Un dimanche midi d’octobre, Daniel RIOLO, journaliste pour RMC Sport, répond positivement à notre demande d’interview. Il faut faire vite, car nous disposons de peu de temps. Quelques minutes plus tard, nous discutons avec lui de son nouveau livre, « Chaos Football Club », co-écrit avec Abdelkrim Branine, du rôle et de l’impact de l’entourage des joueurs, du football français ou encore du projet de Super League.
Bonjour Daniel Riolo. Vous avez récemment écrit “Chaos Football Club”. L’étymologie du mot « chaos » renvoie à un désordre, un état confus du monde avant sa mise en ordre. Le football français est-il aujourd’hui si peu organisé ?
Bonjour, merci à Jurisportiva pour l’interview. Le mot « chaos » n’a pas été choisi pour décrire le désordre institutionnel mais plutôt pour évoquer ce qui tourne autour du football, ce qui fait qu’il ressemble à un “bordel”. Derrière tout ça, on y voit évidemment une inaction des institutions qui, soit ne prennent pas la mesure des problèmes, soit sont désemparées et ne savent pas réellement comment agir.
L’entourage du joueur est un sujet prépondérant de votre livre. Vous montrez l’impact que peut avoir un mauvais entourage, notamment que les agents non diplômés, les amis malveillants, ou les parents du joueur peuvent être néfastes pour l’évolution du joueur. Est-ce un phénomène récent?
L’accentuation de ce phénomène ces dernières années est notable, en particulier concernant l’entourage du joueur.
Les personnes que j’ai rencontrées pendant l’écriture du livre m’ont confirmé que le joueur devenait une source potentielle de revenus pour beaucoup de gens. Les joueurs attisent des prétentions et des convoitises.
La police se penche, elle aussi, de plus en plus sur ces affaires-là. Elle remarque que les personnes qui souhaitent faire du trafic ou des actions illégales trouvent une facilité à agir dans le monde du football. Parce que le joueur est là, devant eux, il fait parfois partie de la famille. Selon eux, il suffit d’entrer dans le deal, contacter un avocat qui va rédiger les documents, se proclamer agent et on ne fait de mal à personne puisqu’il s’agit de la carrière d’une personne que l’on connaît.
Voilà pour la partie « clean » de l’affaire.
Mais si un rival décide d’installer une concurrence, on peut vite se retrouver avec des règlements de compte. Évidemment, l’affaire Paul Pogba en est l’illustration ultime car nous sommes en présence de famille et d’amis qui finissent par se disputer. A force de vouloir gratter, une famille se déchire et la carrière d’un joueur est ruinée.
Il y a de nombreux autres cas. Celui de Kurzawa au PSG, on retrouve la même chose : des amis qui grattent.
Au fond, c’est une spirale négative pour le joueur qui est obligé de sortir, de fréquenter certaines personnes. Le joueur est alors sorti d’un cadre professionnel exigeant qui devrait être celui d’un sportif de haut niveau.
Le football féminin n’est pas épargné non plus…
C’est presque plus facile que dans le sport masculin. Dans le football féminin, il y a un désintérêt global qui fait qu’une malversation a de grandes chances de ne pas être relayée.
Peu importe que les sommes soient moindres. S’il faut se partager 10 000 euros plutôt que 100 000 euros, c’est déjà ça de gagné.
À partir du moment où les contrats deviennent importants (ce qui est le cas au PSG), et qu’il n’y pas d’encadrement, c’est tentant.
Concernant l’affaire Kheira Hamraoui et Aminata Diallo, on est tombé dans du grand banditisme. Or, le club s’en est désintéressé et n’a quasi pas su ce qu’il s’était passé, c’est assez fou.
Mais honnêtement, je ne vois pas ce que pourraient faire les institutions à ce sujet. Elles ont déjà essayé de réglementer la profession d’agent et sont allées plus loin avec le délit d’exercice illégal de la profession d’agent. Malgré cela, certaines pratiques sont détournées, sont déguisées pour finir par rentrer dans les clous, d’une manière ou d’une autre. Après tout, on peut aussi légitimement se demander si les institutions ont réellement vocation à mettre le nez là-dedans, dans la vie du joueur qui, au départ, n’est pas forcément une victime.
Un des problèmes que vous soulevez est que l’entourage étudie davantage les potentielles retombées financières que la structuration du jeune joueur. Y a-t-il une corrélation avec la multiplication croissante des mutations de jeunes joueurs entre clubs ?
Oui, et tout le monde y trouve son compte. Le club sait qu’il forme pour vendre (en tout cas beaucoup de clubs en France). Le tout est de déterminer à quel moment “vendre” le joueur.
Souvent, l’entourage calcule le moment où il faudrait partir pour toucher le plus d’argent. Le club refuse et exige que le joueur reste encore un an. Un arrangement est ensuite trouvé, et si ce n’est pas le cas, un bras de fer peut alors se mettre en place.
Étant donné que les clubs français vivent économiquement des mutations, ils ont intérêt à vendre. Donc le joueur sait qu’il est une valeur marchande et que le club le considère comme tel, il n’a presque pas de scrupule.
Dans le cadre d’un précédent livre, vous faisiez le tour de France des centres de formation. Quelques années plus tard, quelles évolutions constatez-vous ?
La sociologie du joueur est tellement compliquée.
Les centres de formation se retrouvent face à des jeunes joueurs qui ont des habitudes, des morales, des comportements et codes qui sont parfois difficiles. Les clubs se disent que s’ils ne les forment pas, ils risquent de se retrouver avec des petits « sauvages ».
Quand les éducateurs analysent les réponses données par les jeunes aux questionnaires sur des sujets sociétaux, ils sont catastrophés.
