Rupture anticipée du CDD : oubliez la prise d’acte et la démission

par | 27, Sep, 2020

Cour de cassation, Chambre sociale, 3 juin 2020, n°18-13.628 :

Dans un récent arrêt du 3 juin 2020, la Cour de cassation rappelle avec fermeté les différentes modalités permettant de mettre un terme au contrat de travail à durée déterminée. Notons que la présente solution s’applique également au CDD spécifique, institué par la loi du 27 novembre 2015 et destiné aux entraîneurs et sportifs professionnels. Jurisportiva s’est penché sur ladite jurisprudence.

Les faits ne présentaient aucune complexité mais faisaient appel à une chronologie importante : un joueur de volley-ball était lié avec un club professionnel par un contrat à durée déterminée, s’étendant de septembre 2011 à juin 2014. Le 21 mars 2013, il saisit la juridiction prud’homale afin d’obtenir la résiliation anticipée de son contrat de travail, aux torts de son employeur, ainsi que le paiement de dommages et intérêts. Le 17 mai suivant, il signe un contrat de travail avec un autre club professionnel. Finalement, le 27 mai 2013, il « prend acte » de la rupture de son premier contrat de travail.

La Cour d’appel de Nancy, dans son arrêt du 17 janvier 2018, prononce effectivement la rupture du CDD aux torts de l’employeur, en date du 27 mai 2013, et le condamne au paiement de dommages et intérêts. Le club-employeur forme alors un pourvoi en cassation.

Rappelant tout d’abord l’article L.1243-1 al 1 du code du travail, disposant que « sauf accord des parties, le contrat à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail », le club reproche aux juges du fond d’avoir retenu la date du 27 mai 2013 pour la rupture du CDD, alors même que le joueur avait signé un nouveau contrat de travail dès le 17 mai. Selon le club, ce nouvel engagement démontrait déjà la volonté du salarié de mettre fin de manière anticipée à son premier contrat de travail. En « démissionnant » de la sorte, sans se prévaloir d’une des causes de rupture anticipée mentionnées précédemment, il aurait commis un manquement grave à ses obligations. La « prise d’acte », intervenant 10 jours plus tard, serait alors inopérante et n’aurait pas dû être prise en compte par la Cour d’appel.

Par un arrêt du 3 juin 2020, la Chambre sociale de la Cour de cassation vient donner raison aux juges du fond. Relevant que le joueur avait saisi la juridiction prud’homale dès le 21 mars 2013 en vue de résilier son contrat de travail, sa décision de s’engager avec un autre club, le 17 mai 2013, ne pouvait être considérée comme « la manifestation d’une volonté claire et non-équivoque de rompre le contrat de travail ».

S’attardant in fine sur les éléments factuels, la Haute-juridiction approuve les juges du fond d’avoir caractérisé en l’espèce une faute grave de l’employeur, constituée par les manquements qu’invoquait le salarié. La rupture anticipée du salariée, fondée sur l’article L.1243-1 du code du travail, était donc parfaitement recevable. Cependant, la Cour précise que cette rupture anticipée ne saurait être qualifiée de « prise d’acte », comme l’avait fait la Cour d’appel.

I/ L’exclusion implicite d’une « démission »

Le premier rappel de l’arrêt trouve sa source dans le pourvoi formé par le club. Celui-ci soutenait que le joueur, en signant un nouveau contrat de travail, avait « démissionné » du contrat initial. Or, la « démission » ne concerne que la rupture d’un CDI, et non d’un CDD ! La Cour de cassation veille donc à ne pas reprendre ce terme dans sa solution, mais utilise l’expression « manifestation par le salarié d’une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail ». Si cette expression sert habituellement à définir la démission dans un CDI (voir par ex. Cass, Chambre sociale, 9 mai 2007, 05-40.518), la Haute-juridiction l’avait déjà utilisée concernant la rupture, d’un commun accord, d’un CDD (voir en ce sens : Cass. soc., 21 mars 1996, n° 93-40192).

Les juges estiment en l’espèce que l’engagement avec un autre club, parce qu’il était précédé d’une saisine de la juridiction prud’homale, ne pouvait pas être considéré comme une volonté non-équivoque. Le fait que le joueur ait agit en justice dès le mois de mars, en reprochant des manquements à son employeur, rendait équivoque sa volonté de rompre effectivement son CDD. Autrement dit, le salarié était « contraint » de rompre son contrat, sa volonté étant guidée par des éléments extérieurs. A la date du 17 mai 2013, selon la Cour régulatrice, le contrat de travail initial n’est donc toujours pas rompu.

