Winter-Dávila & Associés est un cabinet d’avocats créé par Me David Winter, membre du barreau de Paris et Madrid, et Me Miguel Angel Dávila, membre du barreau de Lima, au Pérou. Disposant d’un large réseau d’avocats en Europe et en Amérique Latine, il est spécialisé notamment en droit du sport, mais aussi en arbitrage international, droit des sociétés et représentation en général. Jurisportiva est allé à leur rencontre afin d’échanger sur la création récente de leur cabinet, sur leur ouverture à l’international et notamment sur le monde hispanophone ainsi que sur leur vision du droit du sport.
Comment définir une discipline aussi transversale que le droit du sport ? Et en quoi consiste les activités d’un cabinet spécialisé en la matière ?
Me Dávila : C’est le droit qui s’applique à l’ensemble du sport. Il ne s’agit pas du droit des compétitions, mais plutôt des transferts de joueurs, des procédures disciplinaires… Tout ce qu’on appelle Lex Sportiva. Pour exercer en droit du sport il faut connaître le droit des sociétés, le droit du travail… Il faut aussi connaître le droit suisse puisque l’essentiel des fédérations internationales sont basées en Suisse. Pour définir le droit du sport de manière plus concrète, c’est l’ensemble des règles de droit qui s’appliquent aux acteurs du sport.
Me Winter : Il y a une particularité qui est la réglementation des différentes fédérations. Pour le reste, c’est effectivement beaucoup de droit des sociétés, de droit civil, de droit du travail essentiellement, et de droit pénal parfois… Finalement toutes les matières du droit à partir du moment où elles se retrouvent appliquées au sport.
Pour un cabinet dont l’activité dominante est le droit du sport, il s’agit de connaître ces matières-là, avec souvent une spécialisation mais tout de même avoir une vue sur toutes ces branches du droit et leur application dans le monde du sport. Un cabinet en droit du sport doit avoir malgré tout une certaine vue sur la plupart des branches du droit privé.
Une autre particularité est son caractère international. Comme la majorité des fédérations internationales, et aussi le CIO, sont basées en Suisse, on essaye de faire le lien entre les droits locaux et la réglementation de chaque fédération. Il y a souvent des conflits entre ces droits. Certaines théories estiment qu’en cas de conflit il faut que prévale le droit local, mais certains avocats pensent le contraire, que le droit du sport doit prévaloir en faisant valoir le principe de spécificité du sport. C’est un débat sans fin qui existe depuis que le droit du sport est devenu une discipline indépendante.
Comment est né le cabinet WDA et pourquoi cet attrait pour la matière juridico-sportive ?
Me Winter : Je ne vais pas être très original malheureusement, mais j’ai toujours aimé le sport, j’ai toujours été pratiquant. Par ailleurs, je suis président d’un petit club de football amateur. Je suis aussi régulièrement l’actualité sportive. S’agissant du cabinet, c’est suite à ma rencontre avec Miguel Angel avec qui on partage cet intérêt pour le droit du sport, mais aussi pour les liens entre la France et l’Amérique du Sud. On a d’abord commencé à collaborer sur certains dossiers avec nos cabinets respectifs. Ensuite, pour traiter plus sérieusement les dossiers en droit du sport, on a décidé de monter notre propre structure.
Me Dávila : Pour moi, le cabinet Winter Davila et Associés est né évidemment parce qu’on a commencé à travailler ensemble sur des dossiers en droit du sport, notamment liés à l’Amérique du Sud. De mon côté, avant d’arriver en France, j’avais déjà une expérience en droit du sport. J’ai été joueur de l’équipe péruvienne de rugby. Maintenant je suis le président de la chambre de justice de la Fédération Péruvienne de Rugby et arbitre au sein de la chambre de résolution des litiges de la Fédération Péruvienne de Football. Avant d’arriver en France, le droit du sport représentait déjà une partie importante de mon activité d’avocat. Mon statut d’ancien sportif m’a permis de traiter des dossiers en lien avec le sport durant toute ma carrière.
