Jurisportiva est allé à la rencontre de Antoine Nokerman, juriste à la Fédération Belge de Football (RBFA). Au cours de cet entretien, nous l’avons interrogé sur son parcours, tant académique que professionnel, sur ses missions à son poste actuel à la Royal Belgian Football Association, et notamment en période de crise sanitaire. Dans cette interview, Antoine revient également sur les toutes dernières nouveautés du football belge, que cela soit à propos du E-sport, de la lutte contre le racisme par la mise en place d’une nouvelle chambre à la RBFA ou bien encore de la création d’une « Clearing House » pour encadrer davantage le métier d’agent de joueurs. Nous remercions vivement Antoine pour sa disponibilité et sa sympathie.
Bonjour Antoine, peux-tu dans un premier temps nous expliquer ton parcours?
Bonjour Arnaud. Je m’appelle Antoine Nokerman, j’ai 28 ans, et je suis conseiller juridique à la Royal Belgian Football Association (RBFA/URBSFA/KBVB). J’ai étudié le droit à l’Université Catholique de Louvain et j’ai ensuite réalisé un LLM à l’Université d’Amsterdam en droit international et européen du commerce et des investissements. J’ai débuté ma carrière en tant qu’avocat au Barreau de Bruxelles, avec une spécialisation en droit des sociétés et droit commercial. J’ai eu à cette occasion la possibilité de participer à différents types de procédure, notamment de l’arbitrage commercial. Comme tu peux le constater, rien ne me destinait au droit du sport, et pourtant, j’en fais désormais quotidiennement.
Avant d’être juriste en droit du sport, tu as été avocat en droit des affaires mais aussi arbitre. Que peux-tu nous dire à propos de ces expériences et pourquoi s’être ensuite dirigé vers le droit du sport et la RBFA?
Ces expériences ont été essentielles dans ma formation professionnelle. Elles m’ont appris à être rigoureux et à avoir de l’assurance. Elles m’ont également permis de confirmer mon goût du droit. Je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui sans elles. Comme tu le relèves à juste titre, je me suis dirigé vers le droit du sport et j’ai rejoint la RBFA en mars 2020, à l’aune du premier confinement en Belgique. Etant un amoureux du sport de manière générale, j’ai sauté sur l’opportunité d’exercer le droit du sport quand celle-ci s’est présentée. Et autant le dire tout de suite, je ne regrette rien. Je l’aurais d’ailleurs peut-être fait plus tôt dans mon parcours si la possibilité m’avait été offerte mais aucune spécialisation en droit du sport n’existait dans l’université où j’étais étudiant, ni dans aucune autre université francophone en Belgique.
Tu travailles désormais à la Fédération Belge de Football en tant que juriste, peux-tu présenter la structure brièvement ?
La RBFA est la fédération responsable de l’organisation, du développement et de la promotion du football en Belgique. La RBFA se compose de 4.000 clubs, presque 500.000 joueurs, près de 30.000 entraîneurs et plus de 5.000 arbitres.
Sur le plan organisationnel, la RBFA doit tenir compte des spécificités de la Belgique, et notamment du fait que ses citoyens parlent principalement deux langues : le français et le néerlandais. Par conséquent, la RBFA est composée des trois entités suivantes :
- La Pro League, dont les clubs participent aux compétitions professionnelles (divisions 1A et 1B) ;
- L’Association des Clubs Francophones de Football (ACFF) qui est l’aile francophone du football amateur ;
- Voetbal Vlaanderen (VV) qui est l’aile néerlandophone du football amateur.
Quelles sont les compétences attendues pour exercer ta profession?
De manière générale, les compétences requises pour exercer ma profession sont les mêmes que celles que l’on attend d’un bon juriste en entreprise. Rigueur, flexibilité, discipline, esprit d’équipe et connaissance approfondie du droit. L’exercice du droit du sport nécessite toutefois d’autres compétences, ou plutôt qualités, qui lui sont propres, comme une profonde affinité avec le sport, le fair-play, le respect d’autrui et l’envie d’aller toujours plus loin.
Quelles sont tes principales missions à ce poste ?
Mes missions en tant que conseiller juridique à la RBFA sont variées, mais si je dois décrire mes missions principales, ce seraient les suivantes.
Je suis en charge de la gestion du Règlement Fédéral de la RBFA, ce qui implique sa modification lorsque des changements ou de nouveaux articles sont adoptés, mais également de vérifier que les propositions de changement ne posent pas de problèmes compte tenu des autres règles qui y figurent déjà.
Je suis par ailleurs membre du Clearing Departement qui est le département qui veille au respect des règles concernant les intermédiaires (agents de joueur) qui sont contenues dans le règlement susvisé.
Enfin, j’assiste les départements de la RBFA et les ailes dans l’application du Règlement Fédéral, mais également d’un point de vue juridique général. Je participe donc à la rédaction de contrats, je réalise des recherches sur des questions juridiques, j’ai des contacts avec la FIFA et l’UEFA sur l’application de leurs règlements, etc.
Tes missions de juriste diffèrent-elles beaucoup en temps de crise sanitaire ?
Il m’est difficile de répondre à cette question étant donné que je n’ai exercé ma fonction qu’en temps de crise sanitaire. J’ai en effet rejoint la RBFA fin mars 2020, alors que le premier confinement venait de débuter en Belgique. Je ne peux donc pas comparer mon activité actuelle à celle que j’aurais eu en temps normal, puisque cela n’a jusqu’à présent jamais été le cas. Je pense néanmoins pouvoir dire que la crise n’a pas diminué la charge de travail, mais qu’elle a assurément eu un impact sur les sujets traités. Ainsi, le Règlement Fédéral de la RBFA a dû être modifié à plusieurs reprises pour tenir compte de l’impact de la crise sur le football belge, ce qui n’aurait pas été le cas en temps normal. Par ailleurs, certaines questions juridiques que j’ai pu traiter étaient une conséquence directe de la crise sanitaire. Je pense par exemple aux questions portant sur la notion de force majeure.
