Interview de Jean-Pierre de Mondenard (médecin du sport – dopage)

par | 2, Fév, 2023

Sur son compte Twitter, Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport français spécialisé sur la question du dopage et auteur de plusieurs livres comme « Dopage dans le football, la loi du silence » – n’a cessé d’alerter sur la faiblesse et l’inefficacité du système antidopage de la FIFA.
Le 12 décembre dernier, dans un communiqué publié par la FIFA, l’instance du football mondial se félicitait de sa lutte antidopage. Sur les 369 contrôles effectués (soit 941 échantillons), aucun joueur n’a été contrôlé positif pendant la Coupe du Monde alors qu’elle n’a jamais été aussi intense : avec des matchs à répétition tous les quatre jours. Sur l’année écoulée, seuls quatre joueurs ont été testés positifs à des substances dopantes interdites.
Jean-Pierre de Mondenard reste pourtant l’une des seules voix à noter la présence du dopage dans le monde du ballon rond. Pour un sport d’une si grande ampleur, il paraît étonnant que le football n’ait connu que très peu de scandales liés au dopage. Alors que le cyclisme et l’athlétisme, sont régulièrement médiatisés à ce sujet, une certaine omerta semble régner dans le football. Les enjeux monétaires seraient devenus trop importants pour qu’un quelconque scandale puisse éclater. Rencontre sans filtre.

En 2001, l’actuel sélectionneur des Bleus Didier Deschamps déclarait à la télévision : « Je ne vois pas d’intérêt dans le dopage puisqu’il n’aide pas à tirer dans une lucarne ». Vingt-deux ans après, cette omerta autour du dopage dans le football règne-t-elle toujours ?  

L’histoire de Deschamps ? C’est le refrain éternel de toutes les langues de bois. L’action principale du dopage c’est sur le physique. Plus votre physique est performant, plus votre gestuelle est en accord et plus vous aurez de chance de mettre le ballon dans la lucarne. 

Ce que dit Didier Deschamps revient à dire « je n’ai pas besoin de m’entraîner pour mettre le ballon dans la lucarne ».  À partir du moment où vous êtes plus physique, plus rapide, vous êtes de fait plus performant pour donner un coup de tête lors d’un coup de pied arrêté. Il y a donc dopage que Deschamps le veuille ou non. 

Le football est-il donc un sport hypocrite ?

Dès 1958, un ancien footballeur professionnel de Bologne devenu président de la société médico-sportive italienne, Gerardo Ottani, menait une enquête sur le dopage dans le Calcio. Il en a conclu que 27% des joueurs prenaient des amphétamines, 62% prenaient des stimulants du cœur et de la respiration et 68% prenaient des stéroïdes anabolisants. C’était en 1958 avec un seul match et deux entraînements par semaine. L’argent était beaucoup moins important et pourtant on voit que tous prenaient quasiment des trucs. Aujourd’hui, les joueurs s’entraînent presque tous les jours avec des matchs à répétition.  Et après on essaye de nous faire croire qu’aujourd’hui ils sont tous à la Vittel… C’est ridicule. 

Quels produits dopants utilisent majoritairement les footballeurs professionnels ? 

Par exemple, tous les footballeurs sont à la caféine (qu’ils absorbent notamment dans des chewing-gums, ndlr). En 2009, une étude a démontré que la caféine améliore la précision des passes et la détente verticale. À aucun moment, cela ne perturbe d’autres particularités du geste sportif. La caféine a longtemps été une substance interdite. Quand l’AMA (Agence Mondiale Antidopage) décide de prendre la liste en main en 2004, elle mettait la caféine sur un programme de surveillance. Cela signifie que si la caféine était trop présente dans les tests, ils remettraient cette substance dans la liste des produits interdits. Et pourquoi elle n’est actuellement pas dans la liste selon vous ? Parce que le principal bailleur de fonds du CIO et de l’AMA par ricochet, c’est Coca-Cola. 