Ils mettent donc en place différentes actions à visées éducatives : des ateliers, des conférences sur certains thèmes tels que le sexisme, l’homophobie etc.
En quelque sorte, les académies se substituent à l’école et à la famille. Ils font de l’éducation, ce qui n’est pas leur vocation première à l’origine. Mais tout cela reste difficile.
Évidemment, les clubs veulent des joueurs qui représentent leur club de la meilleure des manières. C’est aussi dans leur intérêt.
Est-ce que ce sont des problématiques spécifiquement françaises ?
En France, on a une spécificité sociologique, qui est que beaucoup de nos jeunes joueurs viennent de quartiers défavorisés. Par conséquent, les joueurs fréquentent des personnes propices à avoir certaines attitudes que l’on a décrites. Donc oui, c’est assez particulier.
Il n’empêche qu’il y a des soucis à l’étranger également. En Angleterre, on a récemment vu des jeunes avoir des problèmes de comportements avec les femmes, par exemple.
Une chose que vous changeriez dans la réglementation du football français ?
Je durcirais la réglementation relative aux bi-nationaux. Il faut obliger les jeunes à se décider beaucoup plus vite. Ne pas accepter des situations comme celle de Amine Gouiri, qui a fait toutes les sélections possibles avant de faire son choix.
Vous dites que la France n’est pas un pays de football. Pourquoi ?
On pouvait tenir ce propos il y a plus de dix ans. On en parlait beaucoup au début de l’émission mais depuis, il y a eu pas mal d’évolutions.
Cependant, la seule chose qui perdure est que notre économie se désintéresse du football. Nous n’avons pas de grands patrons qui investissent, ils ne viennent pas dans le football, probablement pour des questions d’image.
Cela a ouvert la porte à de nombreux investisseurs étrangers qui sont présents surtout pour faire du business et pas tellement pour développer les clubs. En cela, c’est gênant, mais c’est le cas un peu partout dans le monde.
Quand l’on voit qu’à Chelsea c’est un investisseur américain qui ne comprend rien au football qui est en place, ou que Manchester United rencontre également des soucis… C’est quelque chose qui arrive un peu partout.
La Super League, sous forme de ligue ouverte, pourrait-elle avoir un effet positif sur les clubs français, italiens et espagnols, qui ne rivalisent pas avec la Premier League, sur le plan économique ?
Je pense que oui. La réforme UEFA va montrer ses limites car pendant trois ans, nous allons avoir une formule difficile à comprendre. Elle a été conçue pour augmenter les revenus des clubs mais au fond, cet objectif ne va pas aboutir car l’appel d’offre a été moins fructueux que prévu.
Cette formule durera trois ans, et la suivante serait visiblement une copie de ce que préparait la Super League. Cela veut dire que l’idée n’était pas complètement mauvaise.
Avec la Super League, l’idée était de mettre en place un contrôle notamment financier. Actuellement, le contrôle de l’UEFA n’est pas totalement sérieux. Il y avait eu un fair-play financier pendant un temps mais il n’a pas tenu car tout tournait au rapport politique.
Alors qu’avec la Super League, qui serait comme une institution privée où l’on mettrait en place des règles effectives à tous les niveaux (transferts, salaires etc), je pense que cela pourrait être positif, d’autant plus quand on commence à subir les assauts de l’Arabie Saoudite qui, chaque année, va acheter des joueurs à la pelle pour se construire un championnat très important.
Aujourd’hui, à qui appartient le football ?
La réponse est celle de Giovanni Agnelli, qui disait que le football appartient au public à travers la télévision.
Le public fait la valeur économique. Le public fait qu’un joueur va dans un club ou un autre, qu’un club est attractif ou non. La valeur vient de nous, le public. La télévision, c’est à travers ses audiences qu’elle est propriétaire du football.
Aujourd’hui, on pourrait même ajouter les réseaux sociaux. Quand on constate que des transferts sont conclus parce que le joueur a 30 millions de followers ou parce qu’il va développer tel ou tel marché à cet endroit.. c’est ça les médias d’aujourd’hui.
Pour revenir sur l’After Foot. Sortir une revue alors que la presse écrite ne se porte pas au mieux, c’est un pari osé, non ?
Quand nous avons reçu la proposition de ce projet, nous avons dit « oui » immédiatement.
De toute façon, nous n’aurions pas commencé sans s’assurer d’avoir nos 7500 premiers abonnés. Ce sont eux qui ont décidé que l’on pouvait commencé, et depuis c’est eux qui décident que nous pouvons continuer.
Évidemment, ce n’est pas la revue qui va nous enrichir car les chiffres sont bons mais cela reste une revue papier. On est juste content qu’elle soit un prolongement de l’émission avec le développement de certains sujets quand nous n’avons pas le temps de le faire à l’antenne.
En tout cas, le produit final nous plait beaucoup.
Dans la revue dédiée à la relation entre le foot et les médias, il est évoqué « la dynastie des anciens grands joueurs devenus consultants, comme seuls les Britanniques savent en produire ». Un autre article dresse une description élogieuse des émissions des radios espagnoles. Et la France, quelle est sa spécificité sur le plan médiatico-sportif ?
La réponse est dure à trouver ! Je regarde peut-être moins qu’auparavant ce qu’il se fait autour pour vous dire précisément la spécificité française.
S’agissant des consultants, il y en a tellement qu’on parvient à en trouver de bons. Sont-ils meilleurs qu’à l’étranger ? Je ne sais pas. Honnêtement, la France n’a pas grand chose à envier des télévisions anglaises ou italiennes. Et ce n’est pas le passif du joueur qui fait sa qualité de consultant. Certains n’ont pas des carrières extraordinaires mais sont de très bons consultants, comme Ludovic Obraniak par exemple.
Crédit photo : BFM-RMC