Quand on a commencé à travailler les dossiers de manière indépendante, chacun avait sa propre structure, moi au Pérou et lui ici à Paris. Nous avons estimé que nous pouvions être un lien entre l’Amérique du Sud et la France. Car pour moi il n’existe pas à l’heure actuelle de liens très forts entre l’Amérique du Sud et la France au niveau sportif comme il en existe entre la France et le continent africain. Pour nous sud-américains, la France n’est pas une destination d’émigration naturelle, au contraire de l’Espagne, l’Italie ou même l’Allemagne.
Comme nous avions notre propre réseau en droit du sport, chacun dans notre pays, nous avons décidé de créer une structure internationale les réunissant.
Me Winter : De mon côté, j’avais un blog hispanophone, Abogado en Francia, où j’ai écrit quelques articles en droit du sport, par ce biais j’ai eu des clients qui ont commencé à me solliciter dans ce domaine. Mais il s’agissait d’abord de dossiers ponctuels, je n’ai pas tout de suite axé mon activité dans ce domaine.
Aujourd’hui l’objectif est d’avoir une bonne partie de notre activité en droit du sport, mais aussi garder une activité en droit des sociétés.
Votre cabinet a une véritable dimension internationale, avec une équipe implantée dans beaucoup de pays hispanophones, est-ce là votre principal atout ?
Me Dávila : En effet, le caractère international est une de nos forces. Si vous regardez sur notre site web, vous trouverez des articles écrits par des avocats originaires de nombreux pays. On a cherché des profils d’avocats avec une expertise en droit du sport, essentiellement en Amérique du Sud. Pour nous c’est très important de faire le lien entre la France et le monde hispanophone. Il ne s’agit pas que du football d’ailleurs. On parle beaucoup du foot car c’est le sport le plus populaire, mais on fait aussi du rugby, du basket…
Me Winter : C’est vrai, pour le rugby notamment il existe un certain nombre de joueurs sud-américains évoluant en France. Mais c’est vrai que l’on veut développer ces liens entre la France et ce continent. Car si bien évidemment il y a des joueurs sud-américains en France, il n’y en a pas tant que ça. Notre objectif est de « sud-américaniser » la France en développant les liens avec l’Amérique du Sud.
Me Dávila : Nous avons l’avantage de parler espagnol car, c’est peut-être une opinion partiale, mais je pense vraiment que dans le droit du sport international, l’espagnol est la langue la plus parlée avec l’anglais, pas le français ! Un avocat qui veut pratiquer le droit du sport doit parler ces deux langues. A chaque fois que j’échange avec des avocats étrangers, qu’ils viennent d’Asie, d’Europe, d’Amérique ou autres, c’est soit en espagnol soit en anglais, mais jamais en français, même si c’est la langue officielle dans de nombreuses fédérations internationales.
C’est comme le TAS par exemple, quand j’ai rédigé mon mémoire, j’ai fait les statistiques des langues utilisées pour l’ensemble des affaires traitées : le français représentait seulement 3% pour les 5 dernières années. Il y avait même des cas dans lesquels les deux parties étaient françaises mais ont décidé d’utiliser l’anglais pour la procédure. C’est aussi notre avantage, de maîtriser l’espagnol, et aussi l’anglais.
Une partie de votre activité repose sur l’arbitrage. Êtes-vous convaincus de l’efficacité de ce mode alternatif de résolution des litiges ? Pensez-vous que c’est une voie d’avenir pour le sport ?
Me Dávila : De mon expérience à la Fédération Péruvienne de Football, oui pour moi l’arbitrage est la meilleure manière de résoudre les conflits liés au sport car il s’agit essentiellement de conflits internationaux opposant des ordres juridiques locaux et internationaux. Il y a des spécificités que seul un avocat en droit du sport peut connaître. C’est vrai qu’en Europe et en Amérique du Sud, on retrouve des principes juridiques similaires. Mais comme je l’ai dit au début de l’entretien, la Lex Sportiva doit toujours être prise en compte, et c’est pourquoi l’arbitrage est la meilleure manière de résoudre les conflits. Maintenant nous avons le TAS, qui est un tribunal international mais dont l’accessibilité pourrait être amélioré.
