Directeur des relations internationales et des affaires étrangères de la Premier League depuis 2018, Mathieu Moreuil traite des enjeux sportifs au niveau européen depuis plus de 15 ans. Pour Jurisportiva, il revient sur son parcours et ses missions actuelles pour le compte du plus grand championnat au monde de football.
Bonjour Monsieur. Quel a été votre parcours avant de travailler pour la Premier League ? Le domaine du sport, et en particulier du football, était-il quelque chose que vous recherchiez particulièrement ?
Bonjour ! J’ai un parcours universitaire et professionnel qui toujours été lié au sport.
J’ai beaucoup pratiqué de sports, et j’ai toujours été très intéressé par le sport et particulièrement par son environnement juridique et économique. Après le baccalauréat, j’ai suivi des études de sciences politiques à l’IEP de Strasbourg, avant de suivre un cursus en droit européen. À chaque étape, j’ai eu la volonté de donner une touche sportive à ces formations.
Par exemple, à l’IEP Strasbourg en 1999, j’ai fait mon mémoire sur les prolongements de l’arrêt Bosman. À l’époque, il y avait peu de travaux sur le sujet, qui a pourtant été un tournant pour le football professionnel et qui symbolise la rencontre du sport professionnel et du droit communautaire. C’est un sujet très intéressant et important, qui m’a permis de me familiariser avec l’application de la libre-circulation des travailleurs aux sportifs, le droit de la concurrence lié au sport, tout ce qui mêlait le droit européen et le sport finalement.
Ensuite, j’ai suivi une spécialisation en droit européen à Bruxelles, que j’ai complété avec une formation en business à l’ESCP (école de commerce). J’ai commencé à faire plusieurs stages à Bruxelles, dans différentes structures de lobbying. Et puis je suis entré à la Commission Européenne en 2003, en tant que contractuel, pour travailler sur des questions liées au sport. Ce fut d’abord à l’Unité Sport, où je travaillais sur le financement de projets éducatifs et sociaux liés au sport, et ensuite à l’unité de la libre-circulation, en lien donc avec mon mémoire sur l’arrêt Bosman. Je m’occupais là bas des procédures d’infraction au droit communautaire dans le domaine du sport.
Après 6 ans à la Commission, j’ai eu l’opportunité de rejoindre un cabinet de lobbying, qui s’appelle APCO, et qui avait un certain nombre de clients dans le domaine du sport. J’ai rejoint leur bureau à Bruxelles dans le but de conseiller des clients dans le domaine du sport et des médias. Parmi eux, il y avait par exemple l’UEFA, la Ligue Française de Football, Roland Garros, des diffuseurs télévisuels anglais… Et la Premier League ! Au bout de 2 ans et demi, ils m’ont demandé de venir travailler pour eux et d’ouvrir un bureau à Bruxelles. C’était en 2010. J’ai accepté avec plaisir !
À l’époque, la Premier League sortait d’une procédure d’infraction avec la Direction Générale Concurrence de la Commission Européenne sur les droits médias. Il y avait beaucoup de sujets européens à traiter. Pour des raisons d’efficacité et d’économie, il était plus simple de recruter quelqu’un pour s’occuper de ces affaires en interne plutôt que d’avoir tout le temps recours à des consultants. C’est comme ça qu’ils m’ont choisi et j’ai ouvert la représentation de la Premier League à Bruxelles. J’ai commencé en tant que responsable des affaires européennes, et puis mon rôle a évolué pour maintenant m’occuper des affaires européennes et internationales. À ce titre, je m’occupe des relations avec les autres Ligues, les Fédérations, Confédérations, la FIFA…
Quelles sont les missions de la représentation de la Premier League à Bruxelles ? Quels acteurs sont ses interlocuteurs ?
Comme beaucoup de secteurs économiques, nous avons besoin d’avoir une représentation auprès des institutions européennes puisque le droit européen impacte énormément les organisations sportives professionnelles notamment dans la façon dont elles vendent leurs droits médias. Ce bureau est donc là pour faire le lien entre la Premier League et ces institutions.
Mon travail est vraiment d’être en mesure d’identifier ce qui, au sein du cadre réglementaire européen, peut avoir un impact sur le business model et le modèle sportif de la Premier League. Évidemment il s’agit aussi, si possible, d’être en mesure d’amender ou d’influer sur ces propositions législatives qui nous touchent. Tout d’abord, je dois être au courant de tout ce qui se trame au niveau européen, que ce soit au niveau réglementaire ou au niveau des initiatives politiques. Et ensuite je dois être capable, en présence d’une initiative réglementaire qui peut avoir un impact sur nos affaires, de rencontrer les gens à l’origine de cette initiative, les députés européens ou les représentants des États membres, afin soit de formuler une proposition améliorant la proposition législative concernée, soit de mettre certains points à l’agenda.
