Hichem Boumbar a obtenu une licence de droit à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (2010-2013) avant de se spécialiser dans le football en passant son diplôme d’entraîneur UEFA A en 2014-2015, suivi d’un diplôme de préparation physique et de ré-athlétisation à l’université d’Évry en 2016-2017. À l’âge de 32 ans, son CV est déjà bien garni, il a réalisé des stages d’observations à Valenciennes, à Troyes et plusieurs interventions au sein d’autres clubs français et maghrébins. Il a également été intervenant dans le district d’Eure-et-Loire pendant 7 ans. Ancien joueur de la JS Kabylie, avant de passer par plusieurs clubs de Chartres, Hichem est aujourd’hui le Directeur Technique du club de Hatta Club (dans la ville de Dubaï aux Emirats Arabes Unis) et est également adjoint de la sélection du Burkina Faso depuis juin 2022. Entretien avec l’un des plus jeunes directeurs technique d’un club de football.
Bonjour Hichem. Vous avez obtenu plusieurs diplômes abordant tous les domaines de la performance sportive (préparation physique, mentale, réathlétisation…). Pourquoi avoir choisi de réaliser tous ces diplômes quand l’on sait qu’un staff de club de football est aujourd’hui composé de spécialistes dans chaque domaine ?
Bonjour, merci pour l’interview. Pour compléter votre présentation j’aimerais préciser que le diplôme en ré-athlétisation que j’ai effectué n’est pas une spécialisation mais bien un diplôme complémentaire, avec le diplôme de préparation mentale que j’ai également passé. Ce sont des pré-requis importants à avoir selon moi pour un entraîneur.
Le sport de haut-niveau aujourd’hui nécessite de prendre en compte un nombre important de facteurs physiques, mentaux, technico-tactiques et à un moment donné, pour que l’entraîneur soit efficace dans son rôle au quotidien, il se doit d’avoir un minimum de connaissances dans tous ces domaines, même s’il est vrai qu’aujourd’hui il y a des staffs élargis avec un entraîneur des gardiens, un staff médical, un préparateur physique, un préparateur mental etc. Personnellement, j’estime que l’entraîneur est vraiment à la tête du bateau et pour cela il doit être en capacité de connaître tous les critères de performance. Il ne peut pas être un spécialiste de tous ces facteurs et ce n’est de toute façon pas son rôle. Mais il doit être en capacité de guider et discuter avec tous les spécialistes constituant son staff.
En tant que directeur technique, lorsque j’oriente mes coachs du club sur leurs programmes d’entraînement, je prends en considération ces différents facteurs, notamment émotionnels. Je considère qu’il est important de préparer les éventuels jours de stress émotionnel auxquels les joueurs peuvent être confrontés lors des matchs. On doit créer un environnement d’apprentissage pour faciliter la performance le jour de match.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre rôle au sein du Hatta Club ?
Dans un club, même si cela peut varier entre les clubs, mais généralement il y a la partie administrative avec le directeur général et ensuite il y a le pôle sportif géré par le directeur sportif. Le directeur sportif est associé à un directeur technique.
Sur le quotidien, le directeur technique est celui qui s’occupe vraiment de la partie technique du sportif avec la mise en place du projet de formation du club, le projet de recrutement, le projet de jeu, la mise en place des staffs, l’évaluation du potentiel et l’évolution des joueurs entre le pôle jeune et le pôle sénior, la mise en place de la stratégie salariale du club. Ce qui est important aussi, c’est la mise en place au quotidien des programmes d’entraînement, que ce soit annuel, semestriel, mensuel ou hebdomadaire avec des objectifs d’évolution pour chaque catégorie d’âge (en discussion bien entendu avec les différents coachs via des réunions). J’interviens également sur les séances d’entraînement avec certaines catégories et j’accompagne les coachs sur les séances et les retours de séances. Il y aussi la mise en place de formations de coachs en interne.
Le directeur technique est vraiment un homme avec une vision et un impact à 360 degrés dans le club via des missions managériales des différentes équipes et staffs qui constituent le club et des missions davantage liées au pôle sportif de recrutement et d’entraînement.
