir des entraînements, pour voir des gymnastes s’entrainer, ou même pour m’entraîner moi-même. D’un autre côté, c’est un sport tellement exigeant, qui fait tellement mal, qui demande tellement d’heures d’entrainement, que je sais que je n’ai plus assez de temps pour en faire. Je crois que la dernière fois que je suis monté sur un agrès c’était en 2016, et si j’en refaisais aujourd’hui je pense que je ne prendrais aucun plaisir tellement la gymnastique se perd rapidement si on ne la pratique pas.

Le monde sportif connait depuis ce début d’année une vague de témoignages concernant des
violences sexuelles, et la gymnastique n’y échappe pas. Penses-tu que, actuellement, les
mesures mises en place sont suffisantes pour prévenir ce genre de dérives ?

C’est complexe… J’ai envie de dire que s’il y a autant de cas c’est que les mesures ne sont pas suffisantes. Après, je ne sais pas concrètement quelles mesures ont été mises en place jusqu’à maintenant, mais il faudra voir si les prochaines directives envisagées par la Ministre des Sports seront efficaces. Aujourd’hui, il est clair que trop de personnes se sont retrouvées à entraîner de nouveau alors qu’elles avaient déjà fauté par le passé. C’est d’autant plus complexe que la gymnastique est également touchée par le harcèlement moral, notamment chez les filles. Il faut déterminer à quel moment on passe la barre de la manipulation, de quelle manière l’entraîneur peut parler aux gymnastes, etc. C’est un rapport d’adulte à enfant, donc ça peut rapidement être problématique et il faut trouver le bon équilibre.

Pour finir, on dit parfois que « Le sport est école de vie », penses-tu que la gymnastique
confirme cette citation ?

Je suis peut-être un des seuls à penser ça, mais je vais répondre « non ». Après, chaque cas est différent, mais moi je me suis retrouvé dans un cycle où les autres faisaient tout pour toi : tu te levais, tu allais au self, ton petit déjeuner était prêt, tu allais en cours, tu t’entraînais toute l’après-midi, et le soir tu te couchais. On était vraiment dans des  bulles », uniquement faites pour étudier et s’entraîner. Finalement, le jour où on se retrouve dans la vraie vie, certes on a développé des qualités d’abnégation et de détermination, mais on se rend compte qu’il y a plein de choses qu’on ne sait pas faire. Je pense que beaucoup de sportifs de haut-niveau auraient aujourd’hui besoin d’aide pour « s’intégrer » dans la vraie vie après la fin de leur carrière.

Malgré cela, si c’était à refaire, tu le referais ?

Bien sûr, car je ne sais pas ce que j’aurais fait si j’étais resté dans un cursus normal (rires). Je n’étais pas forcément bon à l’école, et j’ai eu la chance d’étudier dans des classes réduites, d’avoir des tuteurs, et j’ai finalement eu mon bac grâce à ça, donc oui si c’était à refaire, je le referais !

Crédit photo : CNOSF

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