Propositions pour mieux prévenir le séparatisme et la radicalisation islamiste dans le sport
I. Un état des lieux contrasté
1.1. De multiples rapports et outils pédagogiques, mais un discours public peu cohérent
Si de nombreux documents officiels existent déjà au titre de la laïcité, de la lutte contre la radicalisation ou de la protection des droits de l’homme, on constate qu’ils s’entrecroisent, sont de tonalité très variable et portent des visions différentes. Ainsi le guide « Laïcité et fait religieux dans le champ du sport » édité en mai 2019 par le ministère des sports indique que «les bénévoles des clubs qui n’exercent pas de mission de service public ne peuvent être soumis au principe de neutralité », pas plus que les collaborateurs occasionnels du service public ».
Pour sa part, le rapport documenté établi par la sénatrice Eustache-Brinio sur la radicalisation islamiste en juillet 2020 dénonce « l’absence d’approche homogène face au séparatisme communautaire et à l’incursion du religieux dans le sport », et s’inquiète de ce que « au nom du sport inclusif, le ministère des sports accepterait des compromis au regard des valeurs de la République, dans lequel s’engouffrerait le séparatisme ».
1.2. Une vision parfois idéalisée du sport
La vision du sport comme outil d’intégration, permettant de dépasser les différences et de constituer un rempart contre le séparatisme (mythe « black, blanc, beur ») peut en effet conduire à une forme de déni. Elle occulte le fait que le sport de compétition véhicule aussi une vision antagoniste fondamentale (« nous contre eux », ou « moi contre mon adversaire »). La compétition sportive peut ainsi favoriser la posture identitaire et l’entre soi (le club, la commune, la région, la nation, mais aussi le groupe ethnique ou religieux). L’exploitation malveillante de ces aspects peut ouvrir la voie à certaines dérives séparatistes. Les plus exposés au risque de radicalisation sont les sports d’équipe et de combat, la musculation, le football ou le tir sportif.
1.3. Des mesures de détection et de prévention contestées par certains
La mission de détecter et signaler les « signaux faibles » de radicalisation qui est confiée plus ou moins explicitement aux enseignants, aux travailleurs sociaux ou aux éducateurs sportifs est contestée par certains. Ainsi la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’inquiète pour les travailleurs sociaux qui seraient soumis à « une injonction au renseignement », et dénonce une dérive sécuritaire des pouvoirs publics.
Le gouvernement n’en a pas moins mis en place le site « Stop-djihadisme », doté d’un numéro vert pour faciliter les signalements, avec le slogan « signaler, c’est sauver ».
II. Quelques propositions d’amélioration
2.1- Mettre en œuvre les diverses propositions formulées dans les rapports parlementaires
a) Déconcentrer la procédure d’agrément des associations sportives
Cette procédure a été transférée aux fédérations sportives en 2015 avec l’ordonnance n° 2015-904 du 23 juillet portant simplification du régime des associations. Désormais, selon l’art. L 121-4 du code du sport , « l’affiliation d’une association sportive à une fédérations sportives agréée vaut agrément ». Ce sont donc les fédérations qui sont chargées de contrôler a priori le bon fonctionnement des clubs et le respect des règles fixées par le code du sport. La réalité de ce contrôle est mal connue. On note toutefois que le retrait de l’agrément reste de la compétence du préfet de département, en application du code du sport qui en énumère les motifs (art. R. 121-5). L’asymétrie actuelle pourrait être revue, et le préfet pourrait retrouver la capacité de délivrer l’agrément J et S au plan local, nonobstant l’affiliation de l’association à une fédération agréée. Il disposerait ainsi d’un pouvoir de contrôle a priori permettant de prévenir d’éventuelles dérives . Cette mesure pose toutefois la question pratique des effectifs des agents relevant du ministère J . et S. restant à la disposition du préfet.
b) Renforcer le contrôle des établissements d’activités physiques et sportives et des éducateurs sportifs.
Les structures sportives identifiées comme favorisant la radicalisation devraient se voir retirer toute aide publique. A noter que l’essentiel du financement étatique du sport transite désormais par l’Agence nationale du sport et les fédérations sportives qui ont établi une convention avec elle, et non plus par le CNDS, ce qui peut constituer un point de vulnérabilité.
