Le sport occupe une place centrale dans nos sociétés, incarnant non seulement un moyen de divertissement, mais aussi un vecteur de valeurs telles que l’équité, l’effort et la compétition loyale. Cependant, l’intégrité des compétitions sportives peut être menacée par des influences multiples exercées par des individus ou des entités sur plusieurs clubs ou équipes. Ces multi-influences peuvent altérer les résultats des compétitions, sapant ainsi la confiance du public et compromettant l’essence même du sport.
La prohibition des multi-influences vise à prévenir ces conflits d’intérêts en interdisant à toute personne ou entité de détenir une influence significative sur plusieurs sociétés sportives. Ce principe juridique, inscrit dans le Code du sport, est fondamental pour garantir l’incertitude des résultats, une composante essentielle qui maintient l’intérêt et l’engagement des spectateurs. En effet, sans la garantie d’une compétition équitable et imprévisible, le sport risque de se transformer en simple spectacle, perdant de son attrait et de sa crédibilité.
Avant 2004, la législation française interdisait à toute personne de détenir des titres dans une société sportive si cette personne détenait déjà des droits sociaux dans une société sportive de même spécialité. Cette règle, jugée trop restrictive, visait à éviter les conflits d’intérêts et à garantir une certaine indépendance entre les différentes entités sportives.
Cependant, la rigidité de cette interdiction a conduit à des critiques, notamment en raison de son impact sur les investissements et le développement des sociétés sportives. Pour répondre à ces préoccupations, la loi du 15 décembre 2004 a été promulguée, assouplissant les restrictions précédentes. Cette loi permet désormais la détention d’un ou plusieurs titres de sociétés sportives, à condition de ne pas exercer de contrôle sur ces sociétés.
Pour déterminer ce que signifie « contrôler » une société sportive, la loi renvoie à l’article L. 233-16 du Code de commerce. Selon cet article, le contrôle est défini par la détention de la majorité des droits de vote dans une société ou par l’influence dominante exercée sur les organes de gestion ou d’administration. Bien que cette définition permette une plus grande flexibilité par rapport à l’interdiction totale de 2004, elle a été considérée comme trop laxiste par certains observateurs, car elle n’empêchait pas complètement les situations de conflits d’intérêts potentiels.
En 2012, une nouvelle étape a été franchie avec l’adoption de l’article L. 122-7 du Code du sport. Cet article vise à trouver un équilibre entre les deux approches précédentes. Tout en maintenant la référence au concept de contrôle tel que défini par le Code de commerce, il introduit également la notion d’influence notable. Cette notion est plus restrictive et permet de mieux encadrer les situations où une personne pourrait avoir une influence significative sur les décisions d’une société sportive, même sans en détenir formellement le contrôle.
En 2017, une précision importante a été apportée par la loi du 1er mars. Cette loi stipule que les restrictions de l’article L. 122-7 du Code du sport ne s’appliquent pas aux sociétés sportives qui gèrent exclusivement des activités féminines ou des activités masculines. Cette dérogation reconnaît les particularités et les besoins distincts des organisations sportives en fonction du genre des équipes qu’elles gèrent, permettant ainsi une certaine flexibilité dans la gestion et la détention de titres pour ces entités.
Toutefois, il est crucial de noter que cette exception ne doit pas être utilisée pour justifier des flux financiers anormaux entre sociétés sportives masculines et féminines. En d’autres termes, bien que la loi permette une séparation des restrictions en fonction du genre des équipes, elle ne tolère pas les transferts financiers illégitimes ou non justifiés entre ces entités. Cette précision vise à prévenir les abus financiers tout en soutenant le développement équilibré des sports féminins et masculins, en veillant à ce que l’équité et l’intégrité des compétitions sportives soient maintenues.
L’influence notable, telle que consacrée par l’article L. 122-7, peut inclure divers aspects tels que la capacité de nommer ou de révoquer les dirigeants, de définir les orientations stratégiques de la société, ou d’exercer une pression significative sur les décisions majeures. Cette évolution législative vise à prévenir les conflits d’intérêts tout en permettant une certaine souplesse pour favoriser les investissements dans le secteur sportif.
