Brexit : le football français une nouvelle fois dans la tempête

par | 2, Mar, 2021

A l’heure où les clubs français doivent déjà composer avec le COVID19 et les difficultés liées aux Droits TV, le football français se retrouve au nouvelle fois au milieu d’une crise avec le Brexit, crise qui pourrait l’impacter à moyen et long terme. En effet, le Royaume-Uni étant sorti du marché unique européen et de l’Union douanière, par conséquent, la Premier League, n’est plus sur le marché de la libre circulation. Une situation qui pourrait se révéler lourde de conséquences pour le football français et ses joueurs, mais non sans alternatives. A ce titre, Jurisportiva interroge aujourd’hui, Maître Laurent Fellous, Maître Mathias Kuhn et Maître Nawel Smaïl sur les effets futurs, tant négatifs que positifs, du Brexit sur le football français.

 

L’un des aspects positifs majeurs du Brexit réside essentiellement dans le fait que les clubs français seront moins enclins à laisser partir leurs jeunes « pépites », ce qui conduira très probablement, à moyen terme, à une hausse de la compétitivité des championnats français.

 

• Quelles seront les principales conséquences du Brexit sur le football français, jusque-là meilleur vendeur à la Premier League?

Après le fiasco Mediapro des droits TV et la perte, d’après la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG), de plus de 800 millions d’euros suite à la pandémie mondiale du COVID-19, c’est autour du Brexit d’emporter de sérieuses conséquences, de plusieurs ordres, sur le football français. Même si à ce stade, il est encore tôt pour affirmer le véritable impact du Brexit sur le football français. Une chose est certaine, la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne le 1er janvier 2021 aura comme première conséquence juridique notable, que le principe de libre circulation des travailleurs prévu par le Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne ne s’appliquera plus dorénavant et que par conséquent, les joueurs européens devront respecter les règles d’immigration du Royaume-Uni avec notamment la nécessité d’obtenir un permis de travail. Cela rendra donc plus difficile pour les joueurs européens et notamment les joueurs français l’accès à la Premier League et aux championnats des autres divisions inférieures. Ce bouleversement impacte d’autant plus l’Hexagone, qui, depuis 2010, a le titre de premier exportateur de joueurs à la Premier League.

Le Royaume Uni ne peut donc plus se prévaloir du célèbre arrêt Bosman (CJCE, 15 décembre 1995) qui avait notamment posé le principe de libre circulation des joueurs au sein de la Communauté Européenne.

Si les États membres de l’Union européenne pourront continuer de se prévaloir de ce principe entre eux, il n’en sera plus de même dans le cadre de leurs relations avec le Royaume-Uni.

Les règles applicables seront désormais celles antérieurement applicables dans le cadre des relations entre le Royaume-Uni et des États non-membres de l’Union européenne.

Abordons, dans un premier temps, les principales conséquences du Brexit sur le marché des transferts.

1. Impossibilité, pour les clubs britanniques, de recruter des joueurs mineurs évoluant au sein de clubs européens

Le Brexit emporte au Royaume-Uni sa soumission à l’article 19.1 du Règlement FIFA du Statut et du Transfert des Joueurs, selon lequel : « en principe, le transfert international d’un joueur n’est autorisé que si le joueur est âgé d’au moins 18 ans ». De surcroît, l’article 19.2.B du Règlement FIFA du Statut et du Transfert des Joueurs qui prévoyait une exception pour les transferts internationaux de joueurs mineurs au sein de l’Union Européenne, ne s’appliquera donc plus pour le Royaume Uni qui sort de l’Union. Les clubs britanniques ne pourront plus recruter des joueurs européens de moins de 18 ans. En d’autres termes, l’Angleterre ne peut plus désormais attirer de joueurs mineurs à fort potentiel comme ce fut le cas pour Paul POGBA, recruté en 2009 au Havre Athletic Club par Manchester United, ou encore Cesc FABREGAS, recruté en 2003 au FC Barcelone par le club d’Arsenal FC.

2. Limitation du recrutement des joueurs majeurs âgés de moins de 21 ans

Le recrutement des clubs britanniques des joueurs majeurs âgés de moins de 21 ans est désormais limité à un plafond de 3 joueurs par fenêtre de transferts et à 6 joueurs par saison. A ce principe, est posé une exception. Si un jeune joueur montre un potentiel significatif et a une qualité suffisante, sans remplir les critères pour le GBE, il pourra éventuellement bénéficier d’un transfert vers la Premier League.

3. L’application du permis de travail à points (Governing Body Endorsement (GBE)) pour tous les autres joueurs

Au début du mois de décembre 2020, un mois avant l’entrée en vigueur du Brexit, la Fédération Anglaise a communiqué les mesures qui s’imposent aux clubs britanniques concernant leurs possibilités de recrutement. Avec le Brexit et la fin de la liberté de circulation des travailleurs, les joueurs et joueuses européens sont désormais considérés comme des travailleurs étrangers et obéissent aux mêmes conditions de recrutement.

