Je vous propose de découvrir ci-dessous le quotidien de Jonathan Laugel, joueur professionnel de l’Equipe de France de Rugby à 7 et ancien business analyste chez Capgemini. Je tiens à le remercier vivement de m’avoir accordé cette interview pleine de sincérité, dans laquelle il revient notamment sur son expérience, ses prochains objectifs avec le 7 de France mais également sur sa future reconversion.
Joueur professionnel de Rugby à 7 en Equipe de France depuis 2013, Jonathan Laugel est en parallèle de sa carrière, titulaire d’un diplôme en management à Grenoble. Le joueur, formé à Enghien les Bains et passé par le Racing Metro, a par exemple, participé aux Jeux Olympiques de Rio en 2016. Auréolé notamment d’un double titre de Champion d’Europe en 2014 et 2015 au rugby à 7. Je vous laisse découvrir l’interview en toute simplicité du natif de Montmorency de 27 ans.
« L’idée que le rugby est avant tout un moyen d’atteindre un état supérieur d’accomplissement et de réalisation personnelle, est pour moi une des clés de mon épanouissement »
Bonjour Jonathan. Pour commencer, peux-tu nous expliquer pourquoi le rugby ?
A la base, j’ai commencé par le karaté, avant de me tourner vers le judo et le basket. J’ai vraiment découvert le rugby alors que je m’entrainais encore au judo dans le dojo. Je commençais un peu à m’ennuyer dans ce sport, je me sentais trop enfermé. Sentant que j’avais encore de l’énergie à revendre, mon père m’a proposé de venir m’entraîner à Bagatelle à Paris avec son équipe de rugby entreprise. Et là, ce fût la révélation ! De grands espaces, l’air frais et l’esprit d’équipe. Depuis ce jour, je n’ai jamais quitté le rugby. J’ai ainsi joué jusqu’à mes 15 ans dans un petit club du nord-ouest parisien à Enghien-les-Bains (ndlr, son club d’enfance s’appelle l’OGEM) avant de rejoindre le Racing 92. Lorsque j’avais 17 ans j’ai découvert le Rugby à 7 à l’occasion d’un tournoi régional avec l’Equipe d’Ile de France. C’était pour moi mes premiers pas dans cette discipline. Rapidement après ce tournoi, l’entraîneur à l’époque de l’Equipe de France de Rugby à 7, Frédéric Pomarel m’a contacté et m’a proposé de venir m’entraîner avec eux. Puis il m’a offert l’opportunité de jouer un Championnat européen et mondial. Après avoir goûté à l’intensité du 7 et au charme de ce jeu, j’ai décidé d’orienter ma carrière vers ce sport en signant un premier contrat professionnel. Puis un second et enfin un troisième qui prendra fin en septembre 2021.
Dans toute cette aventure qui m’a mené jusqu’au haut-niveau dans le rugby, ce qui est intéressant et assez atypique, c’est que mon cercle familial n’a aucun lien avec le rugby, ni même le sport de haut niveau. Je suis le premier de ma famille dans ce milieu. D’ailleurs pour tout dire, le rugby on en parle 5 minutes maximum à table aux repas de famille (rires). On prend surtout le temps de parler des voyages que j’ai fait avec l’équipe, les rencontres, les découvertes… Ma famille m’a toujours soutenu et accompagné dans ma passion. Ce qui compte pour eux, c’est que je sois heureux dans ce que je fais, qu’importe la discipline. Cette idée que le rugby est avant tout un moyen d’atteindre un état supérieur d’accomplissement et de réalisation personnelle, est pour moi une des clés de mon épanouissement.
Te souviens-tu de ta première fois avec le ballon ovale ?
Je pense que je n’ai pas tout dit… Avant le karaté, j’avais fait un tout petit peu de rugby. Et quand je dis « un tout petit peu », je pèse mes mots (rires). Quand j’étais tout gamin, à l’âge de 4 ou 5 ans, mon père m’avait emmené sur les terrains de rugby de l’OGEM. Avec tous mes petits coéquipiers, nous devions faire un tour de terrain en guise d’échauffement. Je ne saurai pas te dire pourquoi, mais d’un coup d’un seul, après avoir fait un tour à toute vitesse, j’ai fondu en larmes dans les bras de mon père. A cette époque-là, je pensais avoir tourné la page du rugby. Finalement, j’y suis revenu quelques années après, dans le même club, et j’en fais aujourd’hui mon métier. Comme quoi, dans la vie, il ne faut jamais renoncer.