Les domaines concernés sont pour 30% à 40% de la gouvernance du sport, c’est-à-dire l’ensemble des règles qui sont liées au football et à la pratique sportive en général : libre-circulation des joueurs, cadre financier du sport (fair-play financier notamment), réglementation encadrant les transferts, les agents, lutte contre la violence et le racisme dans les stades, les questions de normes environnementales, de dopage etc.
Mais le sujet le plus important pour nous au niveau européen est vraiment l’environnement juridique lié à la vente des droits médias. Il faut savoir que le droit de la concurrence européen à un impact très important sur la façon dont on vend ces droits ainsi que sur la protection de notre contenu, notamment en ligne.
La lutte contre le piratage est d’ailleurs au cœur de l’actualité puisque le 20 janvier 2022 le Parlement Européen a adopté le DSA (Digital Services Act, loi sur les services numériques) qui contient des dispositions qui peuvent changer la manière dont on opère pour repérer les contenus illicites. C’est un sujet sur lequel on travaille beaucoup avec les autres ligues, mais aussi avec de nombreux diffuseurs et chaînes de télévision, et d’autres acteurs de l’industrie culturelle (film, musique, etc.).
Au niveau européen, ce genre d’initiative de dialogue avec les institutions européennes peut difficilement être menée efficacement seul. Nous ne représentons “que” 20 clubs anglais, ce qui n’est pas énorme en termes de représentativité. De plus, le Brexit a compliqué notre position.
C’est pourquoi il y a une dizaine d’années nous avons créé la SROC, la Sports Rights Owners’ Coalition (groupement de détenteurs de droits sportifs en français), avec d’autres organisateurs d’événements sportifs. Notre but est d’être bien représentés dans les débats sur ces sujets. Cette coalition représente une cinquantaine de membres, dont les plus grandes organisations du football, du rugby, du tennis, etc.
Ces sujets des droits médias occupent 60 à 70% de notre activité à Bruxelles. Dans ce cadre, nous échangeons beaucoup avec les DG Concurrence, en charge de l’application du droit européen de la concurrence, et Connect, chargée du marché unique numérique européen, de la Commission européenne.
Enfin, il y aussi un aspect relations internationales avec les instances du football comme la FIFA, l’UEFA, les représentants des joueurs.
Le Brexit a-t-il eu un impact important sur la Premier League et ses relations internationales ?
Très concrètement, cela nous a donné plus de travail puisqu’on ne bénéficie plus du relais des députés, ni du gouvernement britannique qui pouvaient relayer nos positions au sein des institutions européennes. Il faut donc essayer de trouver d’autres interlocuteurs.
Ça demande surtout beaucoup plus de travail de coalition, car nous représentons des clubs d’un État qui n’est plus membre de l’Union européenne.
Concernant les sujets traités, le Brexit n’a pas changé grand-chose parce qu’on continue à vendre nos droits médias en Europe et on reste ainsi impacté par le droit communautaire. C’est pourquoi nous devons toujours surveiller ce qui se passe au niveau européen.
Il y a tout de même l’aspect libre-circulation des joueurs qui a changé. Le Royaume-Uni n’étant plus membre de l’Union européenne, il n’existe plus de libre-circulation des travailleurs européens sur le territoire britannique. Nos clubs ne peuvent donc plus recruter librement des joueurs de l’espace économique européen. Un joueur français qui veut jouer en Angleterre est aujourd’hui soumis à l’obligation d’obtenir un permis de travail.
Les autorités britanniques ont dû réaliser un gros travail pour adapter les conditions d’octroi du permis de travail pour que ça ne complique pas trop le recrutement de joueurs européens. Avant le Brexit, le recrutement de joueurs européens était libre, en revanche le recrutement de joueurs hors UE était soumis à des critères très stricts (nombre de sélections, nombre de matchs joués, etc.).
L’idée était de mettre en place des critères plus souples pour ne pas impacter la compétitivité des clubs anglais, tout en essayant de privilégier le recrutement de jeunes joueurs anglais.
Une autre chose qui a fortement changé est la fin de la possibilité de recruter des joueurs entre 16 et 18 ans. En principe, la FIFA interdit le recrutement des joueurs de moins de 18 ans, à quelques exceptions près.
L’une de ces exceptions tient au droit de l’Union européenne qui autorise les transferts à partir de la fin de la scolarisation obligatoire selon certains critères (contrat de travail, salaire proposé au-dessus du revenu minimum, etc.).
En sortant de l’UE, les clubs du Royaume-Uni ne bénéficient plus de cette exception et ne peuvent donc plus recruter les joueurs étrangers de moins de 18 ans. Une des conséquences est l’augmentation de la valeur des jeunes joueurs anglais.
