Ne l’avez-vous pas déjà vu quelque part ? Juan de Dios Crespo-Pérez est l’un des avocats les plus reconnus en droit du sport à travers le monde. Connu pour son impact dans des affaires qui ont révolutionné le football, il est aussi l’avocat qui a déposé le chèque historique de 222 millions d’euros pour finaliser le transfert de Neymar au PSG. Autour d’un échange très enrichissant, tant sur le plan humain que juridique, ce dernier est revenu sur ses nombreuses expériences dans le milieu juridico-sportif. Je tiens à remercier Juan de Dios Crespo Pérez pour sa disponibilité, et ses nombreux conseils.
J’ai commencé en partant de rien, et j’ai grimpé les échelons petit à petit
Bonjour Monsieur, pouvez-vous brièvement nous expliquer votre parcours ?
J’ai commencé à étudier le droit dans les années 80 (je suis diplômé du Master en droit du sport de l’ISDE Madrid). A ce moment-là, je me suis dit : « pourquoi ne pas faire en sorte d’unir le droit et le sport, et d’en faire mon métier ? ». A cette époque-là, il y avait très peu de professionnels en droit du sport. J’ai entamé ma carrière à la Fédération Valencienne de Futsal, en tant que directeur juridique. Je n’étais pas payé parce que c’était un sport qui, autrefois, n’était pas professionnel. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte qu’il y avait des opportunités en droit du sport. Aujourd’hui, on voit bien que j’avais raison, il y a des milliers d’avocats en droit du sport, mais aussi de nombreuses formations dans cette branche du droit. J’ai commencé en partant de rien, et j’ai grimpé les échelons petit à petit.
D’où vous vient cette passion pour le sport ? La jugez-vous indispensable pour s’épanouir en tant qu’avocat dans le domaine juridico-sportif ?
J’ai toujours été sportif. J’ai commencé le rugby à l’âge de 6 ans. Je me souviens de cette époque, c’était assez compliqué. On avait seulement ¼ du terrain pour jouer, ce n’était pas idéal. J’ai pratiqué à l’âge adulte une bonne quinzaine de sports mais en amateur (rires). Cela ne m’a pas empêché d’être et de rester un grand passionné de sport. Pour moi, la passion du sport est obligatoire pour exercer comme avocat dans le milieu sportif. Si on n’est pas animé, je pense que c’est vraiment compliqué.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon avocat en droit du sport ?
Premièrement, si l’on veut être avocat international en droit du sport, il faut une excellente maîtrise des langues. Sans cela, on peut évidemment être un très bon avocat national, mais pour exercer à l’international, ce sera plus compliqué. Deuxièmement, il faut de la passion.
Enfin, il faut du travail, du travail et encore du travail. Je pense aussi qu’il faut constamment développer son savoir. Je donne aujourd’hui cours en droit du sport dans de nombreuses universités à travers le monde et notamment en France, à Aix Marseille et Dijon. Lorsque les élèves posent des questions, je me dois d’être au courant et à jour de toutes les nouveautés relatives au droit du sport. Je pense que c’est tout ça qui fait la différence entre un avocat « ordinaire » et un bon avocat dans ce milieu.
Quelles sont les missions auxquelles vous êtes confronté dans votre profession?
Il y a deux aspects principaux dans ma profession. D’une part, la partie que j’appelle « non-contentieuse », c’est-à-dire tous les rapports à rédiger, les questions relatives aux sponsors et aux droits de télévision…. En ce moment, c’est davantage un travail de bureau avec la crise sanitaire. Je rédige beaucoup sur les conséquences du Covid19. En temps normal, il y a aussi tout ce qui est rédaction et négociation de contrats, la gestion des transferts…
D’autre part, il y a la partie « contentieuse ». C’est assez large, il y a les litiges devant le TAS (Tribunal Arbitral du Sport), devant le BAT (Tribunal Arbitral de Basket), devant l’UEFA avec les questions de fair-play financier et autres. Il y a aussi les questions disciplinaires et contractuelles devant la FIFA… Les audiences sont un élément crucial de mon travail, elles peuvent faire basculer une affaire. En raison du confinement, ces audiences ne sont pas possibles en ce moment, sauf si le dossier revêt un caractère urgent, alors dans ce cas, il pourra éventuellement y avoir une visioconférence.
Quels sont vos types de clients et quelles relations entretenez-vous avec eux ?
C’est très large ! J’ai des agents, des entraîneurs, des joueurs. J’ai aussi des clubs, des fédérations, des ligues. Je travaille dans tous les domaines. Beaucoup d’avocats sont spécialisés en droit du sport, par exemple dans le dopage. Moi, je touche à tout.
