Propositions pour améliorer la gouvernance des fédérations sportives

par | 6, Nov, 2020

Propositions pour améliorer la gouvernance des fédérations sportives

Colin MIEGE, président du comité scientifique de Sport et Citoyenneté

Les difficultés que traverse actuellement le mouvement sportif du fait les restrictions liées à la crise sanitaire ne sauraient constituer une justification pour maintenir le statu quo et différer encore des réformes qui s’imposent.

1– Un constat préoccupant

1.1. Une obligation légale inégalement appliquée

La loi n° 2017-261 du 1er mars 2017 a introduit dans le code du sport une disposition qui impose au fédérations délégataires d’établir une charte d’éthique et de déontologie conforme aux principes définis par la charte  édictée par le CNOSF. En outre, ces fédérations doivent « instituer en leur sein un comité doté d’un pouvoir d’appréciation indépendant, habilité à saisir les organes disciplinaires compétents et chargé de veiller à l’application de cette charte et au respect des règles d’éthique, de déontologie, de prévention et de traitement des conflits d’intérêts ». Ces dispositions devaient être mises en oeuvre au plus tard le 31 décembre 2017 (Code du sport, art. L131-15-1 et L141-3).

Selon le rapport d’information établi par les députés Régis Juanico et Cédric Roussel, les mises en conformité ont été souvent tardives, et toutes les fédérations concernées n’avaient pas respectée l’obligation légale en juillet 2020. De surcroît, les rapporteurs relèvent que le manquement à cette obligation n’est sanctionné par aucun texte, et ils proposent « d’instaurer une échelle graduée de sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de la délégation de l’État à l’encontre des fédérations défaillantes ».

1.2. Une obligation légale qui ne concerne que les fédérations délégataires

Il est difficile de comprendre pourquoi le législateur a imposé aux seules fédérations délégataires d’établir une charte d’éthique et de déontologie, et d’instaurer en leur sein un comité chargé de veiller à son application. Ces obligations devraient s’étendre à l’ensemble des fédérations agréées et non aux seules délégataires, dans la mesure où elles participent toutes à une mission de service public, et qu’un certain nombre de contraintes leur sont déjà imposées à ce titre, notamment au regard des dispositions obligatoires que doivent comporter leurs statuts (Code du sport, art. R131-3 à R131-10).

1.3. La charte d’éthique et de déontologie du CNOSF est très peu contraignante

La charte d’éthique et de déontologie adoptée par le CNOSF en mai 2012 sert de modèle aux chartes que les fédérations délégataires doivent établir. Or cette charte se présente comme un document général regroupant 16 « principes » qui concernent l’ensemble des acteurs du sport, et qui s’avèrent fort peu contraignants pour les organisations sportives. D’une part en effet, l’essentiel des principes qui leur sont applicables découlent déjà du code du sport et elles n’ont normalement aucun mal à les respecter, sauf à faillir à leurs mission ou à contrevenir aux dispositions légales et réglementaires. D’autre part, cette charte n’aborde pas l’organisation et le fonctionnement interne des fédérations, autrement dit leur gouvernance. Aucune des recommandations ne traite de la transparence, de la démocratie fédérale ou de la prévention des conflits d’intérêts. On peut légitimement considérer que ce document en trompe l’oeil ne répond que très imparfaitement aux risques que génère l’attribution de nouvelles responsabilités aux fédérations sportives, telles qu’elles résultent de la mise en oeuvre de l’Agence nationale du spor.

1.4. La loi a attribué au CNOSF une compétence exclusive en matière de déontologie

L’article L. 141-3 du code du sport dispose que « Le Comité national olympique et sportif français veille au respect de la déontologie du sport définie dans une charte établie par lui ». On observe  ainsi que la loi a organisé un « entre soi » qui n’est plus conforme aux exigences actuelles en terme de transparence, d’indépendance et d’impartialité, et qui ne saurait se justifier par le respect du principe d’autonomie du mouvement sportif. Les rapporteurs notent pour leur part que « des doutes s’expriment quant à la capacité du CNOSF d’assumer pleinement ce rôle ».

2. Quelques propositions d’amélioration

2.1. Accompagner le mouvement sportif dans la définition d’une nouvelle charte d’éthique et de déontologie

Si on admet que la charte définie par le CNOSF en 2012 est un document dont la portée et l’aspect opérationnel sont très insuffisants aux regard des enjeux actuels, il convient de la réécrire. Mais on ne peut laisser le mouvement sportif seul à la tâche. Comme l’affirme l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dans une résolution adoptée en janvier 2018, « on ne peut pas laisser le mouvement du sport remédier seul à ses défaillances. Il doit accepter la participation de nouveaux acteurs pour adopter les réformes nécessaires ».