Comment la Premier League a-t-elle vécu la crise liée au Covid-19 ?
Comme tout secteur qui accueille des spectateurs, cela a été difficile.
À la fois, en tant que gros championnat avec de grands clubs, nous avons été plus impactés parce que les revenus des clubs liés à la billetterie représentent une part importante des budgets. Mais de l’autre côté, nos clubs ont aussi des finances plus importantes et sont donc plus aptes à absorber les séquelles de cette crise.
Lors de la saison 2019-2020, nous avons pu reprendre le championnat et finir la saison à huis clos après 4 mois d’arrêt. Au-delà de la billetterie, ça a aussi eu un impact financier sur nos relations avec les diffuseurs puisque le produit que nous fournissions n’était plus exactement le même.
Et puis la saison 2020-2021 s’est déroulée à peu près normalement, avec le retour progressif du public dans les stades.
Lors de la saison en cours, nous n’avons pas subi de limitations des supporters dans nos stades. Il faut dire que le pays n’a pas fermé les bars, ni les autres lieux publics.
Il y a quand même eu une vingtaine de matchs reportés à cause de l’épidémie. Cette année, l’impact est donc surtout lié à la question du calendrier puisqu’il va falloir trouver des dates pour jouer ces matchs, dans un calendrier déjà très chargé entre la Premier League, les deux coupes, avec des possibles “replays” (matchs retours en Coupe en cas d’égalité entre les deux équipes), les compétitions européennes…
De plus, au niveau international le calendrier se resserre aussi comme la FIFA et l’UEFA ont tendance à créer de nouvelles compétitions et à augmenter le nombre de matchs.
Avec seulement 52 semaines dans l’année, nous allons vite arriver à saturation. Cette saison, le calendrier international a été particulièrement dur à gérer avec le Covid et les quarantaines obligatoires au retour d’un certain nombre de pays, sans que nous puissions bénéficier d’exemption, ni de la part de la FIFA ni du gouvernement britannique.
La CAN, qui nous prend une quarantaine de joueurs, complique aussi la situation de nos clubs.
En résumé, si nous avons été épargnés concernant le public dans les stades, le calendrier nous pose de sérieux problèmes cette saison. L’impact financier a été plutôt bien absorbé par nos clubs et ils commencent à se rapprocher du niveau de finances d’avant la crise. Cet épisode a aussi permis de raisonner certains clubs sur leur gestion financière, par rapport à leur masse salariale notamment.
Justement, l’idée d’un salary cap, évoquée par certains acteurs du football en Europe, est-il quelque chose qui est en réflexion du côté de la Premier League ?
Alors non, parce qu’un salary cap en tant que tel ne serait pas juridiquement acceptable, ni au Royaume-Uni, ni en Europe d’ailleurs. Par contre, un système de contrôle financier qui comprendrait une limitation des investissements sur la masse salariale est en réflexion pour nos règlements et du côté de l’UEFA pour sa nouvelle version du Financial Fair Play.
Un salary cap à l’américaine ne serait pas viable en Europe du fait de notre modèle de promotion-relégation qui n’existe pas aux USA. Et on l’a vu avec la tentative de Super League : les gens ne veulent pas d’un modèle sportif à l’américaine. C’est un principe de base du modèle sportif européen qu’un petit club aujourd’hui puisse un jour arriver au top niveau, comme ce fut le cas pour Leicester il y a quelques années.
La réaction des fans de Premier League a d’ailleurs eu un rôle crucial dans la fin prématurée du projet de Super League. Comment expliquez-vous ce lien si fort entre la Premier League et ses fans ? Est-ce le fruit d’une politique de la Premier League ?
Le modèle de la Premier League s’est construit sur le fait d’avoir des stades remplis, où tous les fans se sentent bien. Ça a toujours été un élément central depuis la création de notre championnat. Cela explique en partie le lien si fort qui existe avec nos fans.
Il faut dire aussi que le football est le sport roi en Angleterre. Ici, tout le monde à un club, quel que soit l’âge, le genre, ou la classe sociale d’où l’on vient. Et puis on a eu à cœur de maintenir ce lien fort. Cela n’empêche pas que certains fans manifestent leur mécontentement parfois, comme dans toutes les compétitions, mais c’est vraiment un élément important pour nous. Nous avons mis en place des structures pour que nos fans soient écoutés, et chaque club tient à entretenir ce dialogue.
Il y a notamment eu des initiatives après l’épisode de la Superligue dans certains clubs pour mettre en place une représentation des fans au board, par exemple. Il y a aussi eu récemment une “fan-led review” (rapport indépendant basé sur les avis de fans) du gouvernement britannique sur la gouvernance du football.