J’ai rédigé un mémoire à ce sujet dont les conclusions confirment ce que tout le monde dit : le TAS est un tribunal européen. 80% des dossiers sont européens. Les coûts de l’arbitrage sont très chers pour les personnes qui ne vivent pas en Europe. Maintenant avec l’impact de la pandémie, la majorité des procédures sont possibles en vidéo-conférence, ce qui améliore son accessibilité. C’est un point positif.
Me Winter : Je voudrais aussi ajouter que de manière générale en France, on observe dans d’autres matières un développement des modes alternatifs de résolution des litiges, en droit commercial notamment. Effectivement, à l’instar du sport, cette tendance s’observe dans d’autres domaines et a vocation à s’accélérer je pense dans les prochaines années. Je pense que c’est plutôt une bonne chose.
Quelle opportunité représente l’ouverture vers l’Amérique du Sud pour un cabinet français ? Y a-t-il un intérêt spécifiquement lié au droit du sport ?
Me Winter : Effectivement en droit du sport, je crois que l’on doit être parmi les premiers à développer cette spécificité. Il en existe en droit commercial bien évidemment, mais en droit du sport je ne crois pas, ou alors très peu.
Me Dávila : C’est justement ce qui nous a poussé à ouvrir notre cabinet. Je pense qu’il y a beaucoup d’opportunités en droit du sport en Amérique du Sud. Il existe un besoin que l’on pense pouvoir combler.
Selon vous, existe-t-il une différence entre la perception du droit du sport en France et dans le monde hispanophone ?
Me Dávila : En effet, c’est vrai concernant certains pays hispanophones : l’Espagne, l’Argentine, le Mexique. Il y a aussi le Brésil en Amérique du Sud. Ces quatre pays sont très forts dans ce domaine. La plupart des universités proposent d’ailleurs des formations en droit du sport. Ils ont une conception très développée de cette matière.
Me Winter : En Espagne, c’est aussi lié au fait qu’il y un nombre très important d’avocats par rapport à la France, quasiment le double. La profession d’avocat y est plus accessible. De ce fait, ils ont cherché à ouvrir le métier d’avocats à d’autres spécialités, à d’autres branches. En Espagne, le besoin s’est fait plus vite ressentir du fait d’une concurrence plus féroce. C’est peut-être pour ça que ça s’est développé plus rapidement.
De manière générale, considérez-vous qu’il existe une conception du sport différente entre la culture hispanique et française ?
Me Winter : Je pense que oui effectivement, ils s’y intéressent depuis puis longtemps. Et puis l’Espagne est très forte dans plein de domaines du sport. Il y a un intérêt pour les questions juridiques du sport depuis plus longtemps.
Me Dávila : Je pense qu’en Amérique du Sud c’est similaire à l’Espagne. De manière générale, la culture française est très différente de la culture hispanique.
Me Winter : La place du sport dans la société n’est aussi pas la même. Il n’est pas aussi bien considéré en France qu’en Espagne ou en Amérique du Sud.
Me Dávila : Je voudrais d’ailleurs raconter une petite anecdote à ce sujet. La première fois que je suis allé dans un stade en France, c’était pour un match de l’équipe de France contre la Moldavie. Quand la France a marqué un but, moi en tant que péruvien, je m’attendais à des cris de joie, à une vraie célébration, et au lieu de ça les gens se sont simplement levés pour dire « But ! » et applaudir. Je me suis dit « Mais c’est quoi ça !? ». Chez nous, quand il y a un but, ou un essai, c’est au moins 10 secondes de liesse totale ! Je pense que ça explique et illustre beaucoup la différence culturelle entre la France et l’Amérique du Sud. De manière générale, il y a un peu moins de passion et de ferveur, dans le foot ou dans les autres sports.