II/ La mise à l’écart explicite de la « prise d’acte»

Si la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir placé la date de la rupture au 27 mai 2013, elle leur reproche cependant d’avoir improprement qualifiée de « prise d’acte » cette rupture anticipée du salarié. Consacrée par la jurisprudence, « la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail » (voir Cass, Chambre sociale, 26 mars 2014, 12-12634).

Si la doctrine diverge quant aux contrats concernés par ce mode de rupture, la Cour de cassation semble se ranger au côté des auteurs opposés à l’application de la prise d’acte en CDD. Parmi eux, Mme Claude Roy-Loustaunau affirme notamment qu’ « il n’y a pas de place pour une transposition « artificielle » du droit commun de la prise d’acte du salarié sous CDI au contrat à durée déterminée », « la résiliation unilatérale [étant] étrangère à la nature même du contrat à durée déterminée »[1]. Le professeur David Jacotot indiquait également que « la prise d’acte d’un contrat précaire ne saurait emporter les effets d’un licenciement non causé ou d’une démission, mécanismes propres au CDI » [2].

D’autres auteurs cherchent cependant à concilier la prise d’acte et le CDD. Le professeur Dirk Baugard analysait que « Si, en effet, la prise d’acte est définie par « l’émanation de la volonté du salarié de mettre fin au contrat en raison des faits qu’il reproche à l’employeur », et si sa « singularité […] provient de ce qu’elle est un mode de rupture, doublé d’une prétention de droit » (l’intervention du juge étant « nécessaire pour que soient déterminés ses effets »)[3], il nous semble que la notion peut trouver application en la matière chaque fois que le salarié ne se contente pas de rompre le CDD, mais impute la responsabilité de sa rupture à l’employeur afin d’être indemnisé »[4].

Il reste que, malgré les divergences doctrinales et la position ferme de la Cour de cassation, il existe une forte ressemblance entre la prise d’acte, applicable seulement au CDI, et la rupture anticipée du CDD pour faute grave. Les deux mécanismes supposent notamment de prouver une faute de l’employeur (nécessairement grave pour la rupture anticipée, et suffisamment grave pour la prise d’acte).

En pratique, le fait est que les deux mécanismes n’auront pas les mêmes conséquences pour le salarié. L’article 1243-1 du Code du travail lui confère uniquement le droit de rompre de manière anticipée son contrat de travail à durée déterminée en cas de faute grave de l’employeur. Mais, il ne prévoit pas d’indemnisation à son profit. La prise d’acte, quant à elle, permet au salarié de rompre le contrat suite à une faute suffisamment grave de l’employeur et d’obtenir une indemnisation (la rupture ayant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse). Autrement dit, là où la prise d’acte revêt des fonctions libératoire et indemnitaire, le droit de rupture unilatéral conféré par l’article L1243-1 ne remplit que la fonction libératoire.

Si la Cour de cassation avait pris parti pour une adaptation de la prise d’acte au régime du CDD, on aurait pu envisager que le salarié soit indemnisé d’une somme au moins égale aux salaires qu’il aurait dû percevoir si son contrat avait été jusqu’à son terme (par analogie à la solution prévue à l’article L1243-4 du Code du travail lorsque la rupture du CDD intervient à la seule initiative de l’employeur).

En raison de la mise à l’écart de la prise d’acte, il reste alors au salarié la possibilité de recourir au droit commun et à l’article 1217 du Code civil pour tenter d’obtenir une indemnisation. Ce dernier prévoit en effet que « La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut […] provoquer la résolution du contrat » et que « des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter ». S’il veut obtenir des dommages-intérêts, le salarié victime de la faute grave de son employeur devra alors prouver qu’il a subi un préjudice. Malheureusement, cette tâche pourra s’avérer délicate en pratique, notamment au regard de la caractérisation des préjudices et de leur évaluation.

[1] Dr. soc. 2008. 601, obs. C. Roy-Loustaunau (obs. ss Soc. 30 mai 2007, n° 06-41.240).

[2] D. Jacotot, « La prise d’acte de la rupture d’un contrat à durée déterminée », RDT 2008. 448 (à propos de Soc. 9 avr. 2008, n° 06-46.003 D).

[3] F. Géa, « Quelle est la nature juridique de la prise d’acte ? », RDT 2009. 688

[4] De la rupture anticipée du CDD à l’initiative du salarié – Dirk Baugard – Rev. trav. 2020. 467

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