Interview de Florian Grill (Président de la FFR)

par | 13, Sep, 2023

Florian Grill est depuis le mois de juin le nouveau Président de la Fédération Française de Rugby, successeur de Bernard Laporte. L’ancien deuxième ligne du Paris Université Club (PUC) de 57 ans a accepté de répondre à nos questions à l’occasion notamment de la Coupe de Rugby 2023 se déroulant actuellement en France. Au cours de l’entretien, l’ex Président de la Ligue régionale Île-de-France de rugby évoque sa feuille de route avec la FFR : son plan d’attaque pour relancer le rugby par la base via les clubs amateurs, sa stratégie pour mobiliser de nouveaux bénévoles, son projet de création d’une fédération à mission ou encore notamment sa volonté d’évolution des dispositifs concernant les commotions cérébrales. Florian Grill, qui nous livre quelques détails sur les dessous de cette Coupe du Monde, revient également pendant l’interview sur les avancées du projet Stade de France & la place de la RSE pour son mandat. Rencontre avec un homme décidé à replacer les valeurs cardinales du rugby au coeur de la société.

Bonjour Florian Grill. Vous êtes depuis peu le Président de la Fédération Française Rugby. Quels sont les différents chantiers que vous menez actuellement pour le rugby français ? 

Bonjour Arnaud.

Le premier des chantiers a été d’apaiser la Fédération Française de Rugby (FFR), de constituer une gouvernance collégiale représentant tous les courants afin d’éviter un nouveau chaos avant le démarrage de cette Coupe du Monde tant attendue, et nous sommes très contents de l’avoir réussi. 

Le deuxième chantier a été d’être derrière toutes les équipes de France, masculine comme féminine, y compris les – de 20 et le rugby à 7.

Le troisième chantier et il est très important, c’est de relancer le rugby par la base. Nous sommes le deuxième sport en termes de médiatisation en France mais seulement le dixième en nombre de licenciés. L’objectif est de remonter cette pente là, et cela passe par plus de moyens pour les ligues régionales et comités départementaux car le développement se fait localement, non depuis Marcoussis. On a donc augmenté leur budget de 50%. Deuxièmement, c’est un important travail sur le volet scolaire avec la nécessité de former les formateurs pour les rendre autonomes. Il faut surtout se dire que le rugby n’est pas seulement un enjeu sportif mais aussi éducatif. Notre sport est né à l’école, on y apprend le respect, la solidarité, la loyauté. Des valeurs cardinales et essentielles à la société.

Le quatrième chantier est d’imposer la vision qui est la nôtre, celle de transformer la FFR en fédération à mission avec un vrai rôle sociétal. Sur 1950 clubs, 20 font du rugby adapté (pour personnes en situation de handicap) et nous souhaitons qu’ils soient 100. Une trentaine de clubs font aussi du rugby santé autour des problématiques du diabète, du cancer. Nous voulons qu’il y en aient également une centaine. Par ailleurs, les 1950 clubs doivent pouvoir accueillir des gamins en surpoids car l’obésité est un fléau national et chez nous au rugby, ce n’est pas un défaut. On accepte tous les gabarits et tailles. On veut également monter de 270 à 400 le nombre de clubs intervenants dans les quartiers prioritaires de la ville. Passer à 100 clubs dans les zones de revitalisation rurale… Ce sont des projets cruciaux à court, moyen terme.

Notre vision, c’est de jouer un réel rôle sociétal, citoyen et éducatif en plus du rôle sportif.

Cette Coupe du Monde est-elle l’occasion d’ancrer encore davantage le rugby territorialement ?

Bien sûr. La Coupe du Monde se déroule partout en France. Les feux médiatiques sont sur le rugby, l’ambiance monte d’une manière juste incroyable. Les retombées qui auront lieu post Coupe du Monde nous donnent envie d’espérer, et d’imaginer le rugby dans les zones d’ombres actuelles aux 4 coins du pays. Il y en a dans le nord comme dans le sud. Par exemple, une ville comme Marseille avec environ 1 millions d’habitants, ne compte que 3 clubs. Il y a des endroits où il faut créer des clubs car la proximité est le premier critère de la pratique. Il faut qu’un club soit au maximum à 15 km pour que les familles aient envie d’emmener leurs enfants. Nous allons donc profiter de cet évènement mondial pour mettre la lumière sur notre sport et nos clubs, et les développer.

Quels seront vos indicateurs pour une Coupe du Monde réussie ?