La redéfinition de la charte d’éthique et de déontologie du mouvement sportif pourrait être confiée à un « groupe de sages » de réputation incontestable, en association étroite avec le CNOSF, et être supervisée par le ministère des sports. L’objectif est d’aboutir à un document répondant aux  standards les plus élevés définis en la matière au niveau européen.

Une telle démarche, inspirée par le principe de gouvernance partagée (à l’instar de celui qui a présidé à la création de l’Agence nationale du sport) suppose une modification de l’article L. 141-3 du code du sport, dans un souci de cohérence.

2.2. Etendre les obligations résultant de la loi du 1er mars 2017 à l’ensemble du mouvement sportif organisé

Dès lors qu’elles participent à une mission de service public, on voit mal pour quelle raison les fédérations simplement agréées, qui constituent une fraction importante du mouvement sportif organisé, seraient dispensées de l’obligation d’adopter une charte d’éthique et de déontologie, et de mettre en place un comité chargé de veiller à son application. L’extension de l’obligation aux fédérations agréées suppose une modification des articles L131-15-1 et L141-3 du code sport. 

2.3. Mettre en oeuvre les propositions du rapport remis par les députés Junanico et Roussel

Ces trois propositions visent :

– à confier au ministère des Sports la responsabilité de contrôler le respect par les fédérations  de l’obligation de se doter d’une charte et d’un comité d’éthique et de déontologie en application de la loi (Proposition n° 1). Il est entendu que cette obligation serait étendue à l’ensemble de fédérations agréées.

– à instaurer une échelle graduée de sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de la délégation à l’encontre des fédérations qui ne disposeraient pas d’une charte et d’un comité de déontologie et d’éthique en conformité avec la loi (proposition n° 2).

– enfin à fixer par décret les catégories de personnes susceptibles d’être nommées au sein des comités d’éthique et de déontologie, ainsi que des objectifs tendant à la mixité de leur composition et favorisant l’intégration de personnalités qualifiées telles que d’anciens sportifs de haut niveau (proposition n° 3). Il s’agit par cette mesure de garantir autant que possible l’indépendance et la diversité des membres desdits comités.

2.4. Envisager la possibilité de mettre en place des dispositifs de certification et d’audit externes

Dénonçant « le manque de transparence et de responsabilité » de certaines grandes instances dirigeantes du sport, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe préconise l’établissement « d’un ensemble solide de critères de bonne gouvernance harmonisés, qui devraient être élaborés en faisant appel au système d’un organisme de normalisation mondialement reconnu comme l’Organisation internationale de normalisation (ISO), et en créant une norme de certification ISO sur la gouvernance des organisations sportives». Elle ajoute que «Les États membres devraient demander la certification de leurs organisations sportives nationales selon les normes ISO 37001 (anticorruption) et ISO 20121 (événements durables) actuellement en vigueur». 

Cette procédure pourrait constituer une étape supplémentaire dans le renforcement des normes d’éthique et de bonne gouvernance.

2.5.  Conditionner le financement public des organisations sportives au respect de règles de bonne gouvernance

Dans son rapport d’activité pour l’année 2019, l’Agence nationale du sport indique que « les projets sportifs fédéraux doivent être établis et conduits en toute transparence au sein des fédérations ». A ce titre, elle a mis en place  « une commission dédiée, qui garantit l’indépendance des décisions et veille au respect des règles d’éthique, de déontologie et de transparence. Cette commission est chargée de valider la liste des bénéficiaires, ainsi que les montants proposés pour une mise en paiement finale par l’Agence ». Une telle disposition parait imprécise, et semble reposer sur un « entre soi » qui n’est plus de mise.

A contrario, on pourra trouver une source d’inspiration dans le code de gouvernance sportive établi par l’agence gouvernementale du sport au Royaume-Uni (UK Sport). Il a pour effet de conditionner l’attribution de fonds publics aux organisations sportives au respect par ces dernières de principes de base de bonne gouvernance. Au nombre de cinq, ces règles sont modulées selon le niveau de la structure et l’importance du financement qu’elle est appelée à recevoir. 

En résumé, l’amélioration de la gouvernance des fédérations sportives répond à deux objectifs essentiels : prévenir d’abord les risques de conflits d’intérêt et de dérapage que la mise en place de l’Agence nationale du sport a objectivement accru. Il s’agit aussi de surmonter la défiance qui touche aujourd’hui tous les corps constitués et qui n’épargne pas le mouvement sportif organisé, en offrant des garanties renforcées de transparence, de démocratie et de bonne gouvernance. On ne peut laisser le mouvement sportif, et notamment le CNOSF, assumer seul les exigences d’une telle démarche. Mais il est évident aussi qu’elle n’a de chance d’aboutir qu’avec son plein engagement.

 

Crédit photo : Sport et Citoyenneté

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