Les éducateurs sportifs professionnels mais aussi bénévoles devraient également être mieux contrôlés, et des enquêtes administratives pourraient être réalisées le cas échéant par le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) à la demande du préfet. L’effectivité de cette mesure suppose aussi un renforcement des effectifs d’agents du ministère J. et S. mis à la disposition des préfets, et une meilleure collaboration entre les différents services.
c) Nommer dans chaque fédération un référent « radicalisation et citoyenneté ».
Actuellement, moins de la moitié des fédérations sportives a mis en place un tel référent, mais il est vrai que certains sports sont plus exposés que d’autres. La généralisation de ces référents soulève toutefois des questions quant aux moyens humains, au statut de ces personnes et à leur formation.
d) Elaborer un code de déontologie des éducateurs sportifs.
Un tel outil, qui viendrait en complément du guide sur la laïcité dans le sport édité par le ministère des sports, aurait l’intérêt de contribuer plus largement à la prévention de toutes les dérives auquel un éducateur sportif est susceptible de céder (notamment la commission d’agressions sexuelles dont l’ampleur dans le sport est aujourd’hui révélée). Le rappel du principe de neutralité, la mise en garde contre toute forme de prosélytisme et la vigilance à l’égard des signes de radicalisation des pratiquants y prendraient place.
e) Introduire dans les statuts de chaque fédération sportive l’interdiction de toute démonstration ou propagande politique, religieuse ou raciale, telle que prévue par l’article 50 de la Charte olympique.
On doit noter que ces dispositions de la Charte olympique sont actuellement contestées par certains athlètes internationaux, qui revendiquent un droit à la libre expression, notamment lors des grandes manifestations sportives. Le président du CIO a toutefois fait savoir récemment qu’il n’envisageait pas d’abolir ces dispositions.
Si les dispositions de l’article 50 de la Charte olympique devaient figurer parmi les mesures obligatoires à inscrire dans les statuts des fédérations sportives agréées, une modification du code du sport serait nécessaire, notamment l’article R131-3 et l’annexe I-5. Mais ces dispositions devraient plutôt être reprises dans la charte d’éthique et de déontologie du sport français élaborée par le CNOSF en 2012, et qui mérite d’être largement revue.
2.2. Autres propositions
Réformer la charte d’éthique et de déontologie du CNOSF
La loi n° 2017-261 du 1er mars 2017 a introduit dans le code du sport une disposition qui impose au fédérations délégataires d’établir une charte d’éthique et de déontologie conforme aux principes définis par la charte édictée par le CNOSF (code du sport, art. L131-15-1 et L141-3).
Selon le rapport d’information remis par les députés Juanico et Roussel en juillet 2020, toutes les fédérations concernées n’ont pas respecté cette obligation. Ils notent de surcroît que le manquement à cette obligation n’est sanctionné par aucun texte, et proposent pour y remédier « d’instaurer une échelle graduée de sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de la délégation de l’État à l’encontre des fédérations défaillantes ».
On saisit mal pourquoi le législateur a imposé aux seules fédérations délégataires d’établir une charte d’éthique et de déontologie, et d’instaurer en leur sein un comité chargé de veiller à son application. Ces obligations devraient logiquement s’étendre à l’ensemble des fédérations agréées et non aux seules délégataires, dès lors qu’elles participent toutes à une mission de service public, et que certaines contraintes leur sont déjà imposées à ce titre, notamment quant aux dispositions obligatoires que leurs statuts doivent comporter (code du sport, art. R131-3 à R131-10).
De surcroît, la charte d’éthique et de déontologie adoptée par le CNOSF en mai 2012 et qui doit servir de modèle aux chartes que les fédérations délégataires sont tenues d’établir n’est en fait qu’un document regroupant 16 « principes » généraux qui s’appliquent à l’ensemble des acteurs du sport, et qui ne sont guère contraignants pour les organisations sportives. Aucun de ces principes ne prohibe le prosélytisme religieux, et n’évoque a fortiori la prévention de la radicalisation.
Le projet de loi en cours visant à conforter les principes républicains constituerait une opportunité pour inciter le CNOSF à moderniser cette charte, et pour étendre son adoption à l’ensemble des fédérations agréées. Ce processus de modernisation serait engagé sous l’égide du ministère chargé des sports, d’où une modification de l’article L. 141-3 du code du sport qui dispose que « Le Comité national olympique et sportif français veille au respect de la déontologie du sport définie dans une charte établie par lui ».
