Interview de Maître Loïc Alvarez

par | 30, Juin, 2020

Ici vous sera proposé un zoom sur la fonction d’avocat mandataire sportif. En effet, il existe à l’heure actuelle un vif débat sur cette profession. Alors que certains mettent en exergue la complémentarité des fonctions d’agent et d’avocat, d’autres y prônent un non-respect de la déontologie. Afin d’y voir plus clair sur la situation réglementaire et juridique en vigueur, j’ai interrogé Maître Loïc Alvarez, Avocat Mandataire Sportif, au barreau de Paris. Un grand merci à lui pour sa contribution !

 
Je pense qu’aujourd’hui il y a encore de réelles différences notoires entre les fonctions d’avocat et d’agent mais il existe surtout une véritable complémentarité entre ces deux professions

Maître Loïc Alvarez, en quoi consiste votre profession d’avocat mandataire sportif ?

Je suis de manière générale avocat en droit des affaires, avec une spécialité en droit du sport. J’agis en qualité de mandataire sportif. Cela me permet d’accompagner et d’assister mes clients qui sont généralement des sportifs professionnels. Cet accompagnement se fait dans le cadre de la négociation et de la conclusion de leur contrat de travail avec des clubs. Par raccourci, beaucoup assimilent cette fonction à celle d’agent. Avec ma casquette d’avocat mandataire sportif, je peux certes être amené à mettre en relation des parties et donc réaliser ce que fait également l’agent, mais cela reste accessoire, dans le sens où mon intervention est dans son ensemble beaucoup plus globale. J’interviens en amont et après la conclusion du contrat de travail. Ce n’est qu’une partie de mon activité.

Il y a un grand débat autour de cette fonction. Selon vous, les fonctions d’avocat et d’agent de joueur sont-elles compatibles d’un point de vue déontologique ?

Notre déontologie nous interdit de réaliser des actes de commerce à titre principal, il n’y a pas débat à ce propos. En revanche, on peut en faire à partir du moment où cela reste accessoire à une prestation juridique. Lorsque j’assiste mes clients, je ne le fais pas uniquement dans le cadre d’un transfert ou d’une signature de contrat, c’est une opération qui s’inscrit dans un cadre dans lequel je conseille mon client avant et après cette opération. Je me verrais mal dire à mon client « je suis ton avocat, je m’occupe de tous les aspects juridiques sauf de ton transfert car cela est assimilé à un acte de commerce pour certains ». Cela n’aurait pas de sens. Il me semble normal d’assister et d’accompagner le sportif jusqu’au bout.

Est-il juste de dire que les professions respectives d’agent et d’avocat sont complémentaires ?

Je pense qu’aujourd’hui il y a encore une réelle différence entre les fonctions d’avocat et d’agent, mais il existe surtout une véritable complémentarité entre ces deux dernières. Ce que fait l’agent au quotidien, l’avocat ne peut pas le faire car ce n’est pas son activité. Pour autant, cette frontière entre ces deux professions s’estompera probablement avec le temps, peut-être parce que les avocats occupent de plus en plus de place dans ce secteur. Cela me semble être inévitable et je ne le vois pas comme un signe négatif, notre profession est soumise à contrôle et au respect d’une déontologie. L’avenir nous éclairera à ce sujet.

L’avocat mandataire sportif doit se soumettre à un certain nombre d’obligations imposées aux agents sportifs. Lesquelles notamment ?

Certaines obligations nous sont effectivement imposées, sensiblement les mêmes que celles d’un agent sportif. La seule différence est que l’avocat ne dépend pas du pouvoir disciplinaire d’une fédération. En tant qu’avocat, nous sommes soumis à une déontologie, que seul le bâtonnier peut contrôler et sanctionner. Ces obligations auxquelles nous sommes assujetties sont par exemple : l’interdiction de rémunération lorsque le sportif est mineur, le plafonnement de la rémunération… Ce sont des règles d’ordre public. A côté de cela, il y a des différences au niveau des obligations imposées aux deux professions. Par exemple, l’avocat mandataire sportif ne peut être rémunéré que par son client, alors que l’agent de joueur, lui, peut l’être par l’autre partie contractante, en plus de la rémunération par son client.

Finalement, on le voit, l’avocat mandataire sportif, en plus, d’être soumis à bon nombre d’obligations, ne bénéficie pas des protections accordées aux agents de sportifs. Dès lors, quel intérêt de se prévaloir de la qualité d’avocat mandataire sportif ?

C’est une très bonne question. Je réfléchis parfois à l’intérêt de m’en prévaloir. Je ne vois pas vraiment aujourd’hui l’intérêt de cette casquette d’avocat mandataire sportif. J’ai une activité d’avocat tout simplement. Aujourd’hui, on refuse le bénéfice de certaines dispositions du Code du Sport aux avocats mandataires sportifs alors qu’on les accorde aux agents. Cela, sous prétexte que ce n’est pas expressément autorisé aux avocats mandataires sportifs. Je ne trouve pas cela cohérent. Dans ce cas, pourquoi avoir créé ce statut ?

Quelle est la rémunération de l’avocat mandataire sportif ?

La rémunération d’avocat mandataire sportif n’est pas spécialement différente de celle d’un simple avocat, ce qui n’est pas le cas de l’agent. Cela s’explique du fait qu’en tant qu’avocats, nous sommes soumis à l’interdiction du pacte quota litis, c’est-à-dire qu’on ne peut pas être rémunéré uniquement au résultat, contrairement à l’agent qui prend un pourcentage du montant du transfert ou du contrat de travail. L’avocat ne peut pas être rémunéré uniquement au résultat.

Alors que la FIFA a déréglementé il y a quelques temps déjà la fonction d’agent, la France, elle, avance à reculons. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que la France a bien réagi et a eu raison de conserver la nécessité d’obtenir une licence pour exercer comme agent. D’ailleurs, la FIFA est en train de revenir en arrière sur cette déréglementation, donc en ce sens, elle donne d’une certaine manière raison à la France.

Ce qui était avant tout délicat, c’est qu’il y avait une grande différence de réglementation et de législation entre les états concernant la fonction d’agent. Cela posait des problématiques en matière de concurrence notamment. Je trouve que c’est une bonne chose de réglementer cette fonction. Autrement cela laisse trop de place aux abus. C’est une bonne chose que la FIFA soit en train de revenir en arrière, mais ce qui fut difficile à gérer, c’est le traitement spécifique à chaque état. Quid aujourd’hui du traitement par la FIFA de tous les intermédiaires qui sont intervenus pendant 6 ans et qui n’avaient pas de licence.

Quel avenir pour la fonction d’avocat mandataire sportif?

Le droit du sport est voué à perdurer. On le voit avec tous les enjeux existants et naissants. Cela serait complètement illogique que le droit du sport s’affaiblisse. Au contraire, il y a de plus en plus de besoins sur le plan juridique en matière sportive. Le statut d’avocat mandataire sportif va être amené à évoluer et à prendre de l’importance, c’est certain. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose; il faudra toutefois observer comment les parties en présence collaborent en bonne intelligence, par exemple les avocats et agents qui ont selon moi tout intérêt à travailler ensemble. Pour résumer, à partir du moment où il y a des enjeux économiques et financiers importants, le droit est nécessairement là. Cela implique davantage de travail pour les avocats notamment. C’est normal que ces besoins juridiques soient amenés à évoluer. Les avocats devront s’adapter à ces derniers. C’est le cas par exemple du E-Sport qui se développe de plus en plus et qui, je n’en doute pas, occupera à l’avenir une bonne partie des missions quotidiennes de l’avocat en droit du sport.

Crédit photo : Legal Squad

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