La nouvelle est tombée le mercredi 24 mars. Dans un communiqué, la Fédération Française de Football a officialisé la décision de son Comité Exécutif d’arrêter les championnats amateurs pour la saison 2020-2021 en raison de la crise sanitaire et des mesures contraignantes qu’elle entraîne. Toutefois, deux championnats échappent pour l’instant à cette mesure : la Division 2 féminine et le National 2, pour lesquels une éventuelle reprise sera étudiée lors du prochain Comex en fonction des mesures sanitaires prises par l’État. Pour la rédaction de son article, Jurisportiva est allé interroger les acteurs directement concernés par ce bouleversement, à savoir Fabrice Rolland : Directeur Général de l’US Saint-Malo, et Thomas Dersy : Directeur Général du RC Grasse.
Une décision arbitraire, prise sans concertation avec les principaux acteurs
Une reprise avortée semant la confusion
Une situation de plus en plus difficile à suivre pour les acteurs de ces championnats, et tout particulièrement du National 2, 4e échelon du football français. En effet, arrêté depuis octobre 2020, une reprise de cette compétition en mars avait d’abord été annoncée le 18 février par la FFF, avant de devoir faire marche arrière quelques jours plus tard à la suite d’une décision du Ministère des Sports. Or, entre temps, les équipes avaient repris le chemin de l’entraînement et même la compétition pour certaines d’entre elles puisque des matchs en retard avaient pu être joués.
Ce revirement a causé une grande confusion chez les clubs de National 2. Près de la moitié d’entre eux se sont même réunis au sein d’un collectif afin de réagir publiquement par le biais d’une lettre ouverte. Celle-ci dénonçait « une décision arbitraire, prise sans concertation avec les principaux acteurs ». Elle est d’autant plus difficilement compréhensible que plusieurs clubs de National 2 sont encore engagés en Coupe de France, avec un protocole sanitaire strict, et que les championnats de 4e division se poursuivent chez la plupart de nos voisins européens (Italie, Espagne, Allemagne). Il semble que la Coupe de France et même le championnat de National – essentiellement composé de clubs semi-professionnels – bénéficient eux d’un traitement plus favorable du fait de la participation de clubs professionnels.
Un championnat semi-professionnel en manque de reconnaissance
Cet arrêt est même qualifié d’« injustifiable » par le Collectif des Clubs de National 2, à plusieurs points de vue, et notamment juridique en raison du caractère professionnel de l’activité de ces clubs. En effet, bien que les clubs participant au championnat de National 2 n’aient pas le statut professionnel selon les règlements de la FFF, il y a en moyenne 15 joueurs sous contrat de travail par équipe. La forme de ces contrats est variable, allant du contrat fédéral au CDD sportif, en passant par le stage et l’apprentissage. En plus de cela, ils sont aussi employeurs d’un certain nombre d’encadrants et de personnels administratifs.
En tout, ce n’est pas moins de 1500 emplois directs qui sont générés par les clubs de National 2. De manière générale, leur organisation et leur fonctionnement sont très proches de ceux d’un club professionnel. D’ailleurs, en plus d’être soumis à un cadre réglementaire fédéral spécifique, ils font aussi l’objet de contrôles de la DNCG, organe de contrôle financier de la Ligue de Football Professionnel. Leur budget cumulé est de 100 millions d’euros, répartis sur l’ensemble du territoire entre les 64 clubs – dont 12 équipes réserves de clubs professionnels – qui forment ce championnat. Une somme qui fait d’eux des acteurs économiques importants et justifie leur demande d’être considérés en tant que tels par les institutions.
Pour l’heure, la décision du gouvernement entérinée par la FFF semble indiquer que ce n’est pas le cas. La diversité de profil de ces clubs peut être l’une des raisons de ce manque de considération. « Il existe 3 types de clubs de National 2, explique Thomas Dersy, Directeur Général du RC Grasse. Tout d’abord les clubs fonctionnant comme une entreprise, avec une démarche professionnelle et un budget compris entre 1 et 2 millions d’euros, puis les clubs fonctionnant sur un modèle amateur, et enfin les réserves professionnelles. » Des structures avec des organisations, et par conséquent des attentes, différentes.
Cette diversité se retrouve aussi dans le financement de ces structures. Avec des budgets compris entre 400 000 et 2,5 millions d’euros, leurs sources sont très variables. « Il n’existe pas de modèle économique à proprement parler en National 2 », selon Thomas Dersy, soulignant ainsi la difficulté pour ces structures de dégager des revenus suffisants pour être rentables. Les clubs sont bien souvent tributaires de la volonté d’un actionnaire ou du soutien des collectivités publiques pour définir leur budget. « Certains clubs sont financés à plus de 50% par les collectivités, confirme le Directeur Général de l’US Saint-Malo, Fabrice Rolland. En-dehors de cela, c’est l’engagement privé qui est la source de revenus principale. Cela nous pousse à développer les compétences commerciales au sein de nos clubs afin d’aller chercher de nouveaux financements».