Le directeur sportif est plus à même d’aller discuter les contrats avec les joueurs, les agents et les clubs après avoir validé un profil avec le directeur technique. Le directeur sportif est aussi plus proche de la gestion quotidienne de l’équipe première et du coach tandis que le directeur technique a un peu plus le pôle jeune à gérer. Encore une fois, cela varie en fonction des clubs.
Pour un jeune qui souhaiterait devenir directeur technique, quels sont les prérequis aussi bien en termes de formation que de qualités intrinsèques ?
Pour ce qui concerne les formations, on en revient un peu à la fiche de poste.
Il doit avoir un domaine de connaissances très large sur les facteurs de performance. Au-delà de ça, il doit avoir des notions de management et des diplômes aussi délivrés par la FFF. La Licence UEFA A apparaît aujourd’hui comme le strict minimum pour prétendre à ce poste.
Ensuite, il doit avoir certaines qualités humaines car le relationnel est extrêmement important dans ce métier-là. Un directeur technique peut gérer jusqu’à 200 personnes dans un club et donc il doit être en capacité de fédérer et aussi de déléguer. Il doit savoir faire confiance aux autres et créer un environnement de confiance. C’est donc un ensemble de qualités humaines.
Puis il doit savoir communiquer. La communication est essentielle lorsque l’on est en contact et que l’on gère autant de personnes. Savoir communiquer permet d’atténuer parfois certaines relations conflictuelles tandis que ne pas savoir communiquer peut les accroître.
Ce qui est essentiel, ce sont davantage les compétences que les formations même s’il n’y a aucune vérité absolue. On peut être un excellent entraîneur et moins bon dans le poste de directeur technique ou inversement. La seule chose qui est vraie selon moi, c’est que plus un directeur technique est proche du terrain, (sans forcément intervenir pour autant), plus il se rapproche de la vérité.
Après il n’y a aucune vérité absolue dans le football et chacun a son propre chemin. Moi par exemple, aujourd’hui j’ai 32 ans, j’ai eu mon premier contrat à l’âge de 29 ans dans un pays (Émirats Arabes Unis) où le manque d’expérience est très rapidement pointé du doigt.
Mais l’expérience ne se définit pas selon moi au nombre d’années travaillées mais aussi à tout ce que l’on a vécu en tant que joueur, qu’homme et aussi les personnes que l’on a côtoyé. Par exemple, travailler aujourd’hui avec Hubert Velud (sélectionneur du Burkina Faso) qui a une trentaine d’années d’expérience dans le football et pas moindre en Afrique, en France et dans les pays du Golfe, c’est extraordinaire. Faire un stage de 10 jours à ses côtés, cela équivaut à une année d’expérience seul à mon sens.
Vous l’avez dit, vous êtes l’un, si ce n’est le plus jeune directeur technique d’un club professionnel, est-ce que cela a un impact dans votre manière de travailler au quotidien, et est-ce que cela est contraignant parfois, lors de discussions avec des entraîneurs plus âgés par exemple ?
Par rapport à cela, je vous ai parlé des différents acteurs avec lesquels un directeur technique travaille, or ce poste est souvent un poste de fin de carrière donc forcément cela contrastait avec mon dynamisme, mon état d’esprit jeune et novateur.
Après quelques mois de travail bien-sûr vous gagnez en crédibilité mais au départ ce n’est pas évident parce que l’on vous met cette étiquette de manque d’expérience. C’est par votre capacité à travailler et à montrer à tout le monde que vous êtes capable et compétent alors vous obtiendrez inévitablement la crédibilité qui vous est due. Il faut être sûr de ses compétences tout en restant à l’écoute des autres pour continuer à apprendre. Le partage est une chose très importante pour moi car il n’y a que du positif qui ressort du partage.
Vous avez effectué vos différentes formations en France, pourquoi avoir choisi de s’exiler aux Émirats Arabes Unis ?
