Vers une réforme de la réglementation applicable aux transferts internationaux des joueurs mineurs ? Les crises de la Covid-19 et des Droits TV ont confronté le football français à ses réalités économiques. Les comptes dans le rouge, la solution financière envisagée par les clubs se résume bien souvent à la combinaison de la formation et du “trading”. C’est ainsi que cette pratique, aussi surnommée « achat-revente » se rapprochant des codes de Wall Street se développe, l’objectif étant d’acheter ou de former un jeune joueur prometteur et le revendre quelques années plus tard afin de réaliser une plus-value financière.
Derrière la gestion des finances et la compétitivité des clubs se cache la réalité juridique et notamment la protection des jeunes joueurs. La question des transferts internationaux des mineurs est en réalité celle de la recherche d’un équilibre entre deux impératifs : offrir aux jeunes l’opportunité de démontrer leur talent dans les meilleures ligues, tout en les protégeant des dérives des acteurs du marché des transferts. C’est pourquoi la FIFA a introduit en 2001 un cadre réglementaire visant notamment la protection des mineurs dans le contexte des transferts internationaux.
Abel Audoux, étudiant en Master 2 Droit du Sport à l’Université Côte d’Azur de Nice, vous propose ici, un décryptage du régime juridique des transferts internationaux de joueurs mineurs.
Les exceptions au principe de l’interdiction des transferts internationaux de joueurs mineurs
Le Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs de la FIFA (RSTJ FIFA) pose en son article 19.1 le principe selon lequel « le transfert international d’un joueur n’est autorisé que si le joueur est âgé d’au moins 18 ans ». Cependant, ce même article ainsi que le « Guide pour la soumission d’une demande d’approbation pour un joueur mineur » publié par la FIFA en septembre 2020 énoncent six exceptions pour lesquelles le transfert du mineur est autorisé :
1. Les parents du joueur déménagent dans un nouveau pays pour des raisons étrangères au football (art. 19, al. 2a) ;
2. Le joueur est âgé de plus de 16 ans et est transféré à l’intérieur du territoire de l’Union européenne et/ou de l’Espace économique européen (art. 19, al. 2b) ;
3. Le joueur et son nouveau club se trouvent dans des pays voisins, tous deux à moins de 50 km de leur frontière commune, et la distance entre les deux est de 100 km au maximum (art. 19, al.2c) ;
4. Le joueur déménage pour des raisons humanitaires, sans être accompagné de ses parents (art. al.2d) ;
5. Le joueur est un étudiant effectuant un programme d’étude à l’étranger (art. 19, al.2e) ;
6. Le joueur est enregistré pour la première fois auprès d’une association après avoir vécu au moins cinq années consécutives dans ce pays (art. 19 al.3 et al.4).
La stricte interprétation de l’article 19, al. 2a du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs
L’exception énoncée à l’article 19, al. 2a du RSTJ FIFA (« si les parents du joueur s’installent dans le pays du nouveau club pour des raisons étrangères au football ») est source de nombreux litiges et la rigoureuse interprétation des termes « pour des raisons étrangères au football » de la Commission du Statut du Joueur (CSJ) ainsi que du Tribunal Arbitral du Sport (TAS) portent à discussion.
Pour exemple, prenons l’arrêt TAS 2011/A/2494 FC Girondins de Bordeaux c. FIFA : Valentin Vada et sa famille de nationalité argentine rejoignent la région Bordelaise, son père trouve immédiatement un emploi auprès d’un sponsor majeur des Girondins. Courant 2011, la Fédération Française de Football entre dans le Système de Régulation de Transfert (TMS) une demande d’approbation de transfert international pour Valentin Vada, invoquant le déménagement de ses parents pour des raisons étrangères au football. Néanmoins, le Juge Unique de la Sous-Commission du Statut du Joueur la rejette considérant « qu’il ne pouvait être établi de manière claire et indubitable que les parents du joueur s’étaient installés en France pour des raisons qui n’étaient en aucune manière liées au football ». Le litige porté devant le TAS, les arbitres considéreront que Valentin Vada n’a su démontrer que le déménagement n’avait pas pour substance essentielle le « facteur football».