A ce propos, comment la RBFA gère-t-elle le COVID 19 pour le football belge?
La RBFA, comme toutes les autres fédérations de football dans le monde, a dû faire face à la crise du coronavirus, et prendre les décisions qui s’imposaient, tant pour la santé de ses affiliés que pour l’intégrité de la compétition. Pour se faire, une cellule de crise à part entière a été constituée en son sein. Cette cellule de crise est composée de représentants de toutes les entités du football belge (RBFA, Pro League, ACFF et VV) pour que les décisions prises soient les plus représentatives de l’avis global des premiers concernés, les affiliés.
Toi qui a été avocat et qui est maintenant juriste, quelles différences fondamentales y a t-il entre les deux fonctions?
Une des différences fondamentales entre les deux fonctions est l’obligation en tant que juriste de travailler au quotidien avec des personnes qui ne le sont pas. Il est donc important pour un juriste qu’il puisse communiquer de manière simple et compréhensible à propos de points juridiques qui sont parfois complexes. Le juriste doit également s’adapter à son organisation et à ses particularités. Enfin, le juriste fait partie d’une structure qui a des objectifs à court terme comme à long terme, ce qui permet de se projeter plus en avant et de faire partie intégrante d’un véritable projet, là où l’avocat traite ses dossiers au cas par cas.
En quoi ton activité de juriste à la RBFA te plait-elle?
Ce qui est agréable, c’est d’être actif dans le monde du sport, et plus particulièrement du football. En étant juriste à la RBFA, je suis véritablement au cœur du football belge, et j’ai l’opportunité de mettre à contribution mes compétences dans le but de rendre le football belge meilleur qu’il ne l’est déjà. Pour ne rien gâcher, mes missions sont variées et je fais partie d’une excellente équipe dans laquelle l’ambiance est au beau fixe.
As-tu un plan de carrière spécifique, souhaites-tu continuer à la RBFA ?
Je n’ai pas de plan de carrière spécifique à ce stade. Je suis heureux de ma situation actuelle à la RBFA, et je n’ai pas l’intention de partir. J’essaye de me former autant que possible et de profiter de la chance qui m’est offerte de faire partie du monde du football.
Comment la Fédération Belge de Football et notamment au niveau juridique, aborde-t-elle l’évolution de l’E-sport ?
Je n’ai jusqu’à présent pas eu l’occasion de m’occuper de l’E-Sport. Je ne peux donc pas fournir de réponse étayée. Je suis néanmoins convaincu que c’est une discipline d’avenir, qui ne va pas s’arrêter de grandir. La RBFA a d’ailleurs déjà désigné des joueurs qui participent à des compétitions en son nom comme représentants officiels de la Belgique. Nul doute que dans les prochaines années, l’E-sport va continuer à gagner en popularité, d’autant plus si la crise se poursuit et qu’on ne peut pas aller jouer en vrai !
La création de la Clearing House/Chambre de compensation , qui encadre le rôle des agents, par l’Union belge est une belle avancée. Pourtant, le milieu continue à fonctionner de la même façon, notamment depuis les révélations Football Leaks. Comment la RBFA aborde cela ? A titre personnel, quelles sont les solutions pour toi pour « nettoyer le milieu »?
La RBFA a évidemment conscience des dérives qui existent dans le monde du football, et notamment dans le milieu des intermédiaires. Depuis juillet 2020, la RBFA a mis en place le Clearing Departement pour renforcer les contrôles sur les activités des intermédiaires et pour tenter, compte tenu de ses moyens, de limiter au maximum les dérives. Cela fonctionne d’ailleurs plutôt bien. Si l’on veut néanmoins résoudre tous les problèmes liés aux activités des intermédiaires, l’initiative doit être européenne, voire mondiale. Une réponse nationale ne sera jamais suffisante étant donné que le football professionnel transcende les frontières. Les autorités publiques doivent par ailleurs être impliquées, car elles seules ont les compétences et les pouvoirs nécessaires pour fournir des solutions adéquates. Espérons que le futur règlement de la FIFA sur les intermédiaires constituera une nouvelle étape positive dans la lutte contre les dérives.
Quel regard portes-tu sur la mise en place de la Chambre Nationale pour la Discrimination et le Racisme de la part de la RBFA?
C’est une excellente initiative et je suis fier d’y avoir participé. La discrimination et le racisme sont des fléaux qui n’ont pas leur place dans le football. Grâce à son nouveau plan d’action, et notamment à la Chambre Nationale pour la Discrimination et le Racisme, la RBFA entend lutter activement contre la discrimination et le racisme à tous les niveaux du football belge. Cette Chambre sera composée non seulement de juristes, mais aussi d’experts dans la lutte contre la discrimination, et elle traitera tous les problèmes de discrimination identifiés dans le cadre du football amateur et du football professionnel. L’objectif du plan d’action est clair : faire disparaitre autant que possible la discrimination et le racisme du secteur du football.
Enfin, comment est-ce que tu le sens pour les « diables rouges » à l’Euro 2021?
Très bien, évidemment ! On a une superbe équipe, pleine de talents. Je pense que nous avons toutes nos chances d’aller loin dans le tournoi et qui sait, de le gagner ? Ce serait, à mon humble avis, amplement mérité pour les joueurs de l’équipe. Come on Belgium !
Note de l’auteur : Les opinions et réponses formulées dans le cadre de la présente interview ne concernent qu’Antoine Nokerman et lui seul. Elles ne peuvent en aucun cas être attribuées à une autre personne ou organisation, dont la RBFA.