La question de la conformité de l’article L. 122-7 du Code du sport à la libre circulation des capitaux, principe fondamental du droit de l’Union européenne, mérite cependant une analyse approfondie. Cette libre circulation est protégée par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui interdit toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres ainsi qu’entre les États membres et les pays tiers.
L’article L. 122-7 du Code du sport, en imposant des restrictions sur la détention de titres dans les sociétés sportives pour éviter les conflits d’intérêts et préserver l’intégrité des compétitions, constitue indéniablement une entrave à la libre circulation des capitaux. Cette règle pourrait être perçue comme un obstacle pour les investisseurs souhaitant diversifier leurs portefeuilles ou pour les entreprises étrangères désireuses d’investir dans plusieurs clubs sportifs français.
Toutefois, l’article 65 du TFUE prévoit des dérogations à cette liberté, notamment lorsque des mesures sont justifiées par des raisons d’ordre public ou de sécurité publique. Pour qu’une mesure nationale soit considérée comme conforme à l’article 65, elle doit répondre à deux critères principaux :
– Motifs légitimes d’ordre public ou de sécurité publique : Les motifs invoqués doivent être suffisamment importants pour justifier une dérogation à la libre circulation des capitaux.
– Proportionnalité : La mesure doit être proportionnée, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi.
En ce qui concerne les motifs légitimes, la sincérité des résultats sportifs et l’égalité entre les clubs professionnels sont des préoccupations majeures dans le domaine du sport. La manipulation des résultats ou l’influence disproportionnée d’une seule entité sur plusieurs clubs peut gravement nuire à l’intégrité des compétitions sportives. Ces motifs sont reconnus comme des justifications légitimes d’ordre public par les instances sportives et juridiques internationales.
Et au regard de la proportionnalité, l’article L. 122-7, tel qu’amendé en 2012, est conçu pour être proportionné aux objectifs poursuivis. Il permet la détention de titres dans plusieurs sociétés sportives sous certaines conditions, mais introduit des restrictions visant à éviter le contrôle direct ou l’influence notable, qui pourraient compromettre l’équité des compétitions. Cette approche est considérée comme plus équilibrée que l’interdiction absolue de 2004, répondant ainsi mieux au principe de proportionnalité.
Bien que certains auteurs critiquent encore ce texte, arguant qu’il pourrait dissuader certains investissements, la réglementation de 2012 est globalement vue comme une solution intermédiaire raisonnable. Elle permet de concilier la nécessité de réguler la détention de titres dans les sociétés sportives avec la libre circulation des capitaux, en encadrant cette détention de manière à préserver l’intégrité des compétitions sportives.
Malgré une législation de plus en plus concernée, le phénomène de multipropriété de clubs de football professionnel, ou multi-club ownership (MCO), est en plein essor en Europe. La moitié des clubs de Premier League anglaise et de Ligue 1 française, ainsi qu’un tiers des clubs des premières divisions belge et italienne, sont concernés par le MCO. Les principaux investisseurs sont souvent des fonds ou des family offices américains (compagnies de gestion de patrimoine), mais aussi, dans une moindre mesure, des entités moyen-orientales, britanniques ou chinoises.
Les avantages du MCO sont multiples : optimisation de la rentabilité, limitation des risques financiers liés à l’aléa sportif, échanges et valorisation des joueurs, mutualisation des ressources, synergies et partage des connaissances, et développement de la marque à l’international. Cependant, ce modèle soulève des questions éthiques et pratiques, notamment lorsque des clubs sous le même contrôle se rencontrent, posant ainsi un risque pour l’intégrité sportive.
Le championnat de France de Ligue 1 2023/2024 compte neuf clubs concernés par la multipropriété, y compris le FC Lorient, acquis par l’américain Bill Foley, et le RC Strasbourg, racheté par le consortium BlueCo. Les autres clubs incluent le Paris Saint-Germain, l’Olympique Lyonnais, l’OGC Nice, l’AS Monaco, Toulouse FC, Clermont Foot 63 et le RC Lens, tous détenus par des multipropriétaires.