Le premier indicateur c’est la croissance du nombre de licenciés. On espère à minima 20% de nouveaux pratiquants licenciés, chez les filles comme les garçons. Le deuxième indicateur est émotionnel : c’est que les gens aient le sourire et que ce soit une grande fête sur tous les territoires en France et même à l’international. Nous allons accueillir environ 600 000 visiteurs étrangers, ce n’est pas rien. Il faut que les gens comprennent la logique éducative et citoyenne du rugby pour attirer licenciés mais aussi des bénévoles parce que lorsqu’on est bénévole dans un club de rugby, on accompagne des parcours de vie, on aide des enfants à grandir, à évoluer. Je veux faire comprendre le sens réel du bénévolat dans le rugby, ce n’est pas juste gérer la buvette ou amener les bouteilles d’eau, c’est surtout et avant tout aider des enfants à se construire.

Quel est votre plan d’attaque pour relancer le bénévolat dans les clubs amateurs ?

Il y a plusieurs sujets sur le bénévolat. Sociologiquement, les choses évoluent avec les RTT, le télétravail… C’est donc de plus en plus compliqué de trouver des bénévoles. Mais selon moi, la première chose c’est de redonner du sens à ce statut de bénévole. Il y a aussi de nouvelles pratiques comme le rugby à 5, un rugby sans chocs, plaquages. Cette pratique est compatible avec le bénévolat, c’est même une nouvelle forme de bénévolat. Ils font du sport pour eux et assument, en parallèle, un rôle de bénévole au club. On a 20% de nos licenciés en rugby à 5 qui sont également bénévoles dans leurs clubs. Ensuite, il y a le travail de la fédération pour valoriser les bénévoles et là il faut aller beaucoup plus loin que leur offrir une médaille par an. On a tout un plan, l’objectif est de rajouter 2 bénévoles par an et par club à Marcoussis, soit 4000 personnes environ qui seraient valorisées et choisies par les clubs. On a aussi un travail à mener avec l’État pour travailler sur le statut du bénévole afin que l’on reconnaisse que les bénévoles sont essentiels au bien vivre ensemble. On a une société qui s’est longtemps organisée autour du clocher, que l’on le veuille ou non, c’est moins le cas. Comment faire nation maintenant? L’Équipe de France pourrait le faire en donnant le sourire aux gens mais il faut se rendre compte que ceux qui font nation au quotidien, ce sont les clubs amateurs et associations sportives. Le sport est clé pour l’éducation, le rugby en particulier car il est né à l’école, mais c’est aussi une super école du bien vivre ensemble, essentiel à la société. J’interpelle l’État, les collectivités en leur disant “rendez vous compte de ce qu’on est capable de faire si vous nous faites confiance et vous nous en donnez les moyens”. On peut aller dans les quartiers prioritaires de la ville, on peut aller dans les zones de revitalisation rurale. C’est un travail à mener de front, main dans la main avec les différents acteurs.

La Coupe du Monde qui a lieu en ce moment en France est-elle le levier idéal pour relancer le rugby français?  Vous évoquiez l’idée que le rugby est “un nain mondial”, en comparaison au football. Comment démocratiser encore davantage l’ovalie dans l’hexagone ?

Démocratiser le rugby passe par la multiplicité des pratiques. On a le rugby à XV, le rugby à 7 (devenu un sport olympique), le rugby à 5 (se jouant en mixité et qui se développe). 

Et puis vous savez, à l’international, la France est une nation majeure du rugby. Alors avec l’État, l’Agence Française de Développement et éventuellement quelques industriels, si nous décidons d’une stratégie de développement du rugby dans le monde alors nous pourrons accompagner World Rugby sur ce sujet là. C’est en ce sens que je veux travailler. Des conversations sont déjà avancées avec certains de ces acteurs justement. 

Si l’on prend l’exemple de l’Afrique, où vivra près de la moitié de la population mondiale en 2050, il faut aller développer le rugby à 7 ou le rugby féminin avec des équipes de la FFR et évoquer des sujets de santé, nutrition, ce serait, à mon sens, très intelligent comme démarche et cela permettrait le développement du rugby qui reste aujourd’hui effectivement un “nain mondial” si l’on regarde d’autres sports comme le football ou le basket.

Enfin, pour terminer sur la Coupe du Monde, quelle est la place de la RSE ? A t-elle une place fondamentale dans vos projets ?

La Coupe du Monde, c’est un événement avec la RSE au cœur de son fonctionnement. Elle mesure à la fois son impact carbone, elle reversera aussi à des associations du secteur en ce sens. Il y a également un fond de dotation “rugby au coeur” qui soutient le rugby amateur sur des logiques RSE. C’est important pour nous.

J’utilise cette Coupe du Monde pour faire la promotion de la Fédération à Mission et du rôle sur les volets “santé”, “éducation”, “emploi” et “RSE” qu’elle aura. 

Nous organisons notamment des opérations de job dating pour les demandeurs d’emploi longue durée avec le rugby à 5. On sélectionne 100 demandeurs d’emploi et 20 entreprises qui recrutent, ils font alors une matinée de rugby à 5 dans l’anonymat puis ils déjeunent ensemble et se rencontrent pour échanger. C’est positif car on a un taux de retour à l’emploi supérieur à 60%. C’est ça aussi le rugby. Si les gens comprennent tout ce qu’on peut apporter à la société au-delà du sport et si on assume le rôle éducatif et citoyen qui est le nôtre, alors on aura les moyens d’avancer. Sachez que les 1950 clubs de France et tous leurs bénévoles, sont dans les starting-block pour mener des actions.