Beaucoup ne connaissent que le rugby à 15. Quelle est concrètement la particularité du rugby à 7?
Beaucoup me demandent si je joue au rugby à Sète, c’est assez perturbant. Ce n’est pas la première fois, je l’aurais accepté de ta part mais je suis content que tu aies fait la distinction (rires). Au niveau du jeu, comme tu dis, cela saute aux yeux : nous sommes 7, donc deux fois moins sur le terrain, ce qui implique plus de distance à couvrir, des passes plus longues, et des efforts plus intenses que dans le rugby à 15. Ce sont aussi des matchs plus courts car les matchs durent 14 min (ndlr, 2 mi-temps de 7 minutes). Les contacts sont eux aussi moins réguliers et les impacts moins forts, bien que parfois, ça pique un peu quand même (rires).
Au niveau des compétitions, c’est un format spécial. C’est-à-dire que cela fonctionne sous la forme d’un championnat mondial. Les équipes qui composent ce championnat sont des sélections nationales. Il n’y a pas de clubs en rugby à 7. L’Equipe de France participe donc à ce championnat mondial, long de 10 étapes entre début décembre et juin. Aujourd’hui, les meilleurs du championnat sont Fidjiens et Néo-Zélandais. La France n’est pas mal non plus, nous étions dans le top 6 avant l’arrêt du championnat lié au COVID19. Au niveau juridique, nous sommes contractualisés avec la Fédération Française de Rugby en tant que joueurs de l’Equipe de France de Rugby à 7. Il faut savoir que nous sommes une bonne quinzaine de joueurs à avoir un contrat « fédéral », mais cela ne veut pas pour autant dire que chacun est systématiquement sélectionné parmi les 12 joueurs qui partent jouer les étapes du championnat mondial. Le sélectionneur se réserve le droit de choisir des joueurs de rugby à 15. Au global, une cinquantaine de joueurs, 7 et 15 confondus, sont potentiellement sélectionnables.
Quel est ton style de jeu ?
Mon objectif est d’être performant dans le secteur aérien. C’est un secteur que j’apprécie tout particulièrement et qui a toute son importance dans le rugby à 7. En moyenne, il y a un essai toutes les 1 minute 30, ce qui implique une dizaine de coups d’envoi par match. C’est énorme, car si tu récupères tous ces coups d’envois, tu as la possession du ballon. Et au rugby à 7, on sait très bien que c’est celui qui possède le ballon qui l’emporte
Quelles sont les valeurs que le rugby t’a inculquées ?
Je dirais, la solidarité et la résilience. Sur un terrain de rugby, on n’est rien sans les autres. Il nous faut se servir des forces de chacun, compléter nos faiblesses, jouer avec les points forts des uns et des autres, mais aussi être résilient. Ce que j’entends par « résilient », c’est la capacité d’un joueur à accepter ses points forts et points faibles. Par exemple, si je sais que j’ai à côté de moi un coéquipier qui est très rapide, vif, et qu’il a des crochets dévastateurs, je dois tout faire pour valoriser ceux-ci. Dit autrement, je ne dois pas essayer à mon tour de faire ce qu’il fait très bien. Je me dois de lui faire la passe afin qu’il puisse exprimer le meilleur lui, de sa capacité, et de ses compétences. C’est comme ça que cela sera bénéfique à l’ensemble du groupe, si chacun connaît les points forts de l’autre et sait les utiliser à bon escient. Bien sûr, cela ne veut pas dire que je ne suis pas capable d’accélérer, faire des crochets etc. mais je dois être lucide par rapport à mes capacités et celles de mon voisin. En retour, mes coéquipiers ont le même attendu sur les aspects pour lesquels je suis un leader et pour lesquels je me démarque, dans l’aérien par exemple. Un collectif n’est réellement fort que s’il se connait et si chacun dans l’effectif joue pour l’autre. C’est vraiment ce qui m’a marqué dans le rugby et je pense que ça vaut dans la vie également.
Quelle est ta plus grande fierté dans ta carrière jusqu’à présent ?