Mais la France a quand même l’avantage d’être une nation « multisportive ». En tant que français, vous avez la possibilité de pratiquer une multitude de sports, ce qui n’est pas le cas en Amérique du Sud, où les choix sont limités à quelques disciplines comme le football, le basketball, le cyclisme…
Le football semble aujourd’hui occuper l’essentiel de l’actualité sportive, entre autres sur les aspects juridiques et économiques. Quelles sont à votre avis les autres disciplines sportives en mesure de générer des enjeux juridiques importants ?
Me Winter : Clairement, le football occupe une place importante dans les activités en droit du sport. Après en France y a notamment le rugby aussi, avec de très bons clubs, des budgets relativement importants et de très bons résultats sportifs puisque cette année les deux coupes d’Europe ont été remportées par des clubs français, avec même une finale 100% française. Il y a aussi cette particularité du rugby des échanges importants avec l’Argentine. On retrouve aussi des clubs importants dans le basket, le handball…
Dans nos activités, c’est essentiellement le foot, après vient le rugby. Mais il nous arrive d’avoir d’autres disciplines, comme le cyclisme par exemple.
Me Dávila : Le problème du cyclisme est que c’est un sport individuel. Les sports individuels sont totalement différents. Il est plus compliqué d’accéder à ces milieux car il y a moins de structures regroupant les sportifs comme les clubs dans les sports collectifs. C’est pareil pour la boxe, le tennis…
Me Winter : Il y a aussi beaucoup moins de transferts dans les autres disciplines que le football. S’il n’y a peut-être pas de discipline qui puisse générer autant d’activité juridique que le football, il y en toutefois d’autres qui peuvent malgré tout continuer à se développer et constituer un secteur d’activité juridique intéressant.
Le statut de l’avocat mandataire sportif et la législation autour de celui-ci fait couler beaucoup d’encre. Seriez-vous en faveur d’une formation obligatoire pour devenir mandataire sportif ou a contrario, il laisser une certaine liberté ?
Me Winter : Ce sujet fait beaucoup débat, notamment autour de la délimitation du rôle de l’avocat mandataire par rapport à l’agent. A mon avis, ce sont deux activités complémentaires qui peuvent coexister. L’avocat a une vue sur différentes matières juridiques, ce que l’agent peut difficilement avoir. Il n’a en principe pas le même bagage juridique qu’un avocat. De la même manière que l’avocat n’a généralement pas la même connaissance du milieu sportif que l’agent. C’est pourquoi je pense tout à fait qu’ils peuvent travailler ensemble.
Concernant la formation, effectivement ça pourrait être intéressant. Aujourd’hui il est très simple pour un avocat de se déclarer mandataire sportif, sans vrai contrôle sur l’expérience en droit du sport de l’avocat. Ceci étant, ça fait normalement partie de la déontologie de l’avocat, qui ne doit prendre que des dossiers sur lesquels il s’estime compétent, où il peut aider le client faisant appel à lui. Il doit pouvoir se fixer lui-même ses limites.
Après en tant qu’avocat, nous avons aussi une obligation de formation continue, on pourrait donc imaginer que les avocats mandataires sportifs aient une partie de ces heures consacrée au droit du sport.
Les avocats ont aussi la possibilité d’être président ou actionnaire d’une société commerciale ayant une activité connexe à celle d’avocat. A l’avenir, ça peut être une bonne solution pour former des structures regroupant agents et avocats qui serait la formule la plus intéressante pour les sportifs. Encore faut-il pour ça que les deux milieux aient la volonté de collaborer, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui, où l’on met plus en avant les divergences que les points communs. Je pense que ça finira par arriver.
Me Dávila : En effet, nous travaillons déjà souvent avec des agents sur des affaires. Il est impossible pour les agents de travailler sans avocat, et vice-versa.