À quelques heures du lancement de l’édition 2023 de la Coupe du Monde de Rugby, qui a lieu en France, Jurisportiva a interviewé François Guéant, actuel Directeur Juridique du Comité d’organisation de la Coupe du Monde. Fonctionnement d’un Groupement d’Intérêt Public, enjeux juridiques de l’évènement ou encore Ambush Marketing sont des sujets traités au cours de l’entretien.
Bonjour François. Pourriez-vous dans un premier temps me présenter votre parcours ?
Bonjour Arnaud. C’est un parcours assez classique. J’ai commencé en cabinet d’avocats, chez CMS Francis Lefebvre, avec une forte spécialité fiscalité locale. Qui m’a permis de devenir conseiller en cabinet ministériel sur ces sujets, une bonne école de pragmatisme pour tout juriste. Directeur de cabinet de CCI France lors de sa réforme, je suis redevenu avocat à mon compte à son issue, avant d’intégrer le comité d’organisation de la coupe du monde de rugby France 2023 il y a presque quatre ans maintenant. Pendant de nombreuses années j’ai eu la chance de présider une mission locale pour l’emploi des jeunes. L’occasion de croiser de belles personnalités du sport français, comme Jean-Marc Mormeck, Souleyman Ndiaye, Serge Blanco, ou encore Basile Boli. De quoi se sentir prêt à servir un événement tel que la Coupe du monde de rugby France 2023.
France 2023 est un GIP (Groupement d’Intérêt Public). En quelques mots, pourriez-vous définir et expliquer succinctement le fonctionnement d’un GIP, tel que celui de France 2023 ?
Le comité d’organisation de la coupe du monde de rugby est une structure composite. Comme vous le soulignez, c’est d’abord un Groupement d’Intérêt public (GIP), qui a acquis les droits d’organiser le tournoi auprès de la fédération internationale World Rugby. Pour asseoir la candidature de la France, l’État et la Fédération Française de Rugby ont signé la convention constitutive d’un GIP œuvrant pour l’organisation de la coupe du monde de rugby 2023, l’État détenant 37% des parts contre 62% pour la FFR, et 1% pour le CNOSF. Avec la particularité, de ce fait, d’être une structure soumise au code de la commande publique. En son sein (même personnalité morale mais comptabilité distincte) a été créé CAMPUS 2023, un Centre de Formation des Apprentis d’entreprise hors les murs permettant de former au cours de ces deux dernières années plus de 1500 apprentis aux métiers de l’événement sportif.
Parallèlement, a été créée une structure spécifique pour gérer les Hospitalités et les voyages sous la forme d’un GIE détenu par la FFR d’une part (55%) et le GIP d’autre part (45%), en ce compris l’État. Les droits correspondants ayant été achetés parallèlement à ceux de l’organisation, la structure reste de droit privé, sans effet « in house » de l’une sur l’autre. Enfin, un Fonds de dotation Rugby au Cœur est directement détenu par le GIP (100%) et lui permet de financer différents projets de développement du rugby à travers l’octroi de micro-dons.
Quelles sont vos principales missions pour France 2023 ?
Directeur délégué aux affaires juridiques, ma mission de General Counsel auprès de notre Directeur général Julien Collette est naturellement transverse au vu de la gouvernance que je viens de rappeler.
La mission première est d’assurer une architecture contractuelle cohérente entre ces différentes entités soumises à des grands principes différents, entre droit privé et droit public. Créer des ponts là où c’est possible. Et maintenir des parois étanches (des « chinese walls ») là où c’est nécessaire, en particulier en matière de commande publique.
Ce prérequis posé, deux grandes lignes directrices : assurer les besoins du tournoi en matériel et services par l’attribution de marchés publics[1] ; et permettre à l’ensemble des parties prenantes (« stakeholders ») d’établir un lien juridique sécurisé avec le comité d’organisation : partenaires (contrats de partenariat), prestataires (contrats de production et distribution d’hospitalités et voyages), et spectateurs naturellement en ce qui concerne la billetterie (CGV par type de populations et services, médiation, etc.). Mais bien sûr les questions sont multiples : du droit social applicables aux apprentis au droit d’auteur pour la cérémonie d’ouverture, de la mise à disposition des stades au respect des normes RGPD que j’assure en tant que DPO (Data Protection Officer).
La Coupe du Monde de Rugby 2023 approchant, quels sont les grands enjeux juridiques de l’événement qui aura lieu en France ? Quelles sont les dernières échéances ?
La dernière coupe du monde de rugby en France, c’est 2007. Bien sûr, en plus de 15 ans, le droit s’est complexifié. Les partenaires sont plus avisés. La commande publique est plus exigeante, en particulier depuis sa réforme de 2019. Et on peut dire qu’avec internet, les paysages de la billetterie et de l’ambush marketing se sont profondément transformés. Pour autant, les enjeux restent fondamentalement les mêmes.