Vous expliquez que le rugby amateur est d’une grande importance en France. Pourriez-vous nous en dire plus sur l’importance cruciale des clubs amateurs pour le rugby français et quels sont vos objectifs à court, moyen et long terme pour eux ?

Il y a 1950 clubs de rugby amateur mais ils souffrent du fait que le rugby s’est financiarisé ces dernières années, il fallait donc que le rugby prenne un tournant professionnel. Mais il y a un défaut qu’il nous faut contrôler. C’est le fait que le rugby s’est massivement concentré sur les grandes villes au détriment des petits villages ou des villes moyennes où le rugby souffre alors même qu’il y joue un rôle sociétal fondamental. La disparition du club de rugby dans un village est parfois pire que la fermeture du bureau de poste. C’est un acteur clé du lien social. 

Il faut que nous relancions le rugby par la base et c’est un enjeu aussi sportif. Regardez simplement l’équipe de France : 50% de l’effectif sélectionné vient d’une ville de moins de 20.000 habitants. Certains viennent même de zones de revitalisation rurale. 

Relançons le rugby par la base, avec des moyens additionnels pour les ligues régionales et comités départementaux (augmentation du budget de près de 50%), et avec un travail dans le monde scolaire (érigé en priorité absolue) avec l’idée que l’on peut contribuer à résoudre le problème éducatif en France avec le rugby, en inculquant certaines valeurs.

Vous dites vouloir relancer le ballon ovale en France en créant une fédération à mission d’ici deux ans et en repensant son modèle de financement ? Pouvez-vous en dire plus ?

Notre modèle actuel à la FFR est très centré sur les hospitalités, les droits marketing et droits TV. C’est un modèle tout à fait pertinent mais je souhaite mobiliser tous les acteurs et non pas uniquement échanger avec le Ministère des Sports. Je veux parler avec le Ministère de la Santé, le Ministère du travail et de l’emploi. Je souhaite aussi mobiliser de l’argent public sur certains programmes : prenons l’exemple de l’obésité. Il y a un réel travail à faire en collaboration avec le Ministère de la Santé pour que ces gamins soient fléchés vers nous. Ils trouveront dans nos clubs une deuxième famille.

Autre mesure, je souhaite également mobiliser en mécénat des grandes entreprises qui pourront nous apporter des fonds, parce qu’elles comprennent l’enjeu sociétal du rugby.

Où en est-on du projet Stade de France ?

On attend de savoir qui sont les acheteurs et les concessionnaires possibles. On est potentiellement intéressés (en fonction de la configuration) pour être partie prenante à un des tours de table. Nous sommes intéressés car vous savez, le rugby vit beaucoup d’hospitalités (davantage que les droits TV et les droits marketing). Le Stade de France est un enjeu pour nous car c’est une part importante de nos revenus avec la billetterie. 

Quel est votre regard sur les dangers du rugby et notamment sur les commotions cérébrales ? Pensez-vous que le rugby doit évoluer à ce niveau-là? 

Bien sûr que le rugby doit évoluer, même s’il a déjà beaucoup évolué. Il y a énormément de règles qui ont été mises en place, à commencer par l’abaissement de la ligne de placage en Fédérale 2 et en dessous. On a aussi créé un chasuble qui a un enjeu de formation avec la GMF (Garantie Mutuelle des Fonctionnaires), indiquant les positions de la tête sur les placages. Les résultats démontrent clairement qu’il permet de baisser les risques de commotions. 

J’ai, en ce sens, intégré à notre groupe de travail Philippe Chauvin, père de Nicolas Chauvin. On a notamment mis en exergue la règle 9 de World Rugby qui dispose “qu’on ne doit pas jouer au rugby en mettant en danger la vie d’autrui”. Cette règle là, nous la faisons maintenant systématiquement cocher sur la licence et on tâche de la marteler en permanence afin de montrer à quel point les commotions sont un réel enjeu.

Pour faire évoluer les choses : il faut de la formation, de la communication, mais aussi de l’application très stricte des règles par les arbitres et c’est un enjeu de taille que l’on discute avec World Rugby. Il faut aussi des commissions régaliennes qui, quand elles jugent appliquent les règlements strictement. Mais surtout il faut faire évoluer ces règlements. On échange avec World Rugby et les 6 nations à propos d’une Nations Cup, pourquoi pas mais moi j’intègre le sujet de la sécurité des pratiquants car c’est l’occasion de peser pour faire évoluer dans le sens d’une plus grande protection des joueurs.

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