Si l’application de la règle fut juste, les conséquences sont elles regrettables puisque la Formation du TAS constatera d’elle-même que Valentin Vada « se voit privé de licence alors même que ses deux frères peuvent, quant à eux, évoluer normalement au sein du FCGB. Il s’agit néanmoins de préciser que seul Valentin Vada tombe sous le coup de l’article 19 RSTJ, son frère aîné étant majeur et son frère cadet trop jeune pour devoir acquérir une licence. En outre, même si elle n’est bien entendue pas insensible à la frustration compréhensible que ressentira Valentin Vada ». Dès lors se pose la question de l’efficience de la protection du mineur qui serait victime d’un déracinement social, culturel, économique et/ou éducatif, voire d’une exploitation à des fins sportives et commerciales de son potentiel footballistique au détriment de son bien-être et de son développement personnel.
Le TAS confirmera sa stricte interprétation notamment en ses arrêts 2015/A/4312 John Kenneth Hilton c. FIFA et 2017/1/5244 Oscar Bobb c. FIFA. Il apparaît donc que l’application non extensive de la règle crée ponctuellement des conséquences injustes. Néanmoins, en considération de l’enjeu de la protection des mineurs, le TAS ne tolère aucune brèche jurisprudentielle.
Le formalisme de la « double approbation » par la FIFA
La volonté de la protection des mineurs se traduit également à l’article 19, al. 4 du RSTJ FIFA qui prévoit une double approbation, la première étant celle du TMS, usuelle à tout transfert international, la seconde propre aux joueurs de moins de 18 ans qui bénéficient d’un second contrôle d’une sous-commission dépendante de la CSJ. Le formalisme de double approbation est d’autant plus dissuasif pour les clubs de contrevenir aux règles d’enregistrement que les sanctions infligées par la CSJ et le TAS en cas de non-respect sont significatives.
Quelques exemples concrets…
A titre d’exemple, le 14 janvier 2016, la FIFA a condamné le Real Madrid et l’Atletico Madrid à une interdiction de recrutement d’un an, soit pendant 2 mercatos (2016-2017). De surcroit, les clubs madrilènes ont tous deux écopé d’une amende pour avoir violé le règlement FIFA sur les transferts des joueurs mineurs, respectivement de 821.000€ pour l’Atletico Madrid et 328.000€ pour le Real Madrid.
Plus récemment, Chelsea avait été privé de recrutement pour deux mercatos (2019-2020) en raison d’une infraction à la réglementation des « transferts internationaux de joueurs mineurs », et ne pouvait donc recruter jusqu’au 31 janvier 2020. Interdiction de recrutement qui avait, finalement, été levée par le Tribunal Arbitral du Sport, le 6 décembre 2019, autorisant les « blues » a recruter en janvier 2020.
Quel avenir pour le régime des transferts internationaux de joueurs mineurs ?
Rappelons le, la FIFA a introduit en 2001 le cadre réglementaire visant notamment la protection des mineurs dans le contexte des transferts internationaux, régime qui a, par la suite, été renforcé en 2009, 2016 et 2020. En outre, suite à la réforme du RTSJ en 2020 relative au Brexit, la FIFA a eu l’occasion de modifier les règles en vigueur sur la protection des mineurs. Jérôme Perlemuter, membre de la Task Force de la FIFA, a affirmé lors du podcast « Play On the Morgan Sports Law – Transfers of Minors in Football » que la question des mineurs a été évoquée. Néanmoins, au vu de la complexité des enjeux en présence, il précise que ces règles seront vraisemblablement appréciées dans un futur proche lors de discussions spécifiques à ce sujet. Difficile donc d’avoir une idée claire des avancées dont pourrait faire l’objet ce règlement dans un futur proche. Affaire à suivre…
Article rédigé par Abel Audoux
Crédit photo: MyKhel