Pour grandir, ou se maintenir, il est donc nécessaire pour ces clubs de développer un fort réseau auprès des entreprises locales et d’être un vecteur de rassemblement au niveau territorial afin d’être attractif aux yeux de ces acteurs mais aussi des collectivités locales. Ainsi, la période de huis-clos fut l’occasion pour certains d’être créatifs et de développer leur offre à destination des partenaires commerciaux (digitalisation, vente de box de restauration à emporter…). Toutefois, la décision d’annuler la reprise du championnat ne risque pas d’encourager l’engagement des structures privées. Se pose même la question d’un potentiel soutien des institutions aux investisseurs qui soutiennent ces clubs. Car au vu des dépenses engagées, les conséquences d’un nouvel arrêt du championnat, après que la saison dernière n’ait pas pu aller à son terme, leur serait fortement préjudiciable.
Une nouvelle saison arrêtée en attendant des réformes ?
Il est aujourd’hui difficile d’imaginer que la compétition puisse reprendre, même sous la forme envisagée en février dernier incluant des play-offs pour déterminer les montées et descentes dans chaque poule. Une formule qui a l’avantage de réduire le nombre de matchs, mais qui risque de ne pas suffire au vu du durcissement des dernières mesures sanitaires décidées par le gouvernement pour le mois d’avril.
Le format du championnat fait, lui aussi, l’objet de débats. Certains acteurs du monde semi-professionnel s’expriment en faveur d’une refonte du format du championnat pour le rendre plus attractif. Actuellement réparties en 4 poules de 16, les équipes luttent pour ne pas finir dans les 3 dernières places, synonymes de relégation, et obtenir la première, permettant de monter directement en National. Trois places sur 16 entraînent donc une descente sportive, lourde de conséquences pour ces clubs, contre une seule donnant accès à la division supérieure. Difficile de se structurer et de mettre en place un projet sur le long terme dans un tel contexte. Un constat qui s’applique aussi au championnat de National, où 4 clubs sur 18 sont concernés par une relégation en fin de saison.
Certains proposent donc la réduction du nombre de poules, qui comprendraient alors plus de clubs. De manière générale, c’est une refonte des compétitions qui leur paraît nécessaire afin de ramener plus d’homogénéité, tout en préservant le modèle d’accession-relégation. Mais pour véritablement changer la donne, les réformes se doivent d’avoir un champ d’application plus large. « Il est nécessaire de réfléchir à une évolution du statut des clubs semi-professionnels, affirme Fabrice Rolland. La disparité des organisations et des structures nous oblige à prendre de la hauteur pour penser l’avenir du monde semi-pro sur le long terme. Il faut pour cela sentir une volonté fédérale d’accompagner ces changements, en plus de l’action des clubs eux-mêmes. »
La création récente du Collectif des Clubs de National 2 va dans le sens d’une volonté des clubs de réfléchir ensemble au futur de leur championnat et de faire entendre leur voix, afin d’être en mesure de négocier avec les instances fédérales et d’être acteurs d’éventuelles futures réformes. De la même façon, une Union des clubs de National a été créée récemment, avec pour revendication principale la création d’une 3e division professionnelle. La création d’une « Ligue 3 », débat qui existe depuis plus de 20 ans et qui refait surface dans le contexte actuel de crise du football professionnel, est aussi une piste de réflexion intéressante. Elle est d’ailleurs soutenue par des acteurs importants du football français comme l’emblématique président de l’Olympique Lyonnais, Jean-Michel Aulas, dans le cadre du passage à une Ligue 1 de 20 à 18 équipes.
Néanmoins, il est peu probable que tous les dirigeants de Ligue 1 soient de cet avis. Une telle mesure obligerait en effet un partage des droits télévisuels avec un nombre plus important de clubs professionnels. Or, la récente défection du diffuseur Mediapro et la baisse de revenus que cela a provoqué chez les clubs de l’élite n’est pas vraiment de nature à favoriser la solidarité envers les plus petits clubs. C’est pourquoi une prise en main du sujet par les instances fédérales semble d’autant plus nécessaire pour espérer voir des projets de réformes concernant le futur des clubs semi-professionnels aboutir. Or, les récentes élections fédérales n’ont pas laissé paraître un discours clair sur le sujet au sein des programmes des candidats.
Difficile donc pour les clubs de National 2 d’avoir une visibilité sur les prochaines échéances les concernant. En attendant qu’une décision définitive soit prise quant à la continuation de la compétition, ils œuvrent afin de faire entendre leurs revendications à la FFF et à son président tout juste réélu, Noël le Graët, en espérant qu’à l’avenir ils auront un rôle à jouer dans la prise des décisions concernant leur championnat.
Article écrit grâce à la contribution et aux témoignages de Fabrice Rolland, DG de l’US Saint-Malo, et Thomas Dersy, DG du RC Grasse.