En 2010, vous publiez l’ouvrage « Dopage dans le football. La loi du silence » et plus récemment en 2019 « Les dopés du foot : un siècle de potions magiques ». Pourquoi êtes-vous engagé pour un football professionnel plus propre ?

Ce n’est pas contre le football que j’agis mais contre le dopage ! Dernièrement, j’ai parlé du football car c’était la Coupe du Monde mais j’essaie toujours de me raccrocher à l’actualité pour sensibiliser. Dès 1979, dans un article, j’évoquais le dopage dans le monde du ballon rond.  

Le dopage c’est l’homme face à la compétition et il n’y a aucune raison qu’un sport soit épargné. On retrouve du dopage dans les fléchettes, le curling, la pétanque. Depuis la création de mon blog en 2016, j’ai écrit 59 articles sur le football mais également sur d’autres sports comme la natation, la voile, le tennis … Je n’ai rien contre les athlètes, le football ou un sport en particulier. Je suis contre le dopage lui même ! 

Dans un communiqué du 12 décembre 2022, la FIFA affirme que pendant la Coupe du Monde elle a réalisé « 369 contrôles et analysé 941 échantillons » tous négatifs. Qu’en pensez-vous ? 

Il y a plein de produits qui ne sont pas recherchés et qui sont écartés de la liste. La perfusion utilisée à la fin des matchs est un exemple parmi tant d’autres. Elle permet notamment une récupération plus rapide et efficace après un effort intense. Cette substance reste pourtant indécelable. La FIFA peut vous dire qu’elle a fait 369 tests sur la Coupe du Monde et qu’ils sont tous négatifs, mais selon moi, c’est du vent ! 

La FIFA perdure à vouloir gérer d’elle-même sa lutte contre le dopage, sans avoir recours à des agences indépendantes. Est-ce la bonne solution?

C’est l’une des rares fédération à gérer d’elle-même sa lutte anti-dopage mais il y en a d’autres où l’efficacité est aux antipodes. Par exemple, c’est la World Athletics (Fédération Internationale d’Athlétisme) qui a, selon les dernières statistiques, le plus de cas positifs. Attention cela ne veut pas dire que c’est la discipline où il y a le plus de tricheurs, mais c’est plutôt celle où la lutte est la plus efficace. 

Tous les sports sont concernés par le dopage sans exception. L’objectif affiché par les instances est de montrer qu’on lutte contre le dopage.  Mais au final on n’attrape pas grand monde. Les sportifs prennent des substances que les laboratoires ne peuvent pas détecter. Et les laboratoires détectent des substances que les sportifs ne prennent pas. Cela n’a aucun sens. 

Pourquoi ces contrôles sont-ils inefficaces ? 

Les analyses et détections sont efficaces sur certains produits mais d’autres continuent d’échapper aux contrôles. Les instances antidopage font semblant de contrôler. Rendez-vous compte, il y a des substances comme les amphétamines, les corticoïdes ou la cocaïne qui sont autorisées à l’entraînement. Pourquoi ne contrôler ces produits que le jour de la compétition alors que certains athlètes les consomment à l’entraînement ? Avec ces substances, vous allez augmenter votre charge de travail et acquérir un rendement supérieur à l’entraînement qui sera bénéfique le jour de la compétition.

Une lutte qui s’avère donc inefficace… Est-ce lié aux importants moyens financiers du ballon rond ?

C’est pour ça qu’il y a un défaut quelque part entre les moyens et les cas positifs. Une enquête réalisée en 2002 par Jiří Dvořák, médecin en chef de la FIFA, révélait que 92% des joueurs se disaient prêts à commettre des fautes intentionnelles si cela paraissait nécessaire au vu de l’importance et du score du match. Inutile de vous dire que par rapport au dopage ils ont la même éthique. Il n’y a pas de raison que les joueurs n’aient aucune éthique sur le jeu mais une éthique avec le dopage. 

Disclaimer : Jean-Pierre Mondenard est seul responsable de ses propos sur Jurisportiva.

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