Ainsi, l’équipe vient d’achever l’intégralité des marchés publics nécessaires à l’intégralité du tournoi jusqu’au 28 octobre 2023. Pour ne donner qu’un exemple, c’est en un an près d’une centaine de marchés qui ont été publiés. Compte tenu de la complexité de ces procédures et des délais qui sont impartis, c’est considérable. Un beau challenge. De même, la pyramide commerciale des partenariats est finalisée. Les conditions générales de vente ont été également développées en autant de produits, services et canaux de vente proposés.
Il n’empêche, « il reste du pain sur la planche ». Les conditions de suspensions de période d’utilisation exclusive dues à différents évènements (reprise du calendrier footballistique, visite papale, etc.) arrivent mécaniquement assez tardivement. Les litiges dus à la revente illicite de billets restent un sujet constant tout au long du tournoi. De même que la traque, avec le support des équipes sponsoring, des actions d’ambush marketing tout autour des stades. Mais en un mot comme en cent, nous sommes prêts.
Quels sont les principaux partenariats et accords contractuels en place avec les différents acteurs, tels que les fédérations sportives, les sponsors et les diffuseurs?
Avec la fédération internationale World Rugby et sa filiale commerciale, Rugby World Cup Ltd., cessionnaires des droits premiers de l’organisation, nous partageons une pyramide commerciale de 37 groupes partenaires sur quatre « slots » ou rangs d’investissement : partenaires majeurs, relevant de World Rugby, et sponsors officiels/fournisseurs officiels/supporters officiel relevant de France 2023. Proportionnellement à leurs apports, les partenaires peuvent ainsi piloter différentes activations marketing en lien avec le tournoi. A chaque partenariat son lot de contrats et d’avenants. Les droits de diffusion du tournoi principal sont quant à eux gérés directement par la fédération internationale.
Le tout s’effectue en bonne intelligence avec l’ensemble des fédérations de chaque nation participante. Différence notoire avec la Charte Olympique, qui prévoit à son « traditionnel » article 40 un principe selon lequel les sportifs ne peuvent s’associer médiatiquement à une entreprise non-partenaire de l’événement, les fédérations et les joueurs sont à même de se prévaloir de certains sponsors et équipementiers, dans des conditions néanmoins assez strictes.
L’ambush marketing étant de plus en plus présent lors d’événements de cette renommée, pourriez-vous à la fois définir ce phénomène et nous présenter brièvement les stratégies marketing et juridiques à adopter lorsqu’on est organisateur/hôte ? Comment gérez-vous les questions de propriété intellectuelle liées à l’événement ?
Comme d’autre GESI désormais (grands événements sportifs internationaux), le comité d’organisation s’attache à garder une vision holistique du sujet[2]. Premièrement, et comme vous le savez, le Code du sport français offre cette spécificité d’accorder aux fédérations et aux organisateurs de manifestations sportives le monopole des droits d’exploitation liés à celles-ci. L’article de référence L333-1 Code du Sport précise en effet que « Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives (…) sont propriétaires du droit d’exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu’ils organisent ». Partant, la défense de nos signes distinctifs est assurée par le droit commun des marques tel que porté à l’article
L711-1 du Code de la propriété intellectuelle alors que la construction jurisprudentielle du « parasitisme » basée sur l’article 1240 du Code civil permet de limiter toute appropriation indue de l’événement.
Pour autant, France 2023 a souhaité adopter une posture proactive. En se dotant d’outils de veille internet détectant de manière systématique l’utilisation des noms et images usurpés au propriétaire de l’événement. Par exemple, cela se traduit ces dernières semaines par plus de cinq cents cas illégitimes résolus à plus de 90% par des mises en demeure aux éditeurs et à tous les intermédiaires techniques responsables de la mise en ligne du contenu, par la suppression des contenus litigieux, la fermeture des sites web, la suspension des noms de domaine.
Dans une logique plus marketing, il s’agit également de consolider sa marque marque par l’adjonction de marques secondaires de structures ou d’événements Ainsi par exemple, pour France 2023, CAMPUS 2023 pour ce qui est de son Centre de formation des apprentis, Rugby Au Cœur 2023 pour son fonds de dotation, Rugby Hospitalités et Voyages pour le GIE gérant les hospitalités du tournoi, ou encore le XV de la gastronomie pour l’association des 23 chefs étoilés participant aux menus. Au total, c’est une quinzaine de marques associées qui gravitent autour de France 2023.
Enfin, France 2023 a choisi de sécuriser l’événement en devançant les besoins des manifestations non-officielles qui ne manquent pas de se greffer au tournoi. En offrant des alternatives comme la distribution de « kits commerçants » aux alentours des stades, ou en mettant à disposition une plateforme Rugby Festival pour se procurer des kits de pavoisement moyennant le respect de conditions générales d’utilisation à respecter, dont un rappel de notre pyramide commerciale.
