Les deux dernières semaines, au sein de deux articles distincts, Victoire Avocats abordait pour Jurisportiva les principales problématiques du secteur esportif à se mobiliser autour de groupements ; présentait la structuration collective dans l’esport américain comparée à celle existante à ce jour en France ; et revenait sur la structuration par groupement auprès des influenceurs et dans le sport. Cette semaine, nous vous retrouvons pour le 3ème et dernier volet de la trilogie sur les groupements d’acteurs de l’e-sport. Zoom.
I/ Les avantages de se regrouper et les différentes formes envisageables
Après un bref rappel des enjeux de la nécessaire structuration collective du secteur esportif (I/A), Victoire Avocats tente l’analyse de trois formes de structures qui pourraient s’appliquer au secteur de l’esport (II/B).
A/ Le rappel des enjeux de la nécessaire structuration collective dans le secteur de l’esport
La structuration collective passe, à notre sens, par une nécessaire conscience syndicale qui doit se façonner bien avant l’émergence de conflits entre les parties prenantes.
Quels sont les avantages pour les acteurs professionnels de l’esport de s’unir ?
À l’instar d’un guichet unique :
- Un rôle de représentation : assurer la représentation des acteurs à l’échelle locale et au niveau national, disposer d’une voix représentative plus importante auprès des autres acteurs (en fonction, les éditeurs, les organisateurs d’événement, les associations/clubs, les joueurs), des organisations représentatives existantes (FRANCE ESPORTS) et des pouvoirs publics notamment, défendre les intérêts de ses membres en cas de conflits avec d’autres acteurs.
- Un rôle de gestion : s’occuper de différents sujets de la vie de ses membres (suivi du calendrier, qualité de vie des joueurs, gestion de l’image, formalités administratives etc.).
- Un rôle d’interaction interne : Un dialogue constant entre les différentes parties, au sein de l’organisation, aux fins de faire avancer les droits des membres et par exemple : de cibler plus spécifiquement les revendications (contrat de travail, TVA, passeport talent, relations avec les éditeurs, droits des organisateurs de compétitions, etc.) ; De permettre des modifications sur des sujets donnés (organisation de compétitions nationales, édition du calendrier de la saison…) ; D’encourager et inclure tous les acteurs de son domaine spécifique.
B/ Les formes juridiques envisageable pour un tel groupement
Quelle forme l’union doit-elle prendre ? Principalement trois formes différentes pourraient être envisageables en vue de structurer le secteur esportif par groupement, en fonction des personnes et des intérêts à protéger :
1) L’association professionnelle
Forme : Association de personnes physiques ou morales.
Vocation : Représenter et défendre les intérêts des professionnels d’un domaine particulier.
Cadre légal : Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.
Missions variées, selon les statuts :
- Formation
- Réglementation
- Promotion
- Défense des intérêts de ses membres.
Caractéristiques :
- Peut exercer une activité économique ou réaliser des bénéfices ;
- Peut, selon certaines conditions, être reconnue d’utilité publique.
2) Le syndicat
Forme : Groupement de personnes physiques ou morales.
Vocation : Défendre ou gérer des intérêts communs.
Cadre légal : Code du travail : Articles L2111-1 à L2152-7.
Objectifs :
Étude et défense :
- Des droits
- Des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels des personnes mentionnées dans leurs statuts
Caractéristiques :
- Ne peut pas exercer une activité économique ou réaliser des bénéfices ;
- Ne peut a priori pas être reconnue d’utilité publique.
3) La Fédération professionnelle
Forme : Association ou groupement syndical.
Vocation : Représenter et coordonner les intérêts de plusieurs associations ou syndicats professionnelles qui travaillent dans le même secteur d’activité, en vue, notamment, de défendre leurs intérêts et influencer les politiques publiques.
Cadre légal : Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.
Objectifs principaux :
- Promotion de la profession auprès des décideurs politiques,
- Diffusion de l’information et des bonnes pratiques,
- Représentation des intérêts de leurs membres
- Coordination des activités des associations membres,
- Négociation de contrats et d’accords, – Mise en place de normes professionnelles communes.
Caractéristiques :
- Peut exercer une activité économique ou réaliser des bénéfices
- Peut, selon certaines conditions, être reconnue d’utilité publique
Dès lors, sur la base de ces différents régimes, il serait envisageable de voir naître, demain :
- Un syndicat de joueurs esportifs ;
- Un syndicat ou une association professionnelle de clubs esportifs, voire une fédération professionnelle, cette dernière option n’étant pas privilégiée par les acteurs du secteur à ce jour ;
- Une association professionnelle des organisateurs d’événements esportifs ;
- Un syndicat par équipe ;
- Un syndicat par jeu.
Attention cependant à bien délimiter les modalités de création (critères d’adhésion, gouvernance, règlement intérieur, charte de bonne conduite etc.) et de financement de ces groupements. En effet, il est très important, pour que le système fonctionne, d’avoir une réelle indépendance du groupement.
À titre d’exemple, il convient donc de limiter, dans la mesure du possible, l’ouverture des financements aux éditeurs lorsque le groupement représente les clubs, ou encore aux clubs lorsqu’il représente les joueurs, au risque de voir ses effets amoindris. Tel fut d’ailleurs le cas de LCSPA jusqu’en 2020.
De même, il est important de prévoir dans les statuts constitutifs desdits groupements, les dispositions suivantes :
- Objet social : quel est le but du groupement ? Quels sont les objectifs ?
- Conditions d’adhésion : qui a vocation a été membre ? Professionnels ? Amateurs ? Taille et chiffre d’affaires minimum ? Durée de l’adhésion ? Renouvellement ? Nombre limité d’adhérents ? Coût de l’adhésion, gratuit, onéreux ?
- Gouvernance : comment sont représentés les membres ? Répartition par collège ? Constitution d’un conseil d’administration et/ou d’un bureau ? Modalités d’élection des organes de direction ? Quels sont le rôle et les pouvoirs de ces organes de direction au sein du groupement ?
- Modalités de prise de décision : en assemblée générale ? Quelles décisions doivent être prises en assemblée générale extraordinaire ? Quelles modalités de vote (à bulletin secret, main levée) ? Quorum et majorité ? Autorisation des pouvoirs ?
- Modalités de sanction et d’exclusion d’un membre : possibilité de sanctionner ses membres ? D’exclure un membre ? Quelles modalités ?
- Modalités de dissolution du groupement et ses conséquences : quand et comment le groupement peut-il être dissous ? Qu’advient-il des biens appartenant au groupement à sa dissolution ?
En conclusion, il nous apparaît essentiel pour le secteur, notamment en France, que des représentants de chaque acteur (joueurs, associations/clubs, organisateurs d’événement, etc.) se rassemblent afin de porter une voix plus forte auprès des parties prenantes et plus particulièrement des éditeurs, des associations déjà représentatives (France Esports) et des pouvoirs publics en vue d’une meilleure structuration de l’esport et ce, pour le bien de tous (y compris des éditeurs).
Pour ce faire, nous recommandons vivement qu’une réflexion de fond soit menée immédiatement sur le statut juridique, la gouvernance, les moyens de financement, les objectifs et missions aux fins d’aboutir à un modèle sur-mesure répondant, pour chacun des acteurs, aux spécificités du secteur.
Julien LOMBARD – Avocat associé, Créateur du Podcast « Droit à l’Esport »
Manon LEFAS – Avocate collaboratrice
Edouard LUCKEN – Avocat collaborateur
Gwendal MADEC – Alternant juriste