En France, l’article L.122-7 du Code du Sport interdit à une même personne privée de contrôler de manière exclusive ou conjointe plusieurs sociétés sportives d’une même discipline, ou d’exercer sur elles une influence notable. Cette législation vise à préserver l’indépendance et la concurrence entre les clubs, ainsi que l’intégrité des compétitions sportives.
Cependant, cette réglementation ne s’applique qu’au niveau national, permettant aux actionnaires de clubs français de posséder des clubs à l’étranger. Cela crée une situation controversée au niveau européen, où les enjeux de multipropriété ne sont pas uniformément régulés.
L’article 5 du Règlement des compétitions européennes de l’UEFA stipule qu’aucun club participant ne peut directement ou indirectement détenir ou négocier des titres ou des actions d’un autre club participant. Pourtant, en juillet 2023, l’UEFA a autorisé, sous conditions, des clubs tels que Aston Villa FC, Vitória Sport Clube, Brighton & Hove Albion FC, Royal Union Saint-Gilloise, AC Milan et Toulouse FC à participer aux compétitions interclubs malgré la multipropriété.
Ces clubs ont dû accepter des restrictions, comme l’interdiction de transférer des joueurs entre eux, de conclure des accords de coopération ou d’utiliser des bases de données communes sur les recrutements. Cette décision, bien que pragmatique, soulève des questions sur l’application future des règles de multipropriété et leurs implications éthiques et concurrentielles.
Les sanctions pour violation des règles de prohibition des multi-influences peuvent être de nature financière ou civile. L’amende maximale est de 45 000 euros, une somme souvent jugée insuffisante pour dissuader les infractions lucratives. La nullité des titres dans la deuxième société sportive est également prévue, bien que cette sanction puisse être difficile à appliquer dans certaines circonstances.
Le dispositif actuel vise à équilibrer la nécessité de sanctions efficaces avec le respect des droits des investisseurs et des entités sportives. Néanmoins, des discussions persistent sur l’efficacité réelle de ces sanctions et sur la possibilité de les renforcer.
Pour déterminer l’influence, la législation identifie plusieurs formes de contrôle : exclusif, conjoint, et notable. Le contrôle exclusif implique la direction des politiques financières et opérationnelles d’une entreprise, tandis que le contrôle conjoint résulte d’un accord entre plusieurs actionnaires. L’influence notable est présumée lorsque la participation atteint au moins 20 % des droits de vote, mais peut également être reconnue en dessous de ce seuil si l’investisseur détient un pouvoir significatif, comme un siège au conseil d’administration.
La législation française prévoit des interdictions spécifiques visant à limiter les conflits d’intérêts potentiels. Les agents sportifs et leurs préposés ne peuvent exercer des fonctions de direction ou d’entraînement dans les associations ou sociétés employant des sportifs rémunérés. De même, les opérateurs de jeux en ligne sont interdits de contrôler des organisateurs de compétitions sportives pour lesquelles ils proposent des paris, préservant ainsi l’aléa sportif.
La mondialisation du sport, notamment le phénomène de multi-propriété dans le football, pose de nouveaux défis. Des groupes internationaux comme Red Bull et City Football Group opèrent dans plusieurs juridictions, échappant souvent aux restrictions du droit français. L’UEFA a tenté de réguler cette pratique en exigeant des actionnaires qu’ils renoncent à leur contrôle effectif sur l’un des clubs en cas de multi-propriété, mais des interrogations subsistent quant à l’efficacité de ces mesures à long terme.
Le 25 juillet 2023, Eric Coquerel, président de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale française, a interpellé la Ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, sur les effets de la décision de l’UEFA. Cette décision, selon lui, contrevient au Code du Sport et au règlement de l’UEFA. La Ministre a reconnu la nécessité d’une réflexion internationale et commune avec les partenaires européens pour aborder cette question complexe.
Sources :