On observe, dans le monde du football, une recrudescence de violence dans les stades. Même si le rugby est un sport différent, comment êtes-vous préparés à faire face à d’éventuels problèmes de sécurité qui pourraient survenir pendant la Coupe du Monde ?
Vous remarquez à juste titre que ce sont deux sports différents, avec des comportements de supporters qui diffèrent radicalement. Bien entendu, le règlement intérieur unifié des stades rappelle néanmoins les droits, devoirs et interdictions du supporter. Au-delà de ces règles impératives, on se rappelle les événements dramatiques de la finale de Ligue des champions le 28 mai 2022, dus en grande partie par la revente de billets illicites et la circulation de faux billets.
France 2023 comprenant clairement ces enjeux, c’est un vrai travail d’équipe avec la direction de la billetterie et la direction de sécurité qui s’est enclenché pour nous. Depuis janvier 2023, la plateforme de revente officielle permet aux supporters de revendre leurs billets en toute légitimité. Judiciairement, au civil, cela se traduit également par la condamnation de l’entreprise Viagogo[3] en première instance et sur le fond à plus 400.000 euros de dommages et intérêt pour revente illégale de billets (TJ Paris 6 juillet 2023 3ème ch. 1ère s. n°23/02177). Pour paraphraser le Tribunal, il en va de « la protection des amateurs de rugby à XV contre le renchérissement du coût des billets liés à leur revente », ainsi que de « la sécurité de l’événement notamment par la maîtrise de l’identité des spectateurs. » Au pénal, nous restons vigilants, et le GIP n’hésite pas à porter plainte lorsque la revente illégale et systématisée de billets est avérée[4].
Dans quelle mesure êtes-vous confrontés du point de vue légal aux enjeux sociaux et environnementaux de l’évènement ?
C’est un enjeu fondamental sur lequel ni la direction de France 2023 ni la ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques Amélie Oudéa-Castéra ne tergiversent. Les contrats du GIP font état du respect de nos engagements/politique environnementale, avec des mentions particulières et concrètes sur des achats responsables, une traçabilité complète des produits, un respect des règles de l’OIT. S’agissant plus particulièrement de la commande publique, la loi ne permet d’inclure des critères de notation RSE (art. R2152-7 du CCP) qu’à la condition qu’ils soient en lien avec l’objet du marché (ex : l’inclusion du critère de notation RSE est compréhensible pour les goodies, plus difficilement pour des prestations intellectuelles). L’engagement du GIP n’en reste pas moins fort en la matière[5]. 86% des marchés qui permettent une pondération RSE intègre un critère de notation RSE de plus de 10%, ce qui permet donc in fine de peser véritablement dans le choix de l’attributaire mieux disant.
Dans la même logique, la loi AGEC (loi n°2020-105 du 10 février 2023, anti-gaspillage pour une économie circulaire), en interdisant la distribution gratuite de bouteille plastique lors de l’événement, challenge l’ensemble de notre écosystème. Avec les partenaires, il s’agit d’innover, de repenser les modèles, voire les business models, pour répondre favorablement à ces exigences malgré l’ampleur de l’événement. C’est passionnant.
Que serait une Coupe du Monde réussie du point de vue juridique, selon vous ?
Que ça soit pour les fonctions dites « support » comme la direction des affaires juridiques, ou pour les services opérationnels du tournoi, je crois qu’une coupe du monde réussie c’est une coupe du monde où on ne s’aperçoit pas de l’ampleur des moyens déployés pour y arriver. A fortiori des moyens juridiques. Place au rugby, aux joueurs et au plaisir des spectateurs du monde entier.
Pour finir, un petit pronostic pour cette Coupe du Monde ?
Forcément je ne peux pas vous répondre, soumis au devoir de réserve. La France est en tout état de cause la grande gagnante de cette coupe du monde. Je sais que c’est une des motivations de toutes les équipes qui travaillent au comité d’organisation. Le bicentenaire du rugby à XV en France permettra d’accueillir pas moins de 450 000 visiteurs étrangers et 3000 médias pour 2,6 milliards de téléspectateurs dans le monde, soit l’un des événements sportifs les plus suivis, avec les Jeux Olympiques d’été, la Coupe du monde de football, le Tour de France, ou encore le Superbowl. Une première victoire à domicile…
Propos recueillis par Arnaud de Brouwer
[1] AJCT 2023,2 15 Ed. Dalloz ; Coupe du monde de rugby et commande publique, le sponsoring du GIP à l’épreuve du VIK F. Guéant
[2] Harvard Business Review France29/0/2023 ; Les grands événements sportifs internationaux face à l’ambush marketing F. Guéant
[5] AJCT 2023,2 15 Ed. Dalloz ; Coupe du monde de rugby et RSE : quand les considérations environnementales et sociétales dynamisent le jeu d’un GESI – M. Le Breton et F. Descat