Comme tout secteur d’activité, l’esport est réglementé par le droit, et les relations contractuelles entre joueurs et clubs esportifs n’y échappent pas. L’actualité laisse paraître une certaine inadéquation du contrat de travail spécifique à l’esport. Son régime légal présente de nombreuses limites pratiques qui en découragent le recours et le rendent impopulaire. Ces critiques sont-elles fondées ? Dans quelles conditions est-il possible de le mettre en place ?
Le prochain article Jurisportiva fera l’état des lieux des potentielles évolutions que pourrait connaître le régime et sera l’occasion de dresser quelques ébauches de propositions pour améliorer le cadre juridique de ce secteur en structuration.
Le cadre légal et les spécificités du contrat de travail esportif
La base légale du CDD esportif
Pour rappel, la relation de travail est caractérisée dès lors qu’une personne s’engage contre rémunération à travailler pour le compte d’une autre personne, et ce, en présence d’un lien de subordination.
En France, le contrat à durée indéterminée (le « CDI ») est le contrat de droit commun.
Par exception, le contrat peut être à durée déterminée (le « CDD ») sous certaines conditions limitativement énumérées par le Code du travail aux articles L 1242-1 (remplacement d’un salarié absent, tâche précise et temporaire…).
Cependant, pour certains secteurs, dont le sport et l’esport :
- Le CDI ne semble pas adapté ;
- Le CDD actuel ne répond pas aux conditions d’emploi dans la pratique.
S’agissant du sport, le législateur, par la Loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015, a créé un nouveau format de CDD pour les sportifs et entraîneurs professionnels, que l’on retrouve à l’article L. 222-2-3 du Code du sport et que l’on nomme (le « CDD spécifique»).
Concernant l’esport, le Législateur a introduit par l’article 102 de la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République Numérique (modifié par l’ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017) un contrat de travail spécifique dit (« CDD esportif ») à durée déterminée sur le modèle du CDD sportif obligatoire depuis 7 ans désormais dans le secteur du sport.
Les parties signataires du contrat de travail esportif
Le CDD esportif est limité aux deux parties suivantes :
« Le joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif » :
- Une personne physique ;
- Ayant pour activité rémunérée ;
- La participation à des compétitions de jeu vidéo ;
- Dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique ;
« Une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique » :
- En pratique il s’agira d’un club esportif sous la forme d’une société commerciale ou d’une association de loi 1901 ;
- Qui fait appel à un joueur remplissant les conditions susvisées ;
- Contre rémunération.
Une entité qui ne bénéficierait pas de l’agrément du ministre chargé du numérique ne pourra donc pas bénéficier du régime juridique du CDD esportif.
A contrario, l’utilisation du CDD esportif pour toute entité ayant obtenu l’agrément dans le cadre d’une relation de travail salariée avec un joueur e-sport est obligatoire.
À ce jour, seules cinq structures françaises disposent de l’agrément. TIDES par agrément du 15/05/2019 ; GameWard par agrément du 06/03/2020 ; Gamers Origin par agrément du 26/11/2020 : LDLC OL par agrément du 06/01/2022 ; Izidream par agrément du 13/01/2022.
Comment obtenir l’agrément esportif ?
1. Le dossier de demande d’agrément
Conformément au Décret n° 2017-872 du 9 mai 2017 relatif au statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs, la demande d’agrément n’est délivrée que si certaines conditions sont remplies comme en dispose l’article 5 dudit décret, notamment si l’objet de l’association ou de la société comporte la participation aux compétitions de jeux vidéo ; cette dernière est en mesure de fournir des moyens humains, matériels et financiers permettant de satisfaire l’objet pour lequel l’agrément est sollicité etc …
Il est précisé que le Ministre chargé du Numérique vérifie la mise en œuvre par l’entité qui sollicite l’agrément de ces deux derniers moyens.
De surcroît, la demande d’agrément doit comporter un certain nombre d’informations que l’on retrouve à l’article 2 du décret, telles que l’adresse et la raison sociale de l’association ou de la société ; l’objet de la société ou de l’association; les événements compétitifs et les disciplines auxquelles l’association ou la société envisage de participer etc …
2. L’envoi du dossier de demande d’agrément
La demande doit ensuite être adressée :
- Par son représentant légal, à savoir selon la forme juridique soit son Président ou son Gérant ou tout autre personne dûment habilitée pour ce faire ;
- Au Ministre Chargé du Numérique ;
- Par voie électronique ou par lettre recommandée avec avis de réception.