La relation que j’entretiens avec mes clients est la même que celle qu’a un avocat d’une autre branche du droit, avec son client. La seule différence, c’est que les affaires en droit du sport sont beaucoup plus personnelles. Je dirais que c’est plus intime d’un point de vue intellectuel, car on se sent plus impliqué personnellement, comme en droit de la famille par exemple.
Y a t’il un dossier qui vous a marqué, personnellement et professionnellement ?
Il y en a eu plusieurs ! A part l’affaire Messi qui a été très importante dans ma carrière, il y a eu l’arrêt Bosman « version Amérique du Sud » en 2004 (« Bueno et Rodriguez/ PSG contre Penarol). Cela a provoqué un chamboulement en Amérique du Sud, des lois et des règlements en vigueur. C’est une affaire qui m’a beaucoup marqué.
Ensuite, il y a eu l’affaire en Espagne dans laquelle un joueur qui ne jouait plus à Valence, avait rejoint le Real Madrid et réclamait encore des droits d’images au club de Valence. On a réussi à démontrer que le droit d’image vous suit, même si on change d’équipe, que le contrat de travail est lié au contrat d’image. C’est-à-dire qu’une fois que le contrat de travail est terminé, le contrat de droit à l’image l’est aussi.
Enfin d’un point de vue médiatique, il y a eu l’affaire « Neymar ». J’étais l’avocat espagnol du PSG, je suis celui qui a déposé le chèque de 222 millions d’euros au FC Barcelone. Ma réputation internationale est un apport de plus mais ce n’est pas ce que je recherche. Ce n’était pas une affaire juridique si importante bien que ce fût une somme historique. Je préfère être connu pour mes trente années d’expériences. Maintenant, je donne beaucoup de cours en Master, et j’aime bien que mes élèves me connaissent pour d’autres affaires.
Votre réputation d’excellent plaideur vous précède. Quel est le secret pour gagner une affaire, telle que celle de mai 2017 devant la Commission d’Appel de la Fédération Internationale de Football Association, en tant qu’avocat de Lionel Messi ?
C’est une affaire dont je suis particulièrement fier. Messi avait pris quatre matchs de suspension, à cause d’une soi-disant « insulte à l’arbitre » qu’il aurait proférée dans un match en équipe nationale argentine. On avait très bien étudié le dossier. Il est évident que la FIFA s’était précipitée en sanctionnant le joueur, l’arbitre n’avait pas entendu et compris « l’insulte » en question. C’était plutôt une exclamation dans un contexte de défaite. Il n’y avait pas de dol. Selon la FIFA, l’arbitre avait mal compris parce qu’il était brésilien et qu’il ne connaissait pas l’espagnol, et celle-ci a décidé de sanctionner le joueur car l’arbitre n’aurait, soi-disant, pas compris « l’insulte ». L’espagnol est la langue officielle de la CONMEBOL, il faut la comprendre pour être arbitre. Cet arbitre-là avait fait plus de 150 matchs pour lesquels la langue requise était l’espagnol, et pour la FIFA, il n’avait pas compris les mots puisqu’il parlait portugais. De plus, il aurait dû rapporter cet incident sur la feuille de match. Nous avons donc démontré que la FIFA avait tort et que l’arbitre avait compris ce qu’avait dit Messi mais que la soi-disant « insulte » n´en était pas une pour lui. On a conclu que la FIFA s’était précipitée en commençant une procédure disciplinaire à l’encontre de mon client. L’audience en anglais a duré 6 heures, avec de très bons avocats en face. Je me suis beaucoup épanoui dans cette affaire. Finalement on a gagné, et la sanction de Messi a été annulée.
Votre nom est souvent associé à l’article 17 du règlement sur le statut et le transfert des joueurs de la FIFA. Quel a été votre rôle dans les affaires Webster et Matuzalem qui ont contribué à changer le monde du football ?
J’ai eu environ cinq des grosses affaires de droit du sport à ce propos. Rappelons-le, l’article 17 FIFA du règlement du statut et du transfert des joueurs stipule que : « lorsqu’un contrat est résilié sans juste cause, la partie ayant rompu le contrat est tenue de payer une indemnité ». On s’est bien rendu compte que dans les affaires Webster, Matuzalem ou encore De Sanctis, il n’y avait pas de sécurité juridique. L’article 17 ancien qui permettait de terminer son contrat sans juste cause avant la fin de celui-ci était devenu « caduque ». On ne l’utilisait plus en tant que tel car personne ne savait plus vraiment à quoi s’attendre en matière d’indemnité compensatoire. Il y a eu un amendement en 2018 de cet article, lequel permet de déterminer quelle sera l’indemnité compensatoire à payer dans certains cas. Cette nouvelle version est, à mon sens, un peu moins « sauvage ».
