Structuration par groupements des acteurs de l’esport

par | 25, Sep, 2023

« UN POUR TOUS ET TOUS POUR UN ! »

Voilà ce qu’auraient pu scander à l’unisson les créateurs de contenus et les influenceurs lorsqu’ils se sont regroupés, en ce début d’année 2023, pour défendre leurs intérêts à travers l’Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs de Contenu (« UMICC »).

De quoi donner matière à réflexion aux acteurs du secteur esportif, qui peinent encore, chacun dans leur domaine respectif, à s’exprimer d’une seule voix en France.

Les problématiques suivantes sont posées :

  • Faut-il se regrouper ? 
  • Quels sont les modèles existants, en France, à l’international ? 
  • Comment se regrouper ? ( Sous quelle forme ? Quelles conditions d’adhésion ? Quel type de gouvernance et de répartition des pouvoirs ?).

Vous saurez tout (ou presque) en lisant cette série de 3 articles, à commencer par la première partie aujourd’hui, rédigés par Victoire Avocats et publiés par Jurisportiva !

1. Introduction

L’esport est un domaine en pleine évolution, dont la structuration a déjà été largement amorcée, notamment grâce à des acteurs représentatifs du secteur comme France Esports.

Les discussions début 2023 entre le gouvernement et différentes parties prenantes du secteur ont montré la nécessité d’aboutir à un dialogue global et sur le long terme. 

Dans cette perspective, certaines franges de l’écosystème esportif auraient sûrement intérêt à se grouper, afin de porter ensemble leur voix auprès d’associations représentatives telles que France Esports ou des pouvoirs publics et, ainsi, peser davantage dans les négociations.

À l’échelle internationale, illustration peut être donnée aux Etats-Unis, où la LCSPA (organisation représentative des joueurs de LOL évoluant en LCS) a œuvré, en invoquant la menace d’un mouvement de grève, à instaurer un véritable dialogue avec RIOT GAMES au sujet du modèle économique de la NACL et à retarder de 2 semaines le coup d’envoi des LCS Summer Split !

S’agissant spécifiquement du jeu Counter Strike, l’initiative transcontinentale constituée sous le nom de Counter-Strike Professionnel Player’s Association (CSPPA) a également pu porter ses fruits en aboutissant, par exemple, à l’obtention de certaines pauses annuelles pour les joueurs professionnels. 

À l’aune de ces exemples outre-Atlantique, de ce qui a pu être fait en France pour les métiers de l’influence et de créateurs de contenu ou encore de la construction du sport traditionnel, il apparaît indispensable de réfléchir dès maintenant à une transposition dans le secteur de l’esport français.

Toutefois, s’il existe des exemples de réussite de ces modèles de groupement, il n’en reste pas moins que ce chemin est semé d’écueils, ce que les influenceurs ont d’ailleurs pu apprendre à leurs dépens ces derniers mois, au fur et à mesure que le processus législatif avançait en France.

Dès lors, si la mutualisation par groupements apparaît aujourd’hui nécessaire dans un secteur esportif parfois très morcelé, il est nécessaire de procéder rigoureusement et par étapes afin de poser des bases de réflexion saines quant à la structure à établir, sa gouvernance, ses moyens d’actions et les modalités concrètes de la création d’un tel groupement.

Joueurs, associations, clubs, organisateurs d’évènements esportifs, comment vous unir pour être plus fort ?

Victoire Avocats tentera d’apporter des débuts de réponse à ces questions et de vous éclairer en vous présentant, en trois articles :

  • Une approche endémique du différentiel entre la structuration par groupements de l’esport aux Etats Unis en comparaison avec la France (1/) ;
  • Quelques exemples concrets et fructueux au-delà de l’esport ainsi que les transpositions qui pourraient être envisagées (2/) ; 
  • Quelques propositions de structures envisageables pour se regrouper en France et les avantages en résultant (3/).

I – Approche comparative de la structuration par groupement dans l’esport français et américain

Afin de mieux comprendre dans quelle mesure l’esport français mériterait sûrement de se structurer davantage, et en particulier par voie de groupement, nous vous proposons de :

  • Présenter un exemple concret de structuration de l’esport par groupement aux Etats-Unis (1/A)
  • Comparer ledit exemple avec ce qu’il se fait de mieux en France aujourd’hui (1/B)

A. L’exemple récent de la LCS aux États-Unis : l’impact des groupements

Cet été, la LCS Summer Split 2023, segment d’été de la Ligue d’Amérique du Nord du jeu League of Legends, développé par l’éditeur RIOT GAMES, a été le théâtre d’un différend emblématique opposant les joueurs, les clubs et l’éditeur. 

À l’origine de ces tensions se trouve le projet de RIOT GAMES de supprimer l’obligation pour les clubs de LCS d’avoir une équipe en NACL (équipe réserve, dans une division esportive inférieure, la Challengers League).

À l’annonce d’une telle décision, la LCS Players Association (« LCSPA »), véritable syndicat de joueurs de LCS, a manifesté un vif mécontentement et s’est opposé à cette décision. 

Selon ce groupement, une telle suppression de l’obligation pour les clubs de LCS d’avoir une équipe en NACL aurait pour conséquence : 

  • Une perte d’audience et d’intérêt de la NACL, impactant notamment la visibilité des joueurs ;
  • Une menace directe d’environ 70 emplois, du fait de la perte de la période de transition ou d’adaptation pour la NACL.