La LFP devrait créer une société commerciale prochainement. La Premier League en étant une, quels sont les avantages de ce modèle pour une ligue professionnelle ? Pensez-vous que cela puisse permettre un développement important du football français ?
La Premier League est effectivement une société commerciale, détenue par ses actionnaires qui sont les clubs qui composent ce championnat.
Chaque club a une voix et un certain pourcentage de répartition des droits TV. Les avantages de ce modèle sont que l’on a une forte indépendance et que l’on assume le côté “business” de notre championnat.
Je pense que les acteurs du football français doivent accepter que la Ligue est un business. Elle n’est pas qu’un business, elle a une importance sociale indéniable tout comme la Premier League,. Mais elle doit être gérée comme un business, de manière transparente et surtout indépendante. L’avantage de la société commerciale, c’est que les actionnaires ne peuvent pas intervenir au jour le jour sur toutes les décisions de la Ligue, ce qui à mon avis est le gros problème en France. C’est compliqué de gérer une institution quand vos clubs sont aussi impliqués dans les différentes commissions et comités. Il y a toujours le risque qu’ils privilégient leur intérêt individuel, ce qui est normal. À un moment donné il faut que l’administration soit complètement indépendante et que les clubs jouent leur rôle de membre de la société commerciale sans intervenir dans la gestion quotidienne de la Ligue.
C’est un des problèmes que je vois dans le football français, avec beaucoup trop d’interventions des clubs. Je pense donc que c’est une bonne chose pour la Ligue française de créer une société commerciale, mais il faudra aussi un jour réformer totalement la structure même de la Ligue. J’ai du mal à comprendre que la Ligue soit une sorte de sorte de filiale de la fédération, qui elle-même a une délégation de service public de l’État. La Ligue doit pouvoir se gérer elle-même. Je pense qu’il y a beaucoup à faire de ce point de vue-là en France.
Le sujet du calendrier international a été rapidement abordé tout à l’heure. En lien avec ce sujet, pouvez-vous nous en dire plus sur la position de la Premier League sur la Coupe du Monde tous les 2 ans ?
Notre position est la même que toutes les Ligues européennes, toutes les Fédérations européennes, l’UEFA, et toute l’Amérique du Sud : nous sommes contre. Nous sommes tous contre parce que le problème que pose une telle réforme est que ça rend quasi obligatoire une compétition internationale tous les ans, ce qui, en termes de fatigue des joueurs, est très compliqué à gérer.
Ensuite, cela oblige les Ligues à revoir leur calendrier pour terminer leurs compétitions plus tôt, malgré ce que dit la FIFA. Indirectement, cela va forcer les Ligues à revoir leurs compétitions, comme en France actuellement avec la suppression de la Coupe de la Ligue et prochainement le passage de la Ligue 1 à 18 clubs.
Ce n’est donc pas une réforme que l’on veut se voir imposer par la FIFA. Si cela doit se faire un jour, ça devra venir d’une volonté commune des parties prenantes du football anglais. Car la FIFA n’a consulté personne pour prévoir cette réforme. Notamment les fans, qui n’en veulent pas. En vérité personne n’en veut, si ce ne sont les services commerciaux de la FIFA. Il aurait aussi fallu consulter les joueurs, les clubs, les ligues… C’est pourquoi nous sommes en total désaccord avec cette réforme et nous nous y opposerons.
Je pense d’ailleurs que la FIFA a compris cette opposition et qu’aujourd’hui elle a renoncé à une telle réforme. Après, le sujet le plus intéressant présenté par la FIFA est la réforme du calendrier international pour essayer de le rendre plus cohérent. La réflexion sur des fenêtres de mise à disposition internationales plus regroupées est légitime. En arriver à avoir une ou deux grandes trêves internationales n’est pas idéal non plus, puisque cela signifierait l’arrêt des championnats pendant une longue période. Or, de nombreux joueurs ne sont pas concernés par ces trêves internationales. Comment sont-ils censés s’occuper pendant ce temps-là ?
Regrouper certaines dates nous paraît être une idée intéressante, mais il ne faut pas que ces fenêtres soient trop longues. Il ne faut pas oublier que le calendrier actuel est le fruit d’un compromis entre les intérêts des sélections nationales, des clubs – qui sont quand-même les employeurs des joueurs – et des joueurs. On ne peut donc pas tout changer du jour au lendemain. Malgré tout le respect que j’ai pour lui, je pense d’ailleurs qu’Arsène Wenger, en tant que manager d’Arsenal, n’aurait jamais accepté ce qu’il propose en tant que Directeur du développement du football à la FIFA.
Crédit photo : FootUnis