Le Brexit emporte encore et surtout la soumission de l’ensemble des joueurs évoluant au sein des clubs européens aux dispositions prévues par le système anglais dit du « Governing Body Endorsement ».

Ce système consiste en une obligation d’obtention d’un permis de travail à points soumis aux conditions cumulatives d’obtention suivantes :

  • Recherche de l’expérience internationale du joueur par le biais du classement FIFA de la sélection nationale d’appartenance du joueur ainsi que du nombre de sélections nationales dudit joueur (catégories des jeunes comprises),
  • Recherche du classement de son club de formation,
  • Détermination de l’attractivité du joueur suivant le nombre de matchs disputés par le joueur, avec son club de formation, notamment au niveau international.

Chacun des critères susmentionnés apporte un certain nombre de points. Pour obtenir ledit permis de travail, le joueur devra  obtenir le total de 15 points. Mais des recours sont possibles pour les joueurs obtenant entre 10 et 14 points.

Quelques exceptions sont néanmoins admises :

a. L’auto-pass

Le permis est immédiatement accordé pour tout joueur ayant participé à un pourcentage d’au moins 70% des matchs de la sélection nationale et que le pays d’appartenance dudit joueur fait partie des 50 meilleures nations mondiales au cours des deux dernières années.

b. La commission

Pour les joueurs ne remplissant pas toutes les conditions susvisées, dans certains cas de figure, une commission indépendante peut accorder une dérogation exceptionnelle.

S’agissant désormais des conséquences financières du Brexit, les strictes conditions de recrutement évoquées emporteront automatiquement des conséquences financières pour les clubs français.

Au cours des dix dernières années, la France est, en effet, le plus gros exportateur de joueurs Outre-Manche. Elle a, ainsi, exporté des joueurs pour un montant total de près de 1,25 milliards d’euros.Si un tel montant fut atteint, c’est en grande partie du fait de l’attrait des clubs anglais pour les jeunes joueurs formés au sein du championnat de France.

Le Brexit emportera, dès lors, immanquablement un frein aux transferts lucratifs depuis les clubs évoluant au sein du Championnat de France, vers la Premier League ou en Championship (2ème division anglaise). Toutefois, cela pourraient amener les clubs français à faire davantage confiance à leurs jeunes joueurs formés au club, les intégrer à l’effectif professionnel et leur proposer des contrats de plus longue durée.

Au regard des critères précédemment rappelés, il convient, toutefois, de noter que le marché correspondant aux joueurs internationaux confirmés ne sera pas véritablement impacté.

 

• Le football français voit l’arrêt de son principal marché d’exportation. Quelles alternatives ?

La limitation des transferts vers l’Angleterre des jeunes joueurs évoluant en France emportera nécessairement une réduction des recettes correspondantes. Or, ces recettes pouvaient permettre, dans certains cas de figure, d’équilibrer les finances des clubs étant en outre précisé que la valeur marchande des joueurs sera également impactée. Les clubs français devront donc diversifier leurs sources de revenus mais également faire preuve d’ingéniosité afin de pallier cette perte de revenus. L’impact du Brexit ne sera pas neutre pour les finances des clubs français.

Il faut toutefois noter que ces dernières années, la Bundesliga a également recruté beaucoup de jeunes joueurs français. L’affluence dans les stades, le jeu très offensif pratiqué et les moyens importants des clubs allemands en font l’alternative la plus probable. Les clubs français seront, en outre, contraints de s’ouvrir davantage à d’autres marchés, notamment le marché allemand.

S’agissant des joueurs, tout d’abord les mineurs, le Brexit emportera sûrement des bienfaits dans la mesure où l’on ne compte plus les joueurs mineurs s’étant exilés très jeunes en Angleterre et s’étant perdus en cours de route. S’agissant des autres joueurs, notamment ceux âgés de moins de 21 ans, les clubs français n’auront d’autre choix que de s’adapter aux nouvelles règles tout en tentant de miser beaucoup plus sur la « Post Formation ».

 

• Bien que le Brexit aura sans aucun doute des conséquences néfastes sur le football français, ne peut-on pas imaginer qu’il y ait également des retombées positives au retrait des Anglais de l’Union Européenne ?

C’est même le contraire. Il va de soi que le Brexit aura également des aspects positifs. En tout état de cause, les effets, positifs ou négatifs, du Brexit ne se ressentiront qu’au fur et à mesure. A titre d’exemple, cela pourra emporter certaines conséquences positives telles qu’une modification du modèle économique du football français. De plus, la limitation de la fuite des jeunes joueurs peut également emporter, à moyen terme, une hausse de la compétitivité de la Ligue 1 et Ligue 2, ce qui pourrait accroître son attractivité auprès des clubs étrangers. Enfin cela encouragera les clubs français à miser encore un peu plus sur la formation des joueurs. En effet, sauf en cas de belles propositions de transferts, les clubs français seront moins enclins à laisser partir leurs jeunes joueurs au fort potentiel. Ils pourront donc espérer garder leurs pépites un peu plus longtemps au club.