Raconter mon parcours, c’est pour moi une manière d’essayer d’inspirer les autres. Si aujourd’hui, je reviens 3 ans ou 4 ans en arrière, je n’aurai pas pu imaginer ce parcours. Je vis au jour le jour et je me donne à 100%. Pour moi Hichem Boumbar c’est 1% de talent, 1% de chance et 98% de travail parce que lorsque l’on regarde mon parcours avant d’arriver ici, ce n’est pas le parcours sur lequel on peut miser 1 centime. Mon parcours amateur en France est un parcours très enrichissant car on est un peu l’homme à tout faire dans les clubs amateurs. Lorsque l’on est entraîneur d’une catégorie de jeune dans un club amateur vous êtes aussi dirigeant, arbitre parfois, vous vous occupez de beaucoup de choses différentes. Vous êtes le tampon entre le joueur, l’école et les parents. J’ai été aussi confronté à des enfants en difficulté d’intégration, difficulté de comportements avec la police notamment et j’ai toujours essayé d’œuvrer pour faire du football un levier social. Cette compétence-là d’accompagnement des joueurs, être empathique et à l’écoute c’est quelque chose d’extrêmement important dans mon travail d’aujourd’hui et je l’ai beaucoup appris dans mon parcours amateur en France.
Mais malgré tout ce que cela m’a apporté, j’estimais être arrivé à un moment de ma vie où je commençais à avoir des sollicitations en France, dans d’autres pays européens ou aussi au Maghreb et je devais vivre de ma passion. Le COVID est arrivé et pendant que le sport était à l’arrêt en France, ici (aux Émirats Arabes Unis) les clubs se sont tournés vers un projet de développement donc j’ai été contacté par un responsable du club. On a discuté du projet du club et cela m’a donné envie de mettre à leur disposition les compétences que j’avais emmagasiné. Mettre au service du club et de ce pays le savoir français que j’ai obtenu me permet d’être une sorte d’ambassadeur du savoir français. Je voulais exporter cette image là, et en parler, c’est ouvrir à mes collègues de ce milieu-là, les portes de ce pays.
Quelles sont, selon vous, les principales différences entre le football européen et le football aux Émirats Arabes Unis ? Aussi bien au niveau du jeu que des infrastructures et de l’organisation des clubs ?
Ici (aux Émirats Arabe Unis), la première division équivaut plus ou moins à un niveau Ligue 2 en France.
Pour les équipes de bas de tableau, ce serait plutôt du haut de tableau de National.
Par contre au niveau des infrastructures, c’est un pays avec des clubs dotés d’infrastructures meilleures que certains clubs de Ligue 1 en France (en termes de qualité de pelouse, de matériels, de vestiaires etc). C’est un pays qui affectionne tout ce qui concerne les nouvelles technologies. Celles-ci ont également un rôle important dans le sport de haut niveau.
En termes de fonctionnement, il faut savoir que c’est un pays qui met énormément de moyens dans le développement du sport. Il y a la fédération et la ligue professionnelle. Et en plus de cela il y a ce que l’on appelle le « Sports Consult » qui sont pratiquement comme des comités olympiques. Ce sont comme des ligues qui gèrent un nombre restreint de clubs professionnels. Ce sont ces Sports Consults là qui donnent le budget de chaque club en plus des propriétaires. Les budgets de quasiment tous les clubs sont uniquement constitués du budget d’État, un peu de droit TV mais sur le plan marketing etc, les clubs doivent s’améliorer.
En ce qui concerne l’organisation sportive, chaque staff de chaque catégorie est composé de 5 à 6 personnes avec l’entraîneur bien sûr, un entraîneur adjoint, un entraîneur des gardiens, un préparateur physique, un médecin et un team manager. Le team manager s’occupe de tout la « vie quotidienne » de l’équipe. Tout ce qui ne concerne finalement pas l’aspect purement technique du terrain finalement. Il faut que chaque club mette à disposition une navette pour venir récupérer les joueurs et les ramener à chaque entraînement.
Il faut également savoir que tous les joueurs du pôle jeunes sont tous rémunérés, dès 7 ans jusqu’à l’équipe réserve. Chaque joueur est rémunéré avec un salaire mensuel, qui varie bien entendu selon la catégorie et les performances. À ce niveau, c’est donc un peu mieux structuré que même certains centres de formation français. Mais il manque quand même encore un peu de savoir technique dans l’accompagnement des jeunes notamment.
À votre arrivée, quels étaient vos objectifs en ce qui concerne l’aspect purement footballistique ?