Le Ministre chargé du numérique vérifie que les dirigeants de l’association ou de la société n’ont pas fait l’objet d’une condamnation pénale, ni d’une sanction civile, commerciale ou administrative de nature à leur interdire de gérer, administrer ou diriger une personne morale ou d’exercer une activité commerciale.
3. La durée de l’agrément
La durée de l’agrément est de trois ans renouvelable, étant précisé que la demande de renouvellement doit être déposée, au plus tard, trois mois avant le terme de la période d’agrément initial.
4. Le retrait de l’agrément
L’agrément peut être retiré à l’association ou à la société dans plusieurs cas précisés à l’article 7 dudit décret. Cela peut aller du non-respect des dispositions légales relatives à la santé et à la sécurité au travail ainsi que celles liées au travail de joueurs mineurs à l’exercice d’activités autres que celles déclarées dans la demande d’agrément etc…
Lorsque le Ministre Chargé du Numérique décide de retirer l’agrément à une association ou société informe l’entité concernée par lettre recommandée avec avis de réception ou par voie électronique et lui accorde un délai pour faire valoir ses observations d’une durée au moins égale à quinze jours.
Quels sont les principes du CDD esportif ?
1. Les durées du CDD esportif
Par principe, la durée minimale du CDD esportif est la durée d’une saison esportive, à savoir 12 mois, sauf exception liée à la conclusion d’un contrat en cours de saison et sous réserve de:
- Courir au minimum jusqu’au terme de la saison en vue de :
- « La création d’une équipe pour concourir sur un jeu nouvellement lancé» ;
- « La création d’une équipe pour concourir sur un jeu où aucune autre équipe existante de l’employeur ne dispute de compétitions dans le même circuit de compétition» ;
- « La création d’un nouveau poste dans une équipe existante» ;
- Permettre le remplacement d’un autre joueur professionnel absent ou suspendu.
Sa durée maximale est de 5 ans, renouvelable.
2. Les dates des saisons des compétitions de jeux vidéo
Les dates de début et de fin des saisons des compétitions de jeux vidéo sont définies par un arrêté du ministre chargé du numérique, en fonction du jeu vidéo ou du circuit de compétition concerné.
3. Le formalisme du CDD esportif
Tout CDD esportif, à l’instar du CDD de droit commun :
- Doit être établi par écrit ;
- En au moins 3 exemplaires ;
- Mentionner les droits et obligations ci-avant détaillées ainsi que l’ensemble des dispositions précisées à l’article 102 de la loi pour une République numérique.
Le contrat de travail à durée déterminée est transmis par l’employeur au joueur professionnel de jeu vidéo compétitif au plus tard deux jours ouvrables après l’embauche.
4. Les obligations incombant à l’employeur
Au-delà des obligations prévues par le régime de droit commun au sein du code du travail, l’employeur s’engage, lors de la signature de contrats de travail esportif, à garantir une équité de traitement dans la préparation et les entraînements de l’ensemble de ses joueurs professionnels salariés.
En cas de non-respect du fond et de la forme du contrat esportif (article 102 de la loi pour une République numérique et par son décret d’application), le contrat pourra être requalifié en contrat à durée indéterminée (CDI).
En sus, la structure e sportive employeur s’expose à une sanction pécuniaire s’élevant à 3750 €, voire à 6 mois d’emprisonnement et 7500 € d’amende en cas de récidive.
En pratique à ce jour, il n’existe aucune procédure prud’homale passée ou en cours, les risques réputationnels tant du côté des joueurs que des clubs étant trop importants pour engager un contentieux.
En cas de différend, une résolution amiable est ainsi privilégiée.
Une structure esportive peut-elle employer un mineur ?
L’emploi des mineurs de moins 16 ans par une société ou association ayant reçu l’agrément est conditionné à l’autorisation de la Commission des enfants du spectacle, pour chacun des mineurs concernés.
Les démarches pour obtenir ladite autorisation sont détaillées sur les sites des préfectures de département (la DIRECCT, la DDCS de chaque département etc.). À titre d’exemple, pour les associations et sociétés dont le siège social est situé en Ile-de-France, la procédure est dématérialisée.
En tout état de cause, l’ensemble des obligations et restrictions applicables aux mineurs salariés de moins de 16 ans et décrites aux articles L. 7124-1 à L. 7124-35 du code du travail doivent être respectées, notamment :
- Les limitations en termes de durée et d’horaires de travail ;
- Les restrictions en termes de pénibilité du travail ;
- L’obligation de mise sous séquestre d’une partie de la rémunération salariale de l’enfant, qui y sera maintenue jusqu’à la majorité de l’enfant.