Quel sera l’impact du COVID 19 sur le milieu sportif et notamment du football ?
Du point de vue des compétitions, la ligue hollandaise de football s’est terminée sur un non-jeu. C’est-à-dire que sans champion, le classement est alors figé. Du côté des Belges, c’est pareil, les autorités ont décidé de mettre un terme à la saison 2019-2020 de la Jupiler Pro League. En France, la saison est arrêtée, le classement est figé à la 28ème journée de Ligue 1, le PSG est champion. En Angleterre, on parle d’un report de la Premier League en juin avec des matchs à huis clos. De l’autre côté des Pyrénées, en Espagne, un pas de plus a été fait vers la reprise de la Liga, les entraînements devraient reprendre la semaine prochaine, d’abord individuels ou en petit groupe, puis collectifs. En Italie, la saison est toujours en suspens mais aucune décision n’a été prise à cette heure. Enfin, en Allemagne, un report du championnat est prévu mais cela ne se fera pas avant mi-mai. Cela pose des problèmes, notamment de savoir qui doit être champion. Aux Pays-Bas, par exemple, le championnat et la Coupe sont définitivement arrêtés. Utrecht qui a fini 6ème, en vertu de ce classement arrêté, n’a donc pas gagné sa place pour jouer l’Europe. Le club étant en finale de coupe, et le championnat s’étant figé à la 26ème journée, ils auraient encore pu, en cas de victoire en coupe ou en championnat, s’offrir une place pour la Ligue Europa. D’un point de vue sportif et économique, le Président du club d’Utrecht n’entend pas se laisser faire.
Du point de vue des joueurs, la FIFA recommande d’arriver à trouver des accords pour continuer les contrats après le 30 juin. Si un joueur avait signé un contrat avec une nouvelle équipe, il ne serait pas possible pour lui de jouer avec elle puisque la période de mercato ne serait pas encore ouverte. Cela va, sans aucun doute, produire des contentieux juridiques. Certains joueurs ont vu leurs salaires baisser, comme c’est le cas en Espagne par exemple.
Il y a également les questions juridiques liées aux sponsors et aux droits TV, celles de sponsors qui ont demandé à être en partie remboursés, alors que d’autres non. Il se passe beaucoup de choses en ce moment avec la crise sanitaire et cela impactera évidemment le monde du sport.
Que pensez-vous de l’avenir de l’union du droit et du sport ?
Je pense que le droit dans le sport perdurera ! Le droit est arrivé quand l’argent est arrivé dans le sport. Auparavant, il y avait déjà certaines lois qui régissaient le sport mais quand l’argent a commencé à inonder ce milieu, alors les litiges sont nés. On a réussi à faire en sorte que les fédérations nationales et internationales prennent compte de ces évolutions et commencent à régir plus spécifiquement le milieu sportif. Le fair-play financier est né, le code anti-dopage aussi. Des droits disciplinaires sont apparus, par exemple les sanctions sportives des matchs truqués, indépendantes de la sanction pénale. Le droit a adopté le sport et le sport a adopté le droit, et selon moi, cela ne risque pas de changer d’aussitôt.
Un conseil pour ceux qui désireraient faire des études en droit du sport ?
Il faut apprendre les langues et les maîtriser. Il faut aussi absolument se former avec un Master en droit du sport. Il y en a de plus en plus, que cela soit en France ou à l’étranger. Il faut également prendre son mal en patience, et travailler. A terme, on peut à la fois évoluer dans une structure sportive telle qu’une fédération ou une ligue. Il est de même possible de devenir avocat en droit du sport. Pour les plus audacieux et aventuriers, créer son propre cabinet est une plus-value. Il y’a une grande diversité de métiers liés au droit du sport. Il est possible aussi d’être agent de joueur . Je ne suis pas particulièrement favorable à la fonction d’avocat mandataire sportif. A mon sens, soit on est avocat, soit on est agent. Toutefois, c’est un avis personnel, et en aucun cas, je ne critique cette profession. Je suis en effet avocat de beaucoup d’agents de joueurs et cela me paraîtrait difficile de faire « avaler » à mes clients que je suis aussi agent.
Crédit photo : Ruizcrespo