L’Agence nationale du sport, qui est devenue une instance essentielle dans la gouvernance et la gestion du sport de haut niveau comme du sport pour tous, et qui est depuis 2019 le principal répartiteur du financement public du sport, ne saurait rester à l’écart de la lutte contre le séparatisme et la radicalisation. La convention d’objectifs qui doit être conclue entre elle et l’État au terme de l’article L112-10 du code du sport, et qui n’est toujours pas établie, devrait comporter une référence à l’égard de cet objectif d’ordre public. L’Agence devrait en outre adopter une charte d’éthique ou un code de déontologie incluant une référence à la laïcité et à la prévention du séparatisme.
Enfin, la question du port des signes religieux dans le milieu sportif s’avère complexe. Ainsi la fédération française de football a réitéré son refus d’autoriser les joueuses à porter le voile dans le cadre des sélections des compétitions nationales qu’elle organise, et elle a inscrit dans ses statuts que « Tout discours, manifestation ou affichage à caractère politique, syndical ou confessionnel est interdit à l’occasion des matchs » (art. 1.1), mais sa position semble isolée. A l’inverse, la Fédération internationale de football (FIFA) a considéré en 2011 que le foulard islamique (hijab) «n’est pas un signe religieux mais un signe culturel», et a décidé en juillet 2012 d’autoriser le port du voile islamique et du turban par les joueuses et joueurs de football en compétition officielle. Elle a été suivie par un certain nombre de fédérations internationales.
Il en ressort que les fédérations nationales doivent se plier aux règles de la fédération internationale dans le cadre d’une compétition internationale organisée dans leur pays, mais elles peuvent s’y opposer si une réglementation nationale le permet. Ce point d’insécurité juridique devrait être éclairci, notamment dans la perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
En conclusion, un nombre appréciable de documents et de mesures existent déjà au niveau national, sans que pour autant la cohérence de l’ensemble soit évidente. La modification de certaines dispositions législatives et réglementaires du code du sport serait de nature à combler des lacunes, et à renforcer l’efficacité du dispositif. L’implication du mouvement sportif et son acceptation sont indispensables, ce qui suppose un effort préalable de clarification, d’échange et de persuasion de la part des pouvoirs publics.
1 . Guide « Laïcité et fait religieux dans le champ du sport », mai 2019, ministère des sports, fiche 4, p. 24-25
2. Rapport des sénatrices Delattre et Eustache-Brinio : «Radicalisation islamiste : faire face et lutter ensemble », tome I, chap. III , « le sport, parent pauvre de la lutte contre le séparatisme », p. 182 et sq, Sénat n° 595, juillet 2020
3. Avis de la CNCDH publié au JO du 1er avril 2018, qui recommande par ailleurs l’abrogation du délit de consultation répétée de sites djihadistes, sanctionné à l’article 421-2-5-2 du code pénal. Cet article a été déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 15 déc. 2017
4. Cf. rapport de la mission d’information sur la radicalisation dans les services publics, députés Poulliat et Diard, juin 2019.
5. Sous réserve d’avoir adopté un projet sportif fédéral et établi une convention d’objectif avec l’ANS, les fédérations sportives ont désormais la capacité de répartir les dotations de fonds publics à leurs échelons régionaux et départementaux et aux clubs qui leurs sont affiliés
6. Cf. rapport Eustache-Brinio précité, mesure 44
7. Rapport d’information n° 3229 présenté par les députés R. Juanico et C . Roussel sur l’évaluation de la loi n° 2017-261 du 1er mars visant à préserver l’éthique du sport, juillet 2020, proposition n° 2
8. La FIBA (basket) a ainsi autorisé le port du voile à compter du 1er octobre 2017., tandis que la fédération mondiale de karaté a accepté le port du voile sur les tatamis en 2013. Lors des JO de Londres en 2012, l’IAAF a toléré qu’une athlète d’Arabie saoudite se présente voilée, aucune règle n’interdisant le port du voile. De même, sans autoriser officiellement le port du hijab, la Fédération internationale de judo a aussi autorisé une judokate saoudienne à porter un bonnet, et non un foulard, pour des raisons de sécurité. Enfin, en beach-volley, les filles ne sont plus tenues de concourir en bikini depuis 2012.
Source photo : Le Parisien