Les Jeux Olympiques de Rio en 2016, c’est le meilleur moment de ma carrière jusqu’à présent. C’est un accomplissement car on s’entraîne comme des « fous » pendant 4 ans, il y a une grosse débauche d’énergie physique, mais aussi émotionnelle, car il faut savoir que c’est beaucoup de pression que de préparer un tel événement, tu n’as jamais le droit à l’erreur. Tant que tu ne mets pas un pied sur le terrain, tu n’es pas considéré comme un olympien. Il y a donc cette pression constante qui était sur mes épaules, celle de rester performant pour faire partie de l’équipe des 12 qui s’est envolée à Rio, mais aussi celle de se blesser. Mais si je devais retenir un seul moment durant ces JO, c’est l’attente dans le tunnel quelques secondes avant de rentrer sur le terrain. L’équipe adverse est à nos côtés, la pression monte, le stade est plein à craquer. A ce moment-là, j’ai aussi ressenti la fierté de représenter mon pays au niveau mondial, qui plus est devant ma famille, dans les tribunes. Le décompte est lancé, 5 – 4 – 3 – 2 – 1, c’est parti ! Quel plaisir. Je reconnais quand même que j’aurais bien aimé dire que la médaille d’or fut mon meilleur souvenir. Ce n’est pas le cas car nous avons échoué en quart de finale. Je te donne rendez-vous après les JO de Tokyo 2021 pour refaire cette interview, je suis sûr que nous parviendrons à faire de ce rêve d’une médaille d’or une réalité.
A contrario, y a t-il un moment que tu préférerais oublier ?
A l’inverse, le moment le plus « blasant » est aussi associé à ce moment de bonheur. A l’occasion des Jeux Olympiques de Rio en 2016, nous avons chuté contre une superbe équipe japonaise. J’ai beaucoup de regrets car je suis convaincu que si nous avions joué à 100% de nos capacités, le match aurait été tout autre. Mais ils nous ont fait déjouer, ils ont mérité leur victoire et je leur tire mon chapeau.
Comment gères-tu ta carrière « business » en parallèle du rugby ?
Aujourd’hui, j’ai un contrat à durée déterminée (CDD) à 80% de mon temps de travail avec la Fédération Française de Rugby. J’ai également un CDD complémentaire de 20% qui est aujourd’hui vacant. J’ai travaillé un an et demi au sein du cabinet Capgemini, malheureusement avec le COVID19, cela s’est terminé. L’idéal pour moi est de rapidement retrouver une activité en complément de mon activité avec la FFR. Ce n’est pas une obligation, ni une nécessité financière, c’est plutôt une question d’équilibre. J’ai la volonté de préparer ma reconversion dès à présent, m’enrichir dans d’autres environnements, et relever des challenges différents. Au-delà même de la reconversion, mon objectif est d’avoir une continuité entre le monde du sport de haut niveau et la vie en entreprise. Je m’entraîne avec l’élite du rugby à 7 français, je suis entouré des meilleurs et c’est ce que je veux retrouver plus tard dans une entreprise. Un environnement exigeant, apprenant mais aussi « challengeant ». Par exemple, prendre la parole devant plus de 100 personnes en anglais dans un contexte professionnel et réussir à faire passer un message qui a du sens, être un leader sur des projets, montrer l’exemple, et inspirer les collaborateurs. Ce n’est peut-être pas aussi prenant qu’une qualification pour les JO ni même un match devant 55 000 personnes, mais je t’assure qu’à ce moment, je sens le poids des responsabilités et la pression qui va avec. Ce sont des sensations fortes que j’adore ressentir, que ce soit sur un terrain ou en entreprise.
Quels sont tes objectifs à l’avenir avec le 7 de France ?
Jouer Tokyo en 2021 et Paris 2024, puis les gagner évidemment (rires).
Pour finir qu’est-ce qu’on le peut te souhaiter ?
Un retour sur les terrains (ndlr, prévu fin juin), avec nos supporters dans les tribunes. J’ai hâte de reprendre la compétition de haut niveau et les sensations qui vont avec. Je suis aussi très excité de retrouver cet état d’esprit de partage et de bonheur qui règnent dans les tribunes des étapes du championnat mondial. Ressentir la joie et le bonheur de toutes ces personnes qui se rassemblent autour d’une passion commune, le rugby. Cela me manque !
Crédit photo : World Rugby