À la hauteur des risques en jeu, la LCSPA a fait le choix de brandir un argument de taille à l’éditeur RIOT GAMES : si l’éditeur ne consentait pas à quelques concessions sur l’organisation de la LCS et de la NACL, la LCSPA inciterait les joueurs à se mettre en grève, menaçant ainsi la bonne reprise du Summer Split 2023. 

Les principaux intéressés, à savoir les joueurs, se sont d’ailleurs majoritairement montrés en faveur d’une telle grève, ce qui a poussé RIOT GAMES à revoir sa position. En particulier, il semblerait que les discussions aient permis d’aboutir :

  • À l’instauration d’un préavis minimum de 30 jours et une obligation d’indemnité de licenciement pour les joueurs gagnant jusqu’à 1,5 fois le salaire minimum de la ligue ;
  • À un partage de revenus générés par le sponsoring de la NACL revenant à 50% aux équipes de la ligue ;
  • Au versement de 300.000 $ pour le reste de l’année 2023 à partager entre les 10 équipes de NACL en vue d’améliorer les perspectives de rémunération des joueurs.

Les Summer Split 2023, quant à eux, auront tout de même été retardés de 2 semaines.

Il convient toutefois de noter que les demandes de la LCSPA sont loin d’avoir été acceptées dans leur intégralité et qu’il reste encore un travail de fond à mener si la LCSPA souhaite convaincre l’éditeur de consentir à l’ensemble de ses demandes.

En tout état de cause, RIOT GAMES et la LCSPA ont indéniablement entamé un dialogue constructif en vue de mieux tenir compte des intérêts des joueurs dans l’organisation des compétitions, dialogue qu’il conviendra d’entretenir en vue des prochaines saisons.

Cet évènement aura en tout cas permis de montrer que l’esport est un écosystème dans lequel il est envisageable de voir des parties prenantes, tels que des joueurs ou des clubs, se rassembler pour défendre leurs intérêts et que cette logique de groupements n’est pas l’apanage des éditeurs.

 C’est d’ailleurs l’objet même de la LCSPA. Fondée en 2017 par RIOT GAMES, avant de recouvrer une indépendance financière et gouvernementale en 2020, la LCSPA a permis différentes avancées dans les droits des joueurs esportifs, notamment, selon ses dires :La création de la première base de données centrale de contrats pour les joueurs afin de partager le salaire et d’autres informations contractuelles permettant de renforcer le pouvoir de négociation de tous les joueurs ;L’assouplissement des restrictions de streaming imposées aux joueurs ;La mise en place du premier sommet des joueurs afin d’unifier les voix de tous les joueurs des LCS ;La mise en place d’un programme d’éducation pour soutenir les joueurs amateurs sur le circuit Proving Grounds ;Le lancement du programme de droits de licence de groupe de la LCSPA avec OneTeam Partners aux fins de créer de nouveaux revenus pour les joueurs, les équipes et RIOT GAMES ; Le lancement de la Champions Queue au printemps 2022 en tant que première ligue interne de joueurs professionnels financée par les développeurs. 

B. Quelle adaptation concrète d’une conscience syndicale dans l’esport français ?

Aujourd’hui, l’esport français ne connaît quasiment aucun groupement d’acteurs à travers des organisations professionnelles. 

Les éditeurs ont tout de même mis en place certaines initiatives bienvenues, notamment par le biais du Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs (SELL), prenant la forme d’une association professionnelle, regroupant 25 adhérents, dont 22 éditeurs et dont le but est de promouvoir, défendre et représenter les intérêts des éditeurs de jeux vidéo. Fort de cette union et de ces prérogatives, le SELL organise, par exemple, depuis 2010 la PARIS GAMES WEEK et réalise des campagnes d’informations pour promouvoir le jeu vidéo auprès du grand public. 

D’autres initiatives sur le territoire français sont à saluer, parmi lesquelles le Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV), créé en 2008, qui représente les entreprises de production et d’édition de jeux vidéo française.

Enfin, et non des moindres, l’association France Esports représente, depuis 2016, l’écosystème esportif français et œuvre notamment afin de:

  • Structurer, promouvoir et être le plus représentatif possible de la filière esport française à l’échelle internationale, nationale et locale ;
  • Participer à l’élaboration d’un cadre règlementaire clair et adapté aux spécificités de l’écosystème esportif ;
  • Favoriser une pratique responsable et inclusive de l’esport à tous les niveaux de la chaîne de valeur. 

Pour autant, à date, en l’absence de budgets suffisants et d’un traitement mutualisé des demandes des Parties prenantes de l’esport (joueurs, associations et clubs, organisateurs d’évènements), le secteur esportif français gagnerait sans aucun doute à ce que cette dynamique de groupements soit considérablement renforcée et accompagnée davantage par les pouvoirs publics.

Les dernières annonces de début d’année de Madame la Ministre des sports, du Ministère délégué à la Transition numérique et de Madame la Ministre de la culture vont ainsi dans le bon sens, affirmant leur volonté d’accélérer la structuration de la filière esport et renforcer son attractivité d’ici 2025[1].

Ainsi se clôt notre premier volet de la trilogie sur les groupements d’acteurs de l’esport.

Nous vous retrouvons la semaine prochaine avec quelques exemples concrets et fructueux de groupements existants en France et qui pourraient inspirer le milieu de l’esport. 

Julien LOMBARD – Avocat associé, Créateur du Podcast « Droit à l’Esport » 

Manon LEFAS – Avocate collaboratrice

Edouard LUCKEN – Avocat collaborateur

Gwendal MADEC – Alternant juriste


[1] Faire de la France une grande nation de l’esport et donner une nouvelle impulsion à la stratégie esport 2020-2025 (culture.gouv.fr)

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