Lorsque je suis arrivé, il y a 3 ans maintenant, mon objectif principal était de travailler sur la structuration du club, sur le projet club de manière globale, que ce soit donc aussi bien l’équipe première que l’équipe jeune. Ce projet a alors été divisé en deux parties : une partie administrative et une partie sportive.
Pour la partie administrative, il a fallu que j’explicite clairement le rôle de chacun et que je mette en place un fonctionnement clair et précis pour tous les employés du club. Chaque employé devait connaître le périmètre de ses fonctions et cela a permis d’éviter des interférences entre les deux pôles.
Moi ce qui me concernait encore davantage, c’était la partie sportive. Mon rôle a été de réorganiser le fonctionnement, les staffs, le projet sportif du club de manière plus générale. J’ai donc fait un diagnostic du club à mon arrivée, et à partir de l’évaluation réalisée et de la compréhension du contexte du club, j’ai pu faire des recommandations puis les mettre en place. Ainsi j’ai pu construire un projet pour tout le club avec des objectifs communs des catégories jeunes à l’équipe première. Le projet de Hatta est vraiment axé sur le développement des jeunes et cela fonctionne d’ailleurs plutôt bien. L’année dernière on a réussi à faire monter 7 jeunes du pôle en équipe première.
Maintenant après 3 ans de fonctionnement, il s‘avère que mon projet est un modèle dans le pays, au moins dans l’organisation, la méthodologie d’entraînement et l’accompagnement des jeunes. Ce qui est inédit aussi aux Émirats Arabes Unis et que j’ai créé en arrivant, c’est une cellule de recrutement. Les autres clubs n’avaient pas de telle cellule avant que j’arrive.
Après tout ce que vous avez déjà réalisé pour le football Emiratis, quelles sont vos ambitions personnelles et celles pour le club d’Hatta ?
Concernant le club, notre objectif n’est pas de gagner le championnat au vu des moyens que nous avons et de nôtre différence de budget avec les autres gros clubs. Toutefois, j’ai pour ambition et pour objectif d’être un modèle d’expertise technique et d’accompagnement des jeunes dans le pays.
Nous sommes en train de tendre vers cet objectif-là. Un deuxième objectif pour le club, ce serait d’exporter l’image d’Hatta Club à l’international et pourquoi pas de conclure des partenariats avec des clubs français ou européens. Et éventuellement d’exporter nos joueurs également vers les grands championnats européens.
Au niveau personnel ensuite, ce serait de continuer à apprendre dans un premier temps. On ne sait pas de quoi sera fait demain. Je ne me mets aucune limite à mon travail. Je veux juste continuer à faire ce que je fais tout en grandissant. Je ne ferme pas la porte non plus à un retour en France demain. C’est aussi un objectif de revenir en France dans un club de Ligue 1, Ligue 2 voire même de National et de construire un projet de structuration et de développement. Il ne faut pas que les clubs de National aient peur d’avoir une structure de clubs professionnels car demain ils seront eux aussi des clubs professionnels avec la réforme.
J’ambitionne en tout cas de faire ce que je fais aujourd’hui dans un club étranger, de le faire un jour dans un club professionnel en France.
Vous dites que vous souhaitez devenir un modèle pour les clubs Émiratis, est-ce que vous avez un club référence au niveau de son fonctionnement ?
Non, il n’y a pas de club en particulier. Je ne m’arrête pas à un seul club plutôt. Chaque club a son fonctionnement et sa façon de faire en fonction de son environnement, du contexte, de ses ressources, de son ADN etc. Après bien sûr il y a des clubs, des directeurs de centres de formation avec qui je m’entends très bien et avec qui j’échange énormément sur nos façons de faire car j’estime qu’il n’y a que par l’échange et la curiosité que l’on est amené à atteindre nos objectifs. Le football n’est pas mathématique. Il y a des millions d’idées qui peuvent fonctionner dans un contexte particulier. Il n’y a donc pas une école qui fonctionne tout le temps. Après bien sûr, le mode de fonctionnement français est celui dont je m’inspire le plus car c’est également celui que je connais le plus mais c’est quand même, selon moi, une référence en termes de formation.