 

• N’est-ce pas l’occasion de repenser le modèle économique du football français?

Bien que le modèle économique du football français ne soit pas uniquement basé sur l’exportation de ses joueurs (les clubs français forment des très bons joueurs de football qui intéressent de nombreux championnats étrangers, et pas seulement la Premier League), il s’agit, en effet, d’une occasion unique de repenser le modèle économique du football français. Ce dernier, qui repose énormément sur le système de trading de joueurs consistant en une spéculation sur la future valeur du joueur, à la revente. Ce système permet, notamment, un rééquilibrage des résultats comptables au même titre que les droits TV qui représentent 1/3 des revenus des clubs professionnels. La disparition de cette manne financière va dès lors contraindre le football français, en ce compris les instances nationales, à rechercher de nouvelles stratégies (renforcement de la post-formation des jeunes joueurs etc.).

C’est également l’occasion d’amorcer une baisse des salaires les plus importants afin d’une part, de limiter les disparités et d’autre part, réduire la masse salariale des plus gros clubs, qui peut représenter jusqu’à 65% du budget total.

C’est en ce sens que l’Union nationale des footballeur professionnels (UNFP), unique syndicat des footballeurs professionnels évoluant en France, a proposé cette solution qui vient d’être acceptée par certains clubs, tel que le Stade de Reims.

Une telle solution est également envisagée à l’Olympique Lyonnais où son Président, Jean-Michel AULAS, a récemment indiqué que les salaires de plus de 50.000,00 euros mensuels seraient réduits de 25% et compensés par des primes de résultat ainsi que des actions. De telles réductions devront, toutefois, nécessairement faire l’objet d’avenants dûment signés individuellement par chacun des joueurs dans la mesure où il s’agit modifications portant sur un élément essentiel du contrat (le salaire).

Toutefois, la crise sanitaire et le fiasco des droits TV pourraient donc amener les clubs à faire plus confiance à leurs jeunes joueurs formés au club, les intégrer à l’effectif professionnel et leur proposer des contrats de plus longue durée.

 

• Que penser de l’acquisition de certains clubs de football par des clubs anglais et plus généralement par des groupes comme par exemple le eCity Football Groupe qui a racheté l’ESTAC Troyes ?

De nombreux investisseurs interviennent sur le marché du football. En guise d’exemple, Jim Ratcliff qui est un fervent partisan du Brexit, a pris le contrôle de l’OGC Nice récemment.

Ainsi on peut dire qu’il s’agit tant d’une bonne que d’une mauvaise nouvelle.

C’est une bonne nouvelle dans la mesure où cela permettra par exemple à l’ESTAC de bénéficier d’importants avantages ainsi que d’une visibilité accrue et donc d’un attrait plus important auprès des éventuels sponsors. Mais c’est une mauvaise nouvelle dans la mesure où bien que cela démontre que cette acquisition emporte une persistance du système de trading et de bulle spéculative. Cela permettra également aux investisseurs d’accueillir des joueurs, au sein d’un de leurs clubs, à des conditions leur étant bien plus avantageuses, ce parfois au détriment des clubs d’origine.

A titre indicatif, en Allemagne, un investisseur, allemand ou étranger, ne peut prendre possession d’un club: l’association fondatrice d’un club doit obligatoirement détenir 50%+1 des actions dudit club.

 

• Ce modèle précité, n’est-il pas un moyen de contourner les effets néfastes du Brexit, en gardant un lien privilégié avec les talents de ces clubs « satellites » ?

Sans que cela soit considéré comme un contournement des effets néfastes du Brexit, cela permet à des clubs anglais tels que Manchester City de recruter des jeunes joueurs évoluant au sein de ces clubs « satellites » et leur faire acquérir de l’expérience afin, peut-être, qu’ils obtiennent plus facilement le permis de travail requis pour joueur au Royaume Uni et ainsi faire l’objet d’un transfert vers un club partenaire.

 

• Enfin, le Brexit ne risque t-il pas également de perturber l’activité des agents et d’avocats mandataire sportifs français détenant des talents mineurs ?

Tout d’abord, il convient dans un premier temps de rappeler que ces transferts étaient, déjà avant le Brexit, très encadrés. Ensuite, au regard des éléments précédemment exposés, il ne fait aucun doute que le Brexit emportera des conséquences, au moins à l’égard des représentants de joueurs mineurs évoluant en France. D’autres marchés pourront, toutefois, être sondés y compris le marché français qui pourrait in fine profiter de l’éclosion de talents au sein des championnats français de Ligue 1 Uber Eats et Ligue 2 BKT.

 

Jurisportiva

 

Maître Laurent Fellous 

http://www.fellous-avocats.com

https://www.linkedin.com/in/laurent-fellous

Maître Mathias Kuhn

https://ddg.fr

https://www.linkedin.com/in/mathias-kuhn-b10a0b59/

Maître Nawel Smaïl

https://www.linkedin.com/in/nawel-smaïl-a6ab17203/

